On peut passer à côté sans faire attention. Un musée ici ? Ça paraît presque improbable. Situé au 1050 de la rue Lacasse, face à un terrain vague, à deux pas de la TA Factory, de l'extérieur le musée des ondes ressemble à un building abandonné. Un musée qui, pourtant, regorge d'histoire: celle de la Berliner Gramophone Company, puis de la RCA Victor qui, dans les années 1940, était la plus importante fabrique de disques au Canada.
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Directeur du Musée des ondes, Martin Boucher est le gardien de la caverne. Derrière la discrète porte bleue de la réserve, des milliers d'objets anciens, minutieusement étiquetés, se disputent le moindre espace disponible. De bruyants témoins de l'évolution des technologies du siècle dernier à nos jours. « En 1996, on a reçu 4 boîtes d'aiguilles de gramophones, aujourd'hui on a plus de 30 000 objets. Des gramophones, des disques, des téléviseurs, des magnétophones à bobines, des radios, de tout un tas d'appareils qu'on n'utilise plus aujourd'hui ! » Le musée des ondes rend hommage à Émile Berliner, immigré allemand inventeur du gramophone, ce célèbre appareil avec un cornet et un disque plat. Une invention révolutionnaire à l'époque.

Avec le disque plat, facile à dupliquer, le gramophone permet de commercialiser la musique à moindre coût. Le gramophone détrône rapidement le phonographe d'Edison et ses cylindres de cire. En 1900, Berliner quitte les États-Unis, s'installe à Montréal et construit dans le quartier St Henri une usine de 50 000 pieds carrés. C'est dans ce bâtiment historique que le musée des ondes a élu domicile, juste à côté du célèbre Studio Victor où sont passés les Cowboys Fringants, Feist, Jimmy Hunt et bien d'autres. « Ici, c'est la première usine d'enregistrements sonores et de fabrication de gramophones au Canada », raconte Martin Boucher. « Durant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs milliers de personnes travaillaient 24h sur 24 pour la construction de radios militaires et d'appareils de guerre. Par la suite, on y fabriquait aussi des gramophones, des tourne-disques, des radios et des pièces pour les téléviseurs. C'est même ici qu'a été conçu en grande partie le premier satellite de télécommunications canadien Alouette I ! »
Plonger dans la réserve du musée des ondes, c'est un peu comme remonter le temps. On y ressent une sorte d'étrange nostalgie d'un passé qu'on n'a pas connu mais dont on se sent en un sens les héritiers. Non, la musique n'a pas toujours été enregistrée. Pour en arriver où nous sommes, les évolutions technologiques ont affiné la qualité des enregistrements et miniaturisé les supports (des cylindres de cire au disque plat, du vinyle au mp3) pour arriver à une restitution du son de plus en plus fidèle. Difficile d'imaginer à l'époque qu'un lecteur pas plus gros qu'un timbre pourrait contenir plusieurs centaines d'heures de musique.

Tous ces objets dépassés, Martin Boucher les utilise comme des outils pour raconter l'Histoire autrement : « On peut comprendre beaucoup sur une époque à partir du design d'un objet. Par exemple, les téléviseurs JVC en forme de casque d'astronaute datent de la fin des années 1970, en pleine conquête spatiale ! » Découvrir les restes oubliés de ces époques permet aussi de porter un autre regard sur les avancées technologiques. À peine sorties, les dernières nouveautés sont sans cesse dépassées.
Pour Martin Boucher conserver ces vestiges permet une forme de conscientisation : « Une radio à lampe durait en moyenne entre 15 et 20 ans. On en a qui fonctionnent encore et qui datent des années 1940 ! Aujourd'hui après 5 ans, on jette. Tous ces appareils avaient une durée de vie bien plus longue qu'aujourd'hui. Et on voit ce qui est arrivé à ces technologies, on n'en parle même plus, c'est dans les poubelles. Mais que deviendront nos iPods dans 5 ans ? »
Des iPods il y en a aussi au Musée des ondes. Un vieux modèle de 2008, le plus récent objet de la collection qui côtoie un récepteur de télégraphe des années 1880. Une belle amplitude dans l'histoire des ondes. Parmi les pièces rares de la réserve, une radio en forme de boule des années 1940 au design style BBQ, un magnétophone à cassettes de Yamaha conçu par Mario Bellini, un tourne-disque allemand à ruban vinyle. Martin me montre avec malice un des premiers transistors Sony des années 1960. Au fond d'une étagère trône un transistor en forme de cube : « c'est une création du designer montréalais André Morin qui travaillait pour RCA Victor dans les années 1960 ! »

Sa passion pour ces objets et leurs histoires, Martin Boucher la partage avec les visiteurs du musée, mais aussi avec une équipe de bénévoles, le club des vieilles lampes. Un groupe de retraités tripeux d'électroniques qui se réunissent tous les mercredis pour réparer radios à lampes et vieux téléviseurs.
Malgré le manque de financements, Martin Boucher rêve d'agrandir le musée, pour pouvoir y accueillir un plus large public et le transformer en un lieu dédié à l'histoire des technologies.
« Venez voir votre passé, venez écouter un gramophone. Y'a pas de pile, y'a pas d'électricité, ça marche de manière mécanique ! Écoutez le son que vos aïeux écoutaient, vous allez être surpris, c'est fantastique ! ».
Pour Urbania, Martin a sélectionné trois archives de la collection du musée qu'il fait jouer sur un gramophone Victrola VV VIII-A de 1914 :
Le musée des ondes propose différentes expositions thématiques. À partir du 9 Mai 2014, c'est l'histoire du disque qui est à l'honneur. Un lieu à découvrir de toute urgence, pour les passionnés de musique, de technologies, ou les deux.
Pour aller plus loin :
- À Place-St-Henri, la coop Audiotopie propose un parcours sonore interactif influencé par les ambiances du quartier Saint-Henri, l’histoire de l’usine RCA et les objets du Musée des Ondes Émile Berliner. Géophonie est une application à télécharger gratuitement, une expérience complémentaire à votre visite au Musée des Ondes.
- Écoutez aussi l'entrevue de Vestibule Sonore avec Martin Boucher, directeur du Musée des Ondes Émile Berliner.