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Dehors novembre : Une Neon dans la nuit

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Camille a passé un mois à vivre dans sa voiture. Pour lire la première partie de son expérience, c'est par ici.


Ce qui est vraiment difficile, c'est de trouver un bon endroit où parquer son auto.

Avant de partir vivre un mois dans mon char, j'ai lu quelques blogues d'Américains qui vivaient ainsi. Certains sont un peu yolo et se stationnent à peu près n'importe où, et ça semble souvent marcher. Mais comme je n'avais personnellement pas tellement envie de me faire réveiller à 3h du matin par un policier qui me croit en détresse ou par un banlieusard pas content que je dorme devant sa maison, j'ai décidé de m'isoler et d'aller dormir dans des rangs de campagne. Si y a un endroit où t'as la paix, c'est bien dans un cul-de-sac dont le nom commence par « chemin ».

Alors le soir, une demi-heure avant d'être prête à dormir, j'ouvrais Google Maps et je me repérais un secteur pas trop loin de l'endroit où je me trouvais, qui comportait deux ou trois chemins sans issue. 

Des fois ça allait comme un charme : le premier chemin visité était un cul-de-sac tracé entièrement sur une terre à bois inutilisée en hiver. Personne à l'horizon, juste de la grosse forêt. La joie. 

Des fois c'était... un peu moins simple. 

Vous avez probablement remarqué que, rendu à une certaine profondeur dans le Québec régional, la camionnette de Google Maps a abdiqué. Dans ce monde où tu peux te promener virtuellement dans les capitales de tous les pays, il est toujours IMPOSSIBLE de savoir à quoi ressemble tel rang creepy à 5 km de chez toi sans te rendre sur place.

Ce genre d’incertitude peut évidemment vous chambouler une fin de soirée, vous vous en doutez bien.

À ma toute dernière nuit dehors, je me suis dit que je me ferais plaisir : j'allais retourner dormir dans mon meilleur spot du mois, une terre à bois justement, à 12 minutes d’auto de l’endroit où je me trouvais. Ça semblait super simple comme plan, je n'aurais pas à chercher, donc je suis partie assez tard, à minuit quelques. J'étais fatiguée, j'avais hâte d'arriver. 

Une fois sur place, petit problème. Ç’a l'air que finalement, elle est utilisée l'hiver, cette terre à bois. De grosses traces de pneus marquent le chemin, et la barrière dans le fond est ouverte. Fuck. Je ne veux clairement pas de bûcheron suspicieux qui rôde autour de mon char : demi-tour, je sacre mon camp avant de découvrir qui vient ouvrir la barrière d’une terre à bois en pleine nuit un vendredi soir. J’veux pas le savoir, pis encore moins le voir.

De retour sur la grande route, je prends mon cell, scanne les alentours et je repère deux autres chemins potentiels proche. Ça va.

Je me rends donc jusqu'au premier, le rang Warner. Pratiquement rien tout le long, et dans le fond, un club de tir. Ça doit pas être ouvert l'hiver ça, hein Google? 

Sur la page d'accueil du site, en rouge : « Nos installations sont ouvertes toute l'année 7 jours sur 7 de 7h00 à la noirceur! »

Le point d'exclamation à la fin là. Faites-moi pas croire que c’était pas pour me narguer.

Si les services gouvernementaux prenaient exemple sur ce club de tir, la vie serait simple en tabarnouche, que je me dis en fixant mon écran. Mais un peu de focus : je peux pas dormir là, les gens vont arriver tôt le lendemain matin, je risque d'être encore là, ils vont avoir des guns en plus, non, c'est pas une bonne idée.

Bon. Option deux, le chemin Laporte. Une fois sur place, le chemin… n'existe juste pas. Mes yeux se promènent entre le fossé frette et Google Maps qui me promet monts et merveilles si je tourne à droite. Un autre classique. 

Ma fatigue se transforme tranquillement en exaspération, et je me me rends compte à ce moment que je roule depuis un bout dans un brouillard de malade. À travers les brumes, je distingue une pancarte : 

Bienvenue à Ascot Corner. 

Blackout. On dirait que c'était ce qui me manquait pour laisser tomber mon optimisme et basculer dans un mode franchement désagréable. Je chiale après les arbres, le ciel et les vaches, je tourne sec, je maudis les dieux et je monte le volume de ma musique.

Je commence à ressembler à un danger public, mais y a pas grand monde sur les routes de campagne à 1h du matin, que je me dis.

Alors que j’enfonce un peu plus l'accélérateur, un chevreuil décide de se pointer la face comme pour me rappeler qu'on est toujours un peu into the wild, jamais complètement seul.

Oubliez les lions et les serpents; le chevreuil est l'animal qui fait monter l'adrénaline du Québécois moyen le plus rapidement. Je slamme les breaks, mon Thermos plein d’eau bouillante revole de la banquette arrière et vient s’écraser dans mon dos, le chevreuil s'enfuit dans le champ comme un perdu, je shake dans mon char, dans la brume, à Ascot, 1h du matin, Karma Police qui joue dans le tapis.

La vie, les amis. La vie.

***

Roulant à 30 km/h le temps de me calmer, je repère deux autres culs-de-sac. Je passe devant le chemin Larochelle, qui n'est pas entretenu en hiver -- une pancarte l'indique à l'entrée. Comme mon sens critique s'envole précisément à 1h15 AM, je l'essaye quand même. À mi-chemin, je me rends compte que ce n'est pas tant une route qu'une trail qui traverse le champ d'un agriculteur. On voit bien sa maison, d’ailleurs. Suis-je en train d'embourber ma Neon en pleine nuit sur le terrain de quelqu'un? Je pense ben que oui. Pendant que je spinne dans la bouette et la slush, j'invente l'histoire que je raconterai au gars du CAA s'il accepte de venir me secourir dans un chemin fermé. MAIS, mon char étant doté d'une bonne volonté surprenante, je m'en sors avant d'avoir eu à faire l'appel fatidique.

Petite note au cas où c'était pas clair : à ce moment, j'étais un peu à bout.

Je roule vers un dernier cul-de-sac. Celui-là sera le bon, pas le choix. 

Je vais au fond du rang. Y a un petit carré dans lequel sont parqués deux vieux chars enterrés sous la neige, et une espèce de grosse machine agricole. On dirait une cour à scrap artisanale. 

Fuck off. Ma chambre est une cour à scrap, pis ça me dérange même plus. Je me stationne, je me change et me glisse dans mon sleeping sur la banquette arrière. Avant de m'endormir, je regarde par les fenêtres... pis je réalise que la maison la plus proche est ben ben proche.

(Il s'agit d'un bon moment pour vous dire que le seul défaut des campagnards que j'ai de la misère à trouver adorable, c'est celui de se lever exagérément tôt. Je trouve qu'il est inhumain de commencer à travailler avant 10h, mais eux, ils se lèvent parfois à 5h30 pour aller promener le chien, PIS C'EST BEN NORMAL. Anyway.)

Tant pis, ils me réveilleront, ils appelleront la SQ, ils pèteront mes vitres de char. Je suis dans ce bel état esprit, quand on est tellement fatigués que le monde pourrait nous exploser dans la face qu’on dormirait quand même. Fait que plantation de pot, entrepôt de voitures volées, QG d'un gang de rang... Peu importe où je me trouve réellement, je m'endors en deux secondes et quart.

***

Le lendemain matin, je me réveille. Les volutes de Radiohead se sont tues, le silence règne. Je sors doucement de mon auto, et je la contemple, maintenant enterrée sous la neige comme les autres.

Je suis incognito dans une cour à scrap maison, à deux pas d'une bâtisse non identifiée, au bout d'un rang cahoteux. Pis la seule chose à laquelle ça me fait penser… c’est que ça serait un pas pire endroit à réutiliser.

Comme quoi on finit par se sentir chez soi un peu n'importe où, j’imagine.

À suivre...


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