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La rue la plus aimée des Américains

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Comment Big Bird a-t-il appris que son nom avait été mentionné dans l’un des débats de la dernière élection américaine? « J’ai reçu des millions de gazouillis », a-t-il répondu à Seth Meyers de Saturday Night Live, où il a été invité en octobre dernier après que Mitt Romney eut remis en question les subventions octroyées à PBS, le réseau qui diffuse Sesame Street depuis 1969.

La vérité, c’est qu’avec 93 % de financement privé, Sesame Street est l’émission la plus indépendante de fonds publics de la chaîne. Mais le sympathique canari de 8 pieds 2 n’allait pas en tenir rigueur au républicain. Il a plutôt habilement rappelé la place qu’il occupe dans le cœur de tous les Américains qui ont appris l’alphabet à ses côtés en faisant ce qu’il sait le mieux faire : conter des blagues assez subtiles pour plaire aux adultes, mais toujours adéquates pour les plus petits. Gazouillis, oiseau, la pognes-tu, Mitt?

Dans le ventre de Big Bird
À 79 ans, Caroll Spinney, l’homme à l’intérieur de Big Bird, est bien content de pouvoir encore jouer un oiseau de six ans. Au bout du fil, sa voix ressemble à celle de Big Bird, mais moins haut perchée. « Au départ, on avait imaginé Big Bird comme un grand maladroit. Ma voix était plus grave et je sonnais comme quelqu’un de stupide », dit-il, imitant une voix qui ressemble à celle de Barney dans Les Simpson. « Très vite, j’ai décidé que Big Bird représenterait un enfant de six ans débordant de curiosité, plutôt qu’un adulte intellectuellement déficient. Ça ne s’est pas fait du jour au lendemain. Un jour à la fois, j’ai rendu ma voix plus aiguë », m’explique-t-il, se transformant instantanément en Big Bird.

Encore aujourd’hui, il arrive à Spinney de donner son avis sur les personnages qu’il côtoie depuis 45 ans. « Parfois, certains auteurs imaginent Oscar comme un méchant, alors qu’Oscar n’a rien de malin. Il est irritable, un peu bougon, peut-être, mais il viendrait en aide à n’importe quel enfant en détresse », dit celui qui endosse également ce rôle depuis les tout premiers débuts, inconfortablement coincé dans une poubelle, le bras dans les airs. Incarner Big Bird n’est pas beaucoup plus commode : la mascotte est si grande qu’il faut actionner sa tête avec le bras droit bien haut.

A-t-il un biceps disproportionnellement musclé? « Non, j’entraîne l’autre pour compenser », révèle-t-il, précisant qu’il aurait peut-être besoin de s’entraîner un peu plus pour faire monter Big Bird sur un unicycle comme il le faisait il y a vingt ans. Pour l’aider à jouer son personnage, un petit moniteur à l’intérieur de son costume lui renvoie l’image que les enfants voient à la télévision. « Au début, je n’avais pas ce dispositif, se souvient-il. Si vous écoutez la première saison, vous verrez que Big Bird regarde n’importe où! »

Une réussite instantanée

Cela n’a pas empêché Sesame Street de remporter un succès phénoménal dès sa première année, en 1969. « L’audience était au rendez-vous dès le départ. On savait qu’on tenait quelque chose », se rappelle Lloyd Morrisett, le père de Sesame Street. À ce moment-là, 7 millions d’enfants regardent l’émission chaque jour. L’année suivante, Big Bird fait la une du magazine Time, qui déclare Sesame Street « meilleure émission pour enfants de l’histoire de la télé » et l’émission remporte vingt récompenses, dont trois Emmy.

Mais bien que Big Bird reçoive des montagnes de lettres, il n’a pas que des admirateurs. Plusieurs jugent que ce programme pour enfants contient trop de personnages féminins forts et trop de « gens de couleur ». Vingt ans avant la saison ethnique de Passe-Partout, une famille afro-américaine formée de Gordon et Susan occupe l’avant-plan de Sesame Street. C’est trop pour l’État du Mississippi qui, en 1970, décide d’en suspendre la diffusion. Mais ce qui choque plus encore que la mixité raciale de Sesame Street, c’est son décor : la rue.

Au lieu d’évoluer dans un paysage champêtre, Cookie Monster, Grover, Bert et Ernie se rencontrent dans cette rue assez trash pour qu’un monstre puisse sortir d’une poubelle cabossée. Cette ressemblance avec les rues du Lower East Side de New York est loin d’être fortuite. « Pour parler aux jeunes des quartiers défavorisés, nous devions leur montrer un environnement auquel ils pouvaient s’identifier, se souvient Lloyd Morrisett. Et l’environnement de ces enfants-là, c’était la rue. »

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Illustration : Gabrielle Laila Tittley

Boss de la toponymie à Montréal

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Qu’est-ce que l’ensemble des noms de rues nous dit sur Montréal?

Ils laissent des traces de différentes époques. Par exemple, il y a une rue de l’Hôpital dans le Vieux-Montréal, mais il n’y a plus d’hôpital. C’est le nom qui nous dit ce qu’il y avait sur place. Au milieu du 19e siècle, les rues ont été nommées d’après les propriétaires terriens, leurs familles. Et si on regarde dans le quartier NDG, les choix qui ont été faits au début du 20e siècle sont inspirés de villes d’Angleterre. Sur le plan historique, c’est très riche comme information.

Comment s’y prend-on aujourd’hui pour nommer une rue?
Soit on a un lieu à nommer et on doit lui trouver un nom, soit, à l’inverse, on « reçoit » un nom pour lequel on veut trouver un lieu. On évite aussi de changer le nom d’une rue, parce qu’on veut que la toponymie conserve sa mémoire.

Est-ce que vous recevez beaucoup de propositions de noms?

Oui, on en reçoit de toutes les sortes. Surtout quand un artiste décède, comme c’est arrivé avec Oscar Peterson ou Lhasa de Sela. On a une banque confidentielle dans laquelle on verse les noms qui mériteraient d’être ajoutés dans la toponymie, mais pour lesquels on n’a pas de lieux. On en a au-delà de 500.

Qu’est-ce que les gens veulent commémorer aujourd’hui?
Les personnages les plus connus du grand public dans les domaines de la culture, de la politique et des sports. Et on va essayer d’inclure à ça d’autres noms qui sont moins connus, comme des scientifiques qui ont fait des avancées incroyables et qui viennent de Montréal, ou ont travaillé ici.

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Photo : Daphné Caron

Garbage Beauty

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Une vieille commode a d’écrit derrière elle « Ne parlez pas dans mon dos ». Une armoire à glace annonce être « un simple reflet d'elle-même », le mot reflet se réfléchissant dans le miroir, et une télé s'étonne de finir à la rue : « Pourtant, le courant passait bien… »

Les gens s'arrêtent, admirent, sourient, et repartent même parfois avec l'objet. De plus en plus de fans guettent pour voir si « les gars qui font ça » vont passer, histoire de récupérer pour chez eux les morceaux qui passent ainsi du statut d'ordures à celui d'œuvres d'art. Tant mieux, car c'est aussi ça, l'idée de Garbage Beauty : faire réfléchir les gens sur la surconsommation. « Si quelqu'un ramasse un de ces meubles au lieu d'acheter du Ikea flambant neuf, on est ravis ! »

Garnements de la plume

Quand ils étaient ados, c'est-à-dire il n'y a pas très longtemps, Olivier, Vincent, Étienne et Romain passaient beaucoup de temps en classe à gribouiller dans leurs cahiers, à dessiner sur les tables, à laver les tables. Ils traînaient déjà dans les rues à la recherche de beaux murs blancs à couvrir de graffitis. Quelques tours à la case prison ont été nécessaires pour réajuster leur orientation et trouver la bonne école pour eux : celle de la calligraphie.

C'est là qu'ils se sont transformés en psychopathes de la courbe, en obsédés de pleins et de déliés, passant parfois jusqu'à 10 heures par jour à travailler des types d'écriture très techniques, comme l'anglaise, qui est leur raison de vivre. On exagère à peine.

Pour réaliser des onciales (ces belles lettrines de pierre tombale) et des nuances d'épaisseurs, ça prend plus qu'un stylo bille : leur truc à eux, ce sont les beaux marqueurs qu'ils collectionnent et chérissent. Sharpie Paint, Posca, Molotow, On The Run... Leurs joujoux sont fabriqués au Japon pour la plupart. Ils les achètent dans des boutiques spécialisées, sur le Web ou à New York, entre 10 et 100 dollars. Et selon eux, « y a rien comme la première fois avec un beau marqueur tout neuf ».

Le fond et la font


Pour eux, la calligraphie est presque un art martial. À la limite de la méditation, c’est un délire clairement individuel; pourtant, c'est l'esprit de compétition qui les stimule plus que tout. Une fois en mission, ils jugent du niveau de chacun et la pression monte : chaque pièce doit être une coche au-dessus de la précédente. Ils se souviennent du jour où l'un d'eux est arrivé avec une gothique impeccable : « OK, donc toi, t’es le gars de gothique, et c’est là que tu places la barre ? » Le défi était lancé: réaliser une gothique plus que parfaite.

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Photo : Christian Blais

Sam the Wheels, la mémoire de Brixton

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Pour voir plus de photos de Sam the Wheels, cliquez ici!

Clovis Salmon  a quitté la Jamaïque en 1954. À son arrivée à Londres, il fabriquait des roues pour Holdsworth Cycles, « les plus solides au monde ». C’est d’ailleurs à cette époque qu’une collègue lui donne le nom de Sam the Wheels. Aujourd’hui, à plus de 80 ans, il ne les fabrique plus, mais les répare (avec le reste du vélo) dans sa shop installée sur le trottoir devant sa maison.

Mais ce n’est pas pour ses talents de mécanicien qu’on s’intéressait à lui.

Depuis 50 ans, avec sa caméra, Sam documente des rues de Brixton, un petit quartier du sud de Londres. David Bowie y a passé son enfance, et la communauté jamaïcaine exilée y a élu domicile. Une amie nous avait parlé de lui et de ses films. C’est une véritable mémoire vivante que nous allions rencontrer.

Jamais sans mon Kodak
Notre premier contact est toutefois un peu difficile. À plus de 80 ans, il n’est pas à moitié sourd, mais plutôt aux sept huitièmes; il a fallu lui expliquer deux fois qu’on voulait l’interviewer pour parler de la rue, pas acheter de vélo. « Vous êtes venus voir la bonne personne! » Vêtu de son bleu de chauffe, Sam est occupé à graisser les pignons d’un antique vélo de course. Il nous donne rendez-vous la journée suivante. « Bring some money », nous avertit-il. Ce sera pour prendre des photos de lui; la célébrité, ça (se) paye.

Le lendemain, dimanche, on est prêts à rencontrer Sam. On l’aperçoit au loin, de retour de l’église. Il a troqué son suit huileux pour son costume, veste, cravate et chapeau melon. Un vrai habit du dimanche. Il nous salue et nous invite à entrer.

Comme en Jamaïque, la rue est une extension de la maison : Sam a installé son atelier à sa porte, dans la rue, parce qu’il n’avait pas assez de place dans sa maison et que la rue devant chez lui est aussi chez lui. On doit traverser des roulements à billes et des vieux pneus de bicyclette pour entrer dans son salon. Sam nous fait une petite place sur son vieux sofa en tassant une pile de journaux. Trois télévisions nous entourent, trônant dans un bric-à-brac d’objets religieux et de vieille vaisselle, un fauteuil est posé en équilibre sur la table du salon et des bobines de ses films recouvrent un mur. C’est officiel, Sam a un petit côté antiquaire et hoarder.

Sam replonge dans ses souvenirs. « Où que j’aille, je prenais ma caméra avec moi. Ma femme ne comprenait pas pourquoi et je lui disais : on ne sait jamais, il pourrait se passer quelque chose dans la rue que je voudrais filmer. Si je n’avais pas ma caméra, j’aurais seulement pu dire aux gens j’ai vu ça, alors qu’ils me croyaient lorsque je leur montrais mes images. J’ai donc toujours emporté ma caméra avec moi dès que je sortais, prêt à filmer tout ce qui se passait dans la rue. »

Au départ, il ne souhaitait que filmer les petits événements de sa communauté. Il filmait les rues de Brixton, les gens sortant de l’église, les petits détails des marchés extérieurs. Quand je lui crie pour la troisième fois ma question  « POURQUOI FILMER LA RUE? », il ne prend pas la peine de répondre tant la rue est une extension de sa vie : cela va de soi. Mais Sam me demande comment j’ai entendu parler de lui. Je lui parle de mon amie qui vit dans le quartier et, un petit sourire aux lèvres, il glisse : « Oui, tout le monde me connaît, tout le monde connaît Sam. »

On le connaît surtout depuis qu’il a été le seul à avoir filmé les émeutes qui ont secoué le quartier, en 1981.

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Photo : Valérique Paquette

Flashs sur Arles in Black

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Je pourrais vous parler de cette ville mythique, des arlésiennes, de ses corridas ou de sa situation géographique stratégique. Des informations dignes d'un petit guide touristique vert ou accessible en un clic sur vos écrans mobiles. Je choisis plutôt de vous parler d'un moment important pour tous les publics, amateurs ou spécialistes de photographie, les 44e Rencontres d'Arles qui se déroulent du 1er juillet au 22 septembre 2013. Cinquante expositions, cinquante stages sont offerts dans un parcours vertigineux investissant toute la ville, de lieux patrimoniaux les plus inusités. Le cloître Sainte-Trophine (XIIe siècle), un hôtel, une école de photographie internationalement connue, la place du Forum, l'espace Van Gogh, le théâtre d'Arles, ainsi que des églises, constituent une partie de cette topologie. Plus étonnant encore est le Parc des anciens ateliers SNCF, paysage fantomatique, vestige de la glorieuse époque industrielle, qui devient, le temps des Rencontres, un espace dédié à la photographie grand format au cœur des reliques de fer et de briques. L'expérience du visiteur n'en est que plus magique.

Festival annuel de la photographie, il fut fondé en 1970 par le photographe arlésien Lucien Clergue, l'écrivain Michel Tournier et l'historien Jean-Maurice Rouquette. Depuis, Les Rencontres n'ont pas cessé d'attirer son public avec une programmation composée de productions essentiellement inédites. En 2011, c'est 84 000 spectateurs qui s'y sont pressés. Des musées ainsi que des instituions françaises et étrangères collaborent régulièrement à leurs productions. Nombreux sont les photographes qui ont été révélés, démontrant le rôle de ce festival en tant que tremplin pour la photographie et la création contemporaine. Contrairement à d'autres événements photos, les Rencontres privilégient le point de vue de concepteurs de divers horizons, permettant un certain éclectisme, allant des photos de guerre en passant par des paysages ou des portraits sociologiques. Depuis que je les fréquente, plusieurs artistes se sont vus confier la programmation. Ce fut le cas de Martin Parr en 2004, Raymond Depardon en 2006, le couturier Christian Lacroix en 2008 ou Nan Goldin en 2009. L'année Raymond Depardon et ses amis demeure mon coup de cœur.

Cette année, le titre a immédiatement retenu mon attention. Arles in Black marque un tournant dans le retour du questionnement des photographes sur le choix du noir et blanc. En visitant les expositions, j'ai été frappé de la similitude de ce qui se dégageait du travail de divers artistes et des réflexions menées au sein de ma thèse de doctorat fraîchement achevée, portant sur le retour de la matérialité dans la production graphique depuis les années 2000. Là devant moi, en lisant les divers articles couvrant le festival, je me suis aperçu qu'il s'agit d'un phénomène similaire qui se produisait dans la manière dont certains photographes se réappropriaient leur médium. François Hébel, directeur des Rencontres, le souligne en ces termes :

« Cela peut paraître un paradoxe : c'est dans un esprit de découverte que les Rencontres d'Arles proposent en 2013 un parcours radicalement noir et blanc. Jusque dans les années 1980 la couleur est regardée avec mépris, tandis que le noir et blanc est la photographie d’art par essence. Le lent déclin du noir et blanc débute dans les années 1990 lorsque la couleur s’installe avec son lot de progrès techniques (films et tirages argentiques) et que le marché de l’art porte un intérêt soudain à la photographie, numérotant les tirages et starifiant de jeunes photographes. Le noir disparaît presque totalement après 2000, la couleur installant sa suprématie dans toutes les pratiques de la photographie avec l’essor du numérique.

L’effacement du noir et blanc a entraîné avec lui l’abandon de l’album de famille et de la photo peinte. Avec la couleur sont apparus des tirages plus grands, des installations, des diffusions numériques. Le statut du photographe, qu’il soit artiste, amateur ou professionnel, sa relation au sujet, au modèle ou tout simplement à la création, sont transformés par la disparition du mystère du révélateur et de l’artisanat de la chambre noire. Quelle place le noir et blanc occupe-t-il aujourd’hui? Réalisme ou fiction, poésie, abstraction ou pure nostalgie ?» (François Hébel, directeur des Rencontres d'Arles)

Une question fondamentale se révèle au fur et à mesure que l'on visite les divers lieux d'expositions. Le noir et blanc n'est-il pas un retour aux fondamentaux, ceux plus proches du créateur qui manipule et joue de sa caméra mais aussi des supports et des techniques qui, aucun doute ici, sont faits de métissages en tout genre?

Chose certaine, la matérialité de la photographie est partout, dans ces 44e Rencontres, qu'il s'agisse du support ou de la technique comme les formats géants de Lauren Bon qui, à partir d'une caméra obscura, des négatifs papier et des épreuves gélatino-argentiques de grandes dimensions nous offre des images étonnantes en se livrant à une interprétation des éléments centraux de la photographie analogique et de la conquête de l'Ouest américain.

Ailleurs, les sujets photographiés sont révélés dans leurs grains, le galbe des corps, etc. Parfois, de vieux papiers photos sont réutilisés, des images sont repeintes à la peinture à l'huile comme dans le cas du Studio Fouad à Beyrouth et Van-Leo au Caire. Les collages et les montages photographiques sont légions et laissent apparaître les traces des collages. Celles de l'homme sur la nature sont présentent à plusieurs reprises et celles sur le support sont renforcées par la matérialité même des lieux où les tirages sont exposés.

Une autre caractéristique marquante de ces Rencontres, : les installations qui s'étalent parfois au centre des lieux d'exposition, me questionnant sur la valeur de telles initiatives au cœur d'un événement dédié au médium photographique, en particulier lorsque ces interventions relèvent de l'art contemporain et détournent le visiteur du propos des images exposées. Pourtant, il faut souligner celle d'Érik Kessels, 24 hrs of Photos, qui provoque un temps d'arrêt. En se basant sur des sites de partage d'images comme Flickr, de réseaux sociaux comme Facebook et de moteurs de recherche d'images, il imprime toutes sortes d'images mises en ligne en l'espace de 24 heures pour ensuite les déverser dans un espace physique, tangible. Le sentiment de se noyer au milieu des représentations des expériences des autres est perceptible.

Cette programmation consacrée principalement au noir et blanc, se démarque par des points de vue émergents suite aux événements vécus dans la dernière année au Zimbabwe, par exemple, avec la force des images de Robin Hammond avec Your wounds will be named silence, ou au Liban, en Égypte et en Éthiopie. Remarqué, le travail du photographe libanais Samer Mohdad avec ses Visions accomplies : Les Arabes , « un bilan des temps forts de cette œuvre qui se lit comme une exploration fouillée de la diversité et de la complexité des mondes arabes, traversés depuis trois décennies par de formidables enjeux géopolitiques, confessionnels et sociaux » (Commissariat : Danièle Martinez). Autant de regards taillés dans le vif et des images crues que le noir et blanc tend à renforcer, ne laissant à notre œil aucune autre distraction que celle du sujet lui-même.

Mais un festival de la photographie ne perd pas l'occasion de faire découvrir des photographes marquants. C'est ainsi qu'un Jacques Henri Lartigue nous donne à voir une tranche de vie des années 1920, teintée de nostalgie, de faste et de décadence d'une bourgeoisie qui cherche à explorer et repousser les limites. « Et maintenant à vous, modestes photographies, à faire ce que vous pourrez — bien peu je le sais— pour tout raconter, tout expliquer, tout faire deviner... Tout, même et surtout, ce qui ne se photographie pas. » (Jacques Henri Lartigue, Journal, 1931).

Il y a des coups de cœur. D'abord le grand Guy Bourdin, si graphique lorsqu'il réalise les campagnes des chaussures Charles Jourdan et surtout si créatif avec des récits surnaturels et son traitement précurseur des couleurs saturées. Ce radical, cet être intense va de 1955 à 1990, marquer les pages de mode des magazines Vogue France, Harper's Bazaar et donner leurs images à des couturiers comme Yves Saint Laurent, Chanel ou Versace.

Puis, ce fut Sergio Larrain qui a traversé le monde de la photographie telle une météorite mais dont le travail est à découvrir sans attendre. Son approche à la fois sociale et poétique retiendra l'attention de l'agence Magnum, dont il devient membre. Il fixe sur papier le Chili du peuple. Au zénit de sa carrière il se retire dans un petit village chilien où il vit reclus, pratiquant le yoga et la méditation. Ces Rencontres nous permettent de découvrir un travail d'une grande finesse et d'une valeur testimoniale indéniable.

Plus ironique fut l'œuvre d'une jeune photographe espagnol, Cristina de Middel, avec son projet The Afronauts. Elle relate avec humour l'aventure spatiale avortée de la Zambie en 1964 et dont l'objectif était d'envoyer le premier Africian sur la Lune. Un récit croustillant qui permet à l'auteur d' « inviter le public à s'interroger sur le langage et la véracité de la photographie en tant que document, en jouant avec les reconstitutions ou les archétypes qui brouillent les frontières entre réalités et fictions. » (Cristina de Middel, 2013.)

Une découverte : celle d'un autodidacte de la photographie, Gilbert Garcin. Vendeur de luminaires à Marseille, il s'inscrit à l'âge de 66 ans à un atelier offert lors de l'édition des Rencontres de 1995. Il y pratique le photomontage et imagine à partir de sa propre silhouette un personnage universel, tout droit sorti de l'univers de Tati. Dans son univers noir et blanc surprenant, oscillant entre surréalisme et dadaïsme, le charme s'opère. On ne peut qu'être ébahi qu'en l'espace de vingt ans, grâce à une méthode rigoureuse du maintien d'un essai photographique hebdomadaire, il ait réussi à se constituer un corpus de plus de 400 photographies. Chaque cliché le met en scène et parfois même il y ajoute sa femme. J'en reste encore coi.

Finalement, la rétrospective d'un très grand, Gordon Parks, présentée pour la première fois en France sous le titre : Une histoire américaine. Alessandro Mauro, commissaire de l'exposition écrit, « Dans un pays qui a fait de la figure du pionnier une source mythologique de l'héroïsme national, la biographie de Gordon Parks prend des allures d'épopée ». Cette phrase seule résume la visite qui nous fait revivre des moments forts de l'histoire américaine. Il est par le premier journaliste à réaliser un reportage sur les gangs de Harlem en 1948 ou le premier photoreporter noir à intégrer l'équipe du magazine Life. Il est le premier réalisateur afro-américain à s'imposer à Hollywood avec le film Shaft en 1971. Chacune des photographies exposées est un commentaire puissant du photographe qui nous offre ses sujets en partage tout en soulignant la gravité de ses propos lorsqu'il s'engage contre la discrimination et le racisme :

« Ce que je veux, ce que je suis, ce que vous m'obligez à être, c'est ce que vous êtes. Car je suis vous, et je vous dévisage dans le miroir de la misère et du désespoir, de la révolte et de la liberté. Regardez-moi et comprenez que me détruire, c'est vous détruire vous même. Il y a en chacun de nous quelque chose de plus profond que notre sang ou notre couleur de peau : notre aspiration commune à une vie meilleure, à un monde meilleur. Regardez-moi. Écoutez-moi. Tentez de comprendre mon combat contre votre racisme. Il n'est pas trop tard pour que nous vivions ensemble en paix sous ces cieux agités » (Gordon Parks, « The Cycle of Despair », Life, 8 mars 1968).

Un parcours et une œuvre qui ne laissent personne indifférent.

Hormis les photographies, il y a la signalisation des Rencontres que réalise chaque année l'atelier du graphiste Michel Bouvet, affichiste français incontournable et mondialement reconnu pour son travail sur l 'affiche culturelle. Le temps du festival, la ville est habillée par les affiches, les bannières, le programme et le merchandising en tout genre, dont la particularité provient, à mon sens, du concept choisi pour représenter un festival de photographie, c'est à dire aucune photo. J'ai eu l'occasion de poser la question au graphiste, lui-même grand amateur du médium photographique. Sa réponse fut simple. N'étant pas un photographe professionnel, il ne pouvait imaginer produire une identité visuelle à partir d'une telle représentation. Par ailleurs, comment exprimer la diversité des points de vue dans une seule image photo et laquelle privilégier sans être au détriment des autres?

Sa solution à ce problème réclamait une grande confiance de la part de ses commanditaires car, chaque année, il propose de produire un visuel illustratif, très coloré et qui, jusqu'à présent, a connu deux déclinaisons : les légumes et les animaux. Citron, poivron, haricot ont laissé place au rhinocéros, coq, renard et cette année au cygne. Il faut être un maudit bon graphiste pour s'en tirer si facilement! Le pire, c'est que ça fonctionne et que a se démarque. Reconnaissable par le contour singulier entourant les illustrations et la conception du caractère de titrage, l'Arlésienne, l'identité visuelle des Rencontres laisse une trace mémorable et reconnaissable de cet événement. Bref, encore une preuve, graphistes de ce monde, qu'avec un peu d'éducation de vos clients, des arguments bétons et une vraie vision, le monde vous est ouvert.

Mais un tel événement ne serait pas complet sans son lot de moments cocasses comme ce couple déambulant dans les rues de Arles avec leurs deux caniches dans une poussette pour enfants. Un couple tout a fait équilibré et bien dans sa peau. Ou cette employée municipale qui vous claque la porte au nez car vous avez osez vous aventurer dans une salle d'exposition à 19h00 alors qu'elle ferme à 19h30! Pour finir, on remarque des hordes de visiteurs qui ressentent le besoin de parader avec leur appareil photographique dernier cri, mais pour photographier quoi, me demandais-je? Qui vient dans un festival de photographie avec son appareil photo rutilant, à moins qu'il y ait une compétition ou une rivalité dont je ne sois au courant?

À noter que si vous manquez les Rencontres cette année, sachez que la photographie se déploie dans toute la ville. Sur les murs, dans les recoins de chaque ruelle, près d'un Fotoautomat, elle insuffle son dynamisme et nous renvoie des images de nous et des autres. Elles marquent ce territoire arlésien comme autant de traces que l'humain laisse sur son lieu de vie. De manière surprenante, elle remplace même le graffiti. Sa matérialité, qui une fois affichée sur un morceau de ciment se dégrade lentement, colle à l'image que la photographie est proche de nous. Elle est archive ou éphémère, témoignage ou coup de force. Dans tous les cas, elle a trouvé à Arles un lieu d'expression unique que je vous enjoins de découvrir car chaque année face à tous ces regards on ne peut rester insensible et se remettre en question face à la force d'expression de ce médium.

World Press Photo 2013: Un parcours commenté

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Pour chaque photo, les commentaires audio suivent au-dessous...

Syrie Under Siege: Alessio Romenzi





Gaza Burial: Paul Hansen




La course de buffle en Malaisie: Wei Seng Chen




Sumo: Denis Rouvre




Migration et prostitution: Paolo Patrizi




L'ennemi Intérieur: François Pesant




The Other War: Miquel Dewever-Plana




Question bonus: Comment fait-on pour devenir photojournaliste?


Le World Press Photo 2013 Montréal se tient jusqu'au 29 septembre. Marché Bonsecours, 325 rue de la Commune. 10h à 22h

Finir ses études au lieu d’en finir

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Le Spécial ÉTUDIANTS sera disponible en kiosque et en version numérique dès vendredi!

J’ai tendance à balayer mes difficultés sous le tapis et je ne suis pas la seule. Le temps est venu de lever le tapis, parce pour plusieurs les études s’accompagnent aussi de stress, d’anxiété, de dépression et de suicide. Et ça aussi, il faut en parler.

J’étais de retour à la maison pour les vacances des fêtes après ma première session d’université. J’avais essayé d’être une superwoman : tenter d’obtenir des A pour maintenir une bourse, m’impliquer pour garnir mon CV, parcourir des centaines de kilomètres les weekends pour visiter mon copain, ma famille, mes amis… Il y avait aussi un côté sombre à jouer les super héros : stress, insomnie et migraines. J’aurais malgré tout dû rentrer la tête haute, impatiente de partager mes petites victoires avec mes proches. J’avais plutôt la mine basse et je n’avais envie de parler à personne. J’étais au bout du rouleau.

Ce soir-là, ma mère a cogné à la porte de ma chambre m’invitant, pour la énième fois, à venir souper avec le reste de la famille. Je me suis énervée et j’ai refusé, baragouinant des trucs pas très gentils. Elle est ressortie les yeux pleins d’eau. De nouveau seule dans ma chambre, ma conduite m’a révoltée! J’aurais voulu aller m’excuser, mais ça me paraissait impossible tellement j’étais exténuée. Dans un instant de désespoir, j’ai eu le sentiment que je rendrais service à tout le monde si je disparaissais. C’était la première fois que j’avais une pensée aussi sombre. C’était assez pour me faire peur. Assez pour me pousser à réévaluer mes priorités et à aller chercher du support pour reprendre le contrôle de la situation.

À chaque étudiant son histoire

Je me sentais alors très seule dans mon désarroi. Et pourtant… Un sondage national réalisé en 2004 a révélé qu’un étudiant universitaire canadien sur trois souffre d’un problème de santé mentale et qu’un sur dix a songé à se suicider. Un étudiant sur cent aurait même fait une tentative de suicide, selon une étude menée à l’University of Alberta en 2011. Comment en sont-ils arrivés là? Plusieurs facteurs de risque, comme la génétique, les variables sociodémographiques ou la présence de troubles de santé mentale, entrent en ligne de compte. Il y aussi les difficultés scolaires, monétaires, les ruptures... En réalité, chaque étudiant a sa propre histoire.

D.J. avait 19 ans et débutait la deuxième année de sa formation en radio lorsque son moral en a pris un coup : « C’était comme si mon cerveau s’était éteint. Je me rendais en cours, puis je passais la journée à regarder le plafond. Je n’avais plus la motivation de continuer. Je faisais un stage dans une station de radio, mais j’avais l’impression que ça n’irait nulle part. » Il a finalement décroché et a laissé tombé la radio pour travailler dans une compagnie de location de voitures. La situation est devenue insoutenable lorsque sa tante est décédée et que sa mère a entrepris une lutte contre le cancer. « Je suis entré dans un état d’esprit où je me suis dit: ‘’Ça y est, c’est fini. Ça ne vaut pas la peine de sortir de chez moi demain matin.’’ Ce n’était pas une décision consciente », ajoute-t-il les yeux humides.

Il s’est rendu chez une amie pour voler les médicaments qu’il comptait ingérer pour mettre fin à ses jours. « Elle m’a pris sur le fait. J’ai voulu partir, mais elle a fermé la porte à clé et m’a gardé avec elle pendant quatre jours. On a parlé du suicide ouvertement, on a fait le tour de la question. » Il poursuit la gorge serrée: « Après ces quatre jours, j’avais l’impression d’avoir une amie qui tenait vraiment à moi. Elle m’a sauvé. Elle m’a permis de croire que quelque chose de bien allait m’arriver. » Et elle avait raison. D.J. est de retour à la radio et sa mère est en pleine forme.

Les étudiants plus que les autres?
Au cours des dernières années, les médias internationaux ont rapporté quelques séries de suicides dans les universités : six morts en autant de mois à la Cornell University aux Etats-Unis, cinq suicides rapprochés dans une prestigieuse université de Corée du Sud, six morts incluant quelques suicides en un an environ à Queen’s University au Canada… Ces chiffres, souvent présentés hors contexte, s’additionnent dans notre imaginaire collectif, créant parfois l’impression que les étudiants universitaires sont particulièrement à risque. Des études menées en Angleterre et aux États-Unis ont cependant révélé que le taux de suicide chez les étudiants universitaires serait le même, voire moins élevé, que celui des jeunes du même âge qui ne sont pas sur les bancs d’école. Le suicide reste malgré tout la deuxième cause de décès, après les accidents de la route, chez les Canadiens de 10 à 24 ans.

Au Québec en 2010, c’est plutôt chez les adultes de 35 à 64 ans, en particulier chez les hommes, que le taux de suicide était le plus élevé. Philippe Roy, doctorant en service social à l’Université Laval, a étudié le suicide masculin de près. Il s’est notamment intéressé aux agriculteurs, un groupe particulièrement à risque à cause de l’isolement et de la rareté des ressources de soutien. Il avance que le milieu universitaire offre, en comparaison, plusieurs facteurs de protection pour les étudiants: « C’est un milieu de socialisation. On se fait des amis, des collègues, ce qui peut avoir un impact très positif. » L’accès à des ressources de soutien sur le campus légitime aussi la demande d’aide: « J’ai travaillé dans une maison d’hébergement pour personnes suicidaires et le plus grand impact que ça avait c’était de traverser la porte. Les gens se rendaient compte qu’ils n’étaient pas les seuls à vivre de la détresse. Briser l’isolement favorise beaucoup le rétablissement. »
 
Remonter la pente
La route vers la guérison peut être aussi longue et complexe que celle vers le suicide. « Ce qui ne tue pas nous rend plus forts », m’écrit Jasmine* dans l’un de ses courriels. Tout comme D.J., la designer graphique dans la mi-vingtaine a appris ce dicton à la dure. Elle avait 17 ans lorsqu’elle a tenté de se suicider: « J'avais perdu mon chum alors qu’on pensait faire notre vie ensembles et j’ai réalisé que ce que je faisais à l'école c'était poche. C'était un échec pour moi. C’est dur à cet âge-là de faire des choix qui te définiront pour le reste de ta vie. » Un soir, elle a craqué. « J’étais saoule et désespérée. J’ai agi sur le moment. Je ne voulais pas vraiment mourir, je voulais arrêter d’avoir de la peine et que quelqu’un s’occupe de moi. » Elle a avalé un pot de pilules et s’est réveillée à l’hôpital le lendemain: « C'était la pire journée ever. La honte, la colère, le mal aussi. J’avais les reins en feu. » Ses amies l’ont aidée à se remettre sur pied, Rebecca* en particulier. Elle est décédée dans un accident de voiture un mois plus tard. « Tous mes espoirs sont partis en même temps qu’elle », explique Jasmine.

Elle a malgré tout tenu bon et a poursuivi ses études tout en remontant la pente: « L'aide psychologique m'a été d'un grand secours. J'ai aussi arrêté de boire pendant 6 mois. Il fallait que je m'éloigne des choses et des gens qui me déprimaient, parce que malgré toute ma volonté, je restais fragile. » Sept ans plus tard, il lui arrive encore de penser au suicide: « Il y a eu des moments difficiles, mais je me suis toujours dit que je ne me suiciderais pas par respect pour Rebecca. » Elle termine notre échange sur un autre dicton: « J'ai appris à me connaître, à être seule et l'apprécier. Comme on dit, il faut s'aimer soi-même dans la vie avant d'aimer qui, ou quoi que ce soit. Ça ne se fait pas du jour au lendemain. »

Jasmine reconnait qu’elle a eu « besoin de se rendre vraiment bas » avant d’aller chercher de l’aide. Un conseiller psychologique me confie, sous le couvert de l’anonymat, que les étudiants sont si nombreux à franchir la porte de son bureau que son équipe ne parvient plus à répondre à la demande. Comme Jasmine, la plupart des étudiants universitaires attendent que la situation devienne insupportable avant de le contacter. Pourquoi? « Parce que, m’explique-t-il, bien que les mentalités évoluent, un tabou persiste. »

Briser le silence
Il m’a fallu tout mon courage pour me dévoiler dans l’introduction de ce texte, pour mettre à jour toute la poussière cachée sous le tapis. Les volontaires ont été nombreux lorsque j’ai sollicité de l’aide pour cet article, mais le plus souvent sous le couvert de l’anonymat. Qui a envie de crier au monde entier qu’il a déjà eu des problèmes de santé mentale ou tenté de s’enlever la vie? « L’idée de se faire étamper ‘’Ça ne va pas là-dedans!’’ sur le front est effrayante, confesse D.J.. Ça fait peur de penser que cette étiquette va peut-être nous coller à la peau. » Il préfèrerait que son entourage ne voie que son côté joyeux et pétillant, mais le désir de faire avancer la cause l’emporte. « Si je sens que quelqu’un est déprimé, je vais veiller sur lui. Je vais partager ce que j’ai vécu, parce qu’en parler ouvertement ça fait vraiment une différence », conclut-il. 

Le Spécial ÉTUDIANTS sera disponible en kiosque et en version numérique dès vendredi!

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Si vous avez besoin d’aide ou si vous êtes inquiet pour l’un de vos proches, contactez le 1-866-APPELLE (partout au Québec) ou visitez le cpsquebec.ca

* Les prénoms de certains participants ont été modifiés pour préserver leur anonymat.

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L’Organisation mondiale de la Santé estime que près d’un million de personnes s’enlèvent la vie chaque année. Cela représente un suicide toutes les 40 secondes. Il y aurait 20 tentatives de suicide pour chaque suicide complété.

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1089 personnes se sont enlevé la vie au Québec en 2010. Cela représente 13,7 décès attribués au suicide par 100 000 personnes. Le risque de suicide était 3 fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes. Le taux de suicide le plus élevé a été observé chez les hommes de 35 à 49 ans (34,1) et le plus bas chez les adolescents de 15 à 19 ans (5,6). Le taux de suicide québécois connaît une tendance à la baisse depuis les années 2000. (Selon un rapport de l’Institut national de santé publique du Québec)

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Taux de suicide dans le monde (par 100 000 personnes, selon les plus récentes données de l’Organisation mondiale de la Santé.)
États-Unis: 11
Canada: 11,3
Irlande: 11,8
Québec: 13,7
Moyenne mondiale: 16
France: 16,3
Belgique: 19,4
Japon: 24,4
Corée du Sud: 31

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Selon plusieurs recherches, les étudiants de médecine souffrent davantage de problèmes de santé mentale que le reste de la population. Environ 50% des étudiants de médecine auraient fait un burnout et 10% auraient eu des idées suicidaires. Même s’ils ont en apparence un meilleur accès aux services de soin, ils seraient moins nombreux à aller chercher de l’aide que le reste de la population. Certaines études suggèrent que c’est parce qu’un tabou persiste à propos des troubles de santé mentale dans le domaine: de nombreux étudiants de médecine auraient peur de nuire à leur carrière s’ils révèlent leurs difficultés.

Tests de dopage

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Coke, speed, ecstasy, meth ou bien héro, j’ai touché à peu près tout ce qui se fait comme drogues. À mon tableau de chasse, il manquait cependant les smart drugs. Comme tout le monde, j’en avais entendu parler ici et là dans des reportages aux titres alarmants, du genre « Nos cerveaux de demain : tous des drogués ? »

Je n’avais jamais essayé les smart drugs parce qu’en fait, je n’en avais jamais eu le désir. Je me drogue pour me changer les idées — « pour fuir » diront les psycho-quelque chose —, ou pour m’amuser tout simplement. Les seules autres fois où je consomme des psychotropes, c’est lorsque je suis en période de création.

Ce numéro Étudiants devenait donc l’occasion rêvée de faire de nouvelles expériences.

Première étape : trouver des smart drugs. Par le passé, un soir où j’étais mal pris, j’ai osé lancer un appel à tous sur Facebook pour trouver de la moulée à danseuse. Cinq minutes plus tard, j’avais le numéro de cell d’un livreur. J’ai donc utilisé la même technique pour les smart drugs. À ma grande surprise, j’ai découvert que plusieurs personnes parmi mon entourage virtuel consommaient ces médicaments de performance. Et pas seulement des étudiants, des professionnels aussi ! Tous plus généreux les uns que les autres. Au bout du compte, je me suis ramassé avec un joli butin composé d’Adderall, de Concerta, d’Effexor, de Ritalin et de Vyvanse.

Deuxième étape : trouver le moyen de rendre compte adéquatement de l’efficacité de ces drogues. Je ne pouvais pas me contenter de gober chaque pilule en attendant de voir quel effet ça fait, il me fallait des buts bien précis à atteindre. Puisqu’il s’agissait de smart drugs, je me suis fixé des objectifs « intellectuels » : apprendre un texte par cœur, lire un livre d’une traite, résoudre un casse-tête chinois, etc. Des défis pouvant paraître ridicules pour certains, mais qui, pour moi, tata average, s’avéraient plutôt ardus.

Finalement, il ne me restait plus qu’à me mettre au boulot. Facile à dire ! J’avais beau avoir croqué des tas de pills louches fabriquées dans des laboratoires clandestins à Blainville ou en Russie; au moment de les avaler, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai été pris d’une peur étrange quant au danger de l’expérience. Peut-être était-ce le fait d’être obligé de consommer toutes ces drogues sur une aussi courte période (deux semaines), j’avais pourtant déjà passé trois jours d’affilée sur les speeds et la coke en m’en tirant plutôt bien. Peut-être étais-je effrayé par tous ces nombreux effets secondaires détaillés sur l’autoroute de l’information. Ou peut-être était-ce tout simplement la peur de l’inconnu — mon premier trip d’acide s’était soldé par moi, incapable de communiquer avec la parole, bavant abondamment sur mon t-shirt de Jim Morrison chaque fois que j’ouvrais la bouche.

Puis j’ai enfin décidé d’arrêter de niaiser et je me suis lancé dans ce banc d’essai que tu ne verras jamais à L’Épicerie à Radio-Canada. J’ai regardé le flacon rempli de pilules, je les ai étalées sur la table, et je me suis dit ce que je dis généralement aux femmes : « Enweille, ouv’ grand pis avale ! »

Smart drug no 1
Nom : CONCERTA (méthylphénidate)

On prescrit ça pour : Traiter le trouble de déficit de l'attention.

Mission à accomplir : Apprendre par cœur trois fables de La Fontaine et les réciter à ma fiancée.

Description de l'expérience : Pour faire mon smatte, j’ai fait ce que beaucoup d’étudiants font : je me suis tapé une journée d’étude avec un solide hangover. Assis sur la terrasse en arrière de chez moi, à l’ombre du crisse de soleil, lunettes fumées quand même, le dernier album de Champion dins oreilles, pas trop fort, j’ai gobé ma première smart drug à même la bouteille de San Pellegrino.

Le Concerta vient sous forme de petites Tic Tac grises, mais ne rafraîchit pas l’haleine. Empestant donc le fond de tonne, je me suis attaqué à trois fables complètement inconnues — tellement inconnues que je ne me souviens même plus de leurs titres au moment d’écrire ces lignes. Vous comprendrez alors que je ne me souviens évidemment pas non plus de leurs mots, et encore moins de leur morale respective. C’est que j’ai été victime d’effets secondaires plutôt incommodants : sueurs froides, étourdissements, nausées, name it ! Une demi-heure après que la drogue eut kické, j’étais au lit, faisant l’étoile au milieu du matelas, fixant le plafond en appelant à l’aide d'une voix faible n’importe qui. Je n’ai pas réussi à m’endormir, mais j’ai compté plus de quatre mille cinq cents moutons (lire : battements de cœur) sans sourciller.

Lorsque les effets se sont enfin estompés, il était environ 15 h. Je me suis extirpé de la flaque de sueur dans laquelle je baignais depuis le matin, et mon down a pris la forme de la honte, c’est comme si pour aucune raison valable j’avais foxé un examen important. J’ai bien essayé de me remettre à l’étude, mais sans succès. Je n’avais plus le goût de rien, faque je me suis branché à ce satané Netflix et j’ai fixé sans émotion quelques épisodes d’Arrested Development.

Quand ma fiancée est rentrée du boulot, j’ai bafouillé une excuse bidon pour expliquer mon incapacité à lui réciter les fameuses fables. C’était comme un retour dans le passé, quand j’arrivais à la maison avec un mauvais bulletin.

Note globale :
Je n’étais pas dans le meilleur des états pour évaluer correctement cette drogue, mais comparé à l’efficacité d’un café un lendemain de veille, le Concerta trouble beaucoup plus qu’il n’aide. C’est pourquoi je lui accorde une note de 1/5.

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Le monde secret des fraternités

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Pourtant, le phénomène est loin d’être réservé à nos voisins du Sud, puisque Montréal compte près d’une vingtaine de frat houses sur son territoire. Urbania a poussé les portes de la plus grande fraternité francophone au monde pour faire la lumière sur leur énigmatique univers.

Quand j’ai affiché « Jeune fille cherche fraternité » sur mon profil Facebook, tous mes amis étaient catégoriques : « Ça existe pas, ça, ici. » Pendant des semaines, j’ai donc cherché désespérément une aiguille dans une botte de foin, dans l’espoir d’être la première journaliste au Québec à les infiltrer.

Les avais-je hallucinées, ces fraternités montréalaises? Puis un jour, comme ça, j’ai reçu des nouvelles d’un certain Grégory, «Gentleman of Sigma Thêta Pi» qui m’invitait à venir visiter leur fameuse frat house de sa fraternité, la plus importante destinée aux francophones au monde. Après s’être assuré que mes intentions étaient pures et que je ne m’amuserais pas à écrire un autre article de fraternity bashing, il m’a donné rendez-vous jeudi, 13 h, pour une visite privée.

Dès lors, je me voyais entrer de la baraque de Westmount des Sigma Thêta Pi, avec un grillage à l’entrée, de grosses moulures, des sofas Chesterfield et un valet qui s’appelle Alfred. Je m’imaginais y rencontrer l’éventuel PDG d’Hydro-Québec, le prochain président américain ou, encore mieux, mon prochain médecin de famille.

7330, rue Saint-Denis
Ironiquement, la fraternité de Sigma Thêta Pi n’était pas située pas sur The Boulevard. Elle se trouvait plutôt dans Villeray. Rue Saint-Denis. Juste à côté de chez moi. Au moment de sonner, j’avoue, même si j’étais en territoire connu, j’ai eu un peu la chienne. Et si, derrière la porte, se cachait un troupeau de gars en chaleur portant des pantalons mous et attendant juste qu’une fille pénètre dans leur antre pour la pén…?

De toute évidence, j’avais écouté trop de porno.

C’est Grégory qui m’a ouvert la porte, élégant dans son chic veston noir. Ses confrères Jérôme, Yan et Jonathan (trois beaux gars dans la jeune vingtaine avec un style plus relaxe, en jeans et en t-shirt) le suivaient de près. Après m'avoir accueillie en me donnant deux becs sur les joues, ils m’ont invitée à les suivre pour un petit tour guidé.

Premier constat : leur frat house ressemblait à n’importe quel appart normal d’étudiants en colocation. On pouvait y admirer des murs verts, des murs jaunes et un bel éventail de meubles dépareillés. Il y avait aussi un bon espace de rangement pour le stock de bières et une douche pas rapport dans la chambre de Yan. En tout, l’appartement comptait six chambres, pouvant accueillir six gars (ou plus, si affinités).
-    Je pensais que tous les membres de la fraternité habitaient ensemble… vous êtes pas juste six, hein?
-    Non, en tout, on est 42, mais il y a seulement quelques membres qui vivent ici, dit Jonathan.
-    La frat house, c’est un peu comme la maison des parents dans une famille. C’est ici qu’on se regroupe et qu’on tient nos réunions exécutives, dit Jérôme. Mais tous les membres peuvent passer quand ils veulent.

La pièce maîtresse de l’appartement se trouvait au sous-sol. On y trouvait un immense bar capitonné, quelques sofas et un fumoir. Ici, chaque pied carré transpirait le party.
-    On a pas mal cherché avant de trouver un appartement qui nous représentait bien, dit Jonathan. Faut dire qu’on cherchait un endroit assez grand pour organiser nos mixers avec les filles des sororités.
-    Ça sonne comme du chinois. C’est quoi une sororité? C’est quoi un mixer?
-    Une sororité, c’est une fraternité de filles, et un mixer, c’est le nom des soirées qu’on organise avec elles pour apprendre à les connaître. Ce sont surtout des vins et fromages.
-    Ce sont des soirées de dating, donc?
-    Il y a pas mal de couples qui se forment, ouais…
-    … mais c’est pas ça l’objectif, dit Jérôme. Le but, c’est de rencontrer des gens sans arrière-pensée. Pendant les mixers, il faut parler et apprendre à connaître TOUTES les filles. S’il y en a une qui nous plaît, c’est cool, mais on va prendre un verre avec elle APRÈS.
-    Chaque fois qu’on assiste à ce genre de soirée, on doit dire bonjour et parler à tout le monde. C’est la norme. Et c’est la même chose pendant les get together, les soirées de réseautage qu’on organise avec les gars des autres fraternités à Montréal. On fait ça quatre-cinq fois par session, dit Grégory en remontant au premier étage.

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Retour au bercail

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L’organisation des Jeux du Canada avait fait appel à l’une des formations électrojazz les plus en vue de l’heure pour clôturer deux semaines de compétitions à Sherbrooke. Urbania en a profité pour aller les rencontrer dans leur ville natale. Après quelques tergiversations et l’appel des estomacs affamés de cinq garçons qui allaient donner un spectacle en tant que Qualité Motel le soir même – leur projet musical uniquement électro, où les gars se glissent derrière cinq consoles –, c’est au mythique restaurant Louis des premiers jours, rue King Est, que toute l’équipée sauvage s’est ramassée.
 
Attablés au deuxième étage du resto, prêts à attaquer des Maxi Louis poutinés (« C’est la meilleure chose ici, a dit Jules, tu prends le Trio Maxi Louis et tu changes ta frite pour une poutine »), on est passés aux choses sérieuses. Mais ce n’est jamais si sérieux, avec France, DRouin, Jules, To et Luis de Misteur Valaire. Car les masques tombent et le fun fait place... à encore plus de fun, finalement.
 
Sous les néons, sur les bancs d’école
C’est que les gars se connaissent depuis longtemps. Jules et Luis allaient tous deux à l’école Sainte-Anne (et y ont appris les rudiments de la batterie) tandis que les trois autres faisaient leurs premiers pas scolaires en musique, à l’école Sacré-Coeur. Leur amitié avec France est née sur le terrain de jeu et dans les scouts. Des liens qui se sont solidifiés sur les bancs de l’école secondaire Mitchell-Montcalm, que quatre des cinq gars fréquentent pour y étudier le jazz. Luis, de son côté, est allé au Séminaire Salésien et jouait plutôt du rock chez les frères. Il  rejoignait toutefois les quatre autres après les classes pour jouer, jammer et mettre sur pied de nouveaux projets musicaux, tel qu’Anticlopédie, une formation jazz expérimental à huit têtes, ou encore O?zone, vers la fin du secondaire, tout juste avant de lancer Misteur Valaire.
 
 Les gars savaient aussi apprécier le punk-rock (« J’écoutais du punk-rock parce que je faisais du skate! », dit To), le ska punk à la Reel Big Fish (« Ça a vite passé, c’était surtout en secondaire 1 et 2 » s'excuse presque Jules), les fabuleuses compilations Big Shiny Tunes (« J’écoutais ça pis Jaco Pastorius » mentionne France), le grunge (« … jusqu’à Our Lady Peace, genre » précise Luis), Van Halen et Pink Floyd. « J’étais plus rock au cégep, mais au secondaire, j’étais plus all jazz », dit à ce sujet DRouin.
 
Après avoir agacé gentiment Luis parce qu’il n’avait pas fréquenté la même école secondaire que les autres, le ton sur lequel la conversation allait se dérouler était donné et les gars se sont lancés. « Y a pas de gêne à avoir», disait Luis. « La musique nous a soudés, mais on était tous amis bien avant ça. »
 
Dreads, vêtements de lin, vol à l’étalage, bandana, Miles Davis, Charlie Parker, biologie, les gros seins de Maggie Tremblay, Bosco bicycle, bière Navigator, pétage de gueule par un plus vieux, poils de toutes sortes, etc. Tout y est passé au cours de l’heure qu’a duré l’entrevue et a contribué à défaire l’image parfaite et calculée de Misteur Valaire que les cinq drilles projettent. Ils travaillent en effet avec une précision et une aisance fascinantes, et leurs spectacles semblent toujours si faciles à balancer au public, bien que la somme de leurs efforts soit considérable.

Photo: John Londono

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Payer sa session en trente tounes

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Lapdance lounge, mi-soirée, me reste trois heures pour faire limite mes 500 piasses et je doute en être capable tant la place est morte. Le double de demain ne sera pas assez pour faire break-even.

Enfin, il y a eu ce client qui m’a demandé de l’y joindre; de m’asseoir non pas sur lui mais à côté sur la banquette, par empathie. Pathétique. Un type qui porte le poids du monde sur ses épaules et qui pense me sauver. Oh ! Et pourtant, il ne répondra pas à mes questions, ne me trouvera pas drôle, ne rira pas de mon accent. Un weirdo. Pourquoi me choisir ? Ai-je dansé pour lui hier soir ? C’est quoi son nom, déjà ? Il est de Montréal ? Nanh, j’en doute. Policier ?

Vivement que la toune commence, qu'on en finisse.

D’un bond, je me lève quand le DJ mixe vers Roxette. Dos au mur, je le fixe, une main sur ma hanche, ma robe à 24 boutons-pression prête à exploser, mon sourire soulignant mon indécence. Je vais lui en donner, un bon show. Hop ! Je titube vers sa face avec ma grâce juvénile.

***

C’est pas sorcier : c’est un calcul mathématique qui mène l’une à choisir de servir du PFK ou une autre de se laisser pincer les boules. Je sais pas pour le PFK, parce que je suis paresseuse; j’ai préféré passer deux semaines par fin de session à me dénuder plutôt que de me claquer deux shifts par jour pour un maigre salaire qui paierait mes chères études universitaires.

À dix-huit ans moins deux jours, j’étais déjà serveuse sur le plancher de danse du Big Bang rue Amherst, à me faire tipper 10 cennes la bière. Trois mois d’esclavage qui ne se racontent pas. Pour la suite, par contre, ça se couche sans problème sur une ou deux pages...

Un soir, on était frostés dans un after, des filles m’ont parlé de Niagara Falls; leur Eldorado-à-20-piasses-la-toune, pas-besoin-de-faire-d’extras, tu-vas-te faire-deux-mille-balles-par-jour, viens-donc ! Donc, j'y suis allée. Et j’y suis restée 5 ans (le temps de rembourser mon prêt et mon ordi). J’avais troqué l’insulte de ramasser les corps morts des ados pour vider le portefeuille de touristes américains, et ça m’allait très bien. Pour les attouchements indécents, c’était kif-kif. Pour mes notes, j’étais bolée alors y avait pas plus de mal là-bas qu’ailleurs.

Trous noirs, gros bruns et paillettes

Les premières fois, c’est en autobus qu’on s’y rend. Tu prétends partir en vacances, et ô merveille, personne ne te pose de question. Mais ça ne prend pas de temps que tu vois les chutes arriver à 160 km/h, la pédale dans le tapis de ta bagnole flambant neuve dès que la cloche du dernier cours a sonné. Pas une minute à perdre quand tes plates-formes doivent spinner sur le plancher à 21 heures tapantes.

Le plus difficile, c’est d'expliquer comment t’as payé la voiture. Pour les uns, tu travailles dans un bar et c’est payant que l’crisse. Pour les autres, tes parents sont riches. Mais tu apprécies franchement le fait qu’aucune pitoune de ton université n’ait eu la même idée que toi pour payer sa dette.

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« C'est l'équivalent d'un spaghetti en poudre... »

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Vous vous êtes toujours demandé ce qu'il y avait dans les grosses boites de pilules ou de poudre pour faire de la gonflette ? J'ai posé la question dans « le plus grand centre de culture physique au monde ».



[Prise de son et montage : Clément Baudet / Montréal, Octobre 2013]

Les cinq d'Oxbrigde

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On les a réunis autour d’une pinte au pub The Eagles, à Cambridge. Julien est arrivé le premier. À 24 ans, il est diplômé d’Oxford et étudie maintenant en doctorat d’économie à Cambridge. Notre espion québécois a amené avec lui Alex, de la Nouvelle-Zélande, géant de 6 pieds 5, une des stars de l’équipe d’aviron. Il était aussi accompagné d'Annette et de Sun, deux Américaines qui vivent dans le même collège que Julien, ainsi que d'Anja, tout sourire  d’avoir déposé sa thèse d’économie juste avant de nous rejoindre. 

Ils sont nombreux, les anciens pensionnaires d’Oxbridge à avoir fait de grandes découvertes lors de leur passage dans un des collèges. Par exemple, c’est dans le jardin du Trinity College de Cambridge que Newton s’est pris une pomme sur la tête, et ce n’est pas très loin que Darwin a développé la théorie de l’évolution. Les deux universités ont ainsi éduqué une centaine de chefs d’États et de premiers ministres, plusieurs rois, 12 saints et 85 prix Nobels. Julien nous le confirme : « On dit qu’Oxford forme les futurs premiers ministres, et Cambridge, les futurs prix Nobel. » 

Mais encore faut-il y être admis.

Beaucoup d’appelés, peu d’élus
Car la sélection est rude. Il y a mille ans, il fallait vouloir devenir prêtre. Aujourd’hui, il ne suffit pas d’être premier de classe. Oui, un excellent dossier scolaire permet d’être convoqué à un entretien, mais à la suite de ces entretiens, seulement 20 % des postulants seront finalement admis.

Et une fois sur place, on peut chercher longtemps l’université. Pas de grosses bâtisses austères ici, car l’université est une fédération de collèges. « Un collège est un lieu de vie et d’étude. Il y en a de très grands, certains sont très vieux, d’autres juste pour les diplômés ou exclusivement pour les femmes », explique Julien. 

Urbania : Qu'est-ce qui distingue Oxbridge du reste des universités dans le monde? 

Alex : C'est le principe des tutors. On est réunis, pour chaque matière, en groupe de 3 ou 4 avec notre professeur. Chaque semaine, on a des lectures et des questions sur nos lectures. C’est différent des autres universités, où on ne se fait interroger que durant les examens.

Julien : C’est vraiment très intense! 

Anja : Les tutors enseignent dans leur collège, mais on n'a pas de vraie classe, on va plus dans leur bureau.  

Sun : S’il n’a pas de bureau, on peut faire ça dans son salon, ça arrive parfois!…

Julien : Mais je crois qu’il y a un règlement qui spécifie qu’il ne doit pas y avoir de lit dans la pièce...

Alex : Sûrement pour une bonne raison!

Une loi ancestrale non écrite
À Oxbridge, pas de vieux parchemins à l’encre délavée avec les règles du collège : ce sont les anciens étudiants qui inculquent les règles aux nouveaux. 

Anja : C'est l'association des étudiants qui s'en assure dès la cérémonie de matriculation. 

Urbania : Qu'est-ce que c'est?

Sun : C’est une série d’événements au cours desquels on introduit les étudiants à la vie universitaire. Ça dure une semaine et ça débute avec le Matriculation Diner, auquel on assiste quand on rejoint notre collège pour la première fois. 

Alex : Une chose qui m’a marqué lors des Matriculations, c’est quand j'ai signé le livre du collège avec un crayon uniquement utilisé pour ça. Il était vieux!

Annette : C’est amusant de tourner les pages et de voir qui était là avant toi : « Oh, regarde, c’est Newton! » Moi, ça m’a fait totalement freaké out…

Anja : Dans mon collège, on n’a pas cette tradition. On a deux semaines d’introduction où on se saoule avec tout le monde. C’est un gros party!

Urbania : Mais pourquoi les collèges n’ont-ils pas tous les mêmes règles, et surtout, pourquoi certains conservent-ils ces traditions? 

Annette : Avant la cérémonie de matriculation, les collèges font un sondage demandant si on veut abolir les traditions. Et, chaque fois, le résultat est le même : 80 % des étudiants veulent les garder. Ça a quelque chose de sympathique de perpétuer ces rites séculaires. Ça crée une continuité avec les gens qui étaient là avant nous.

Les traditions sont aussi là pour rappeler aux nouveaux étudiants qu’ils font maintenant partie de l’élite universitaire, et surtout, de la société anglaise. Entre autres traditions, nos cinq taupes nous parlent aussi du Formal Hall, un souper solennel qui n’est pas obligatoire mais qui a lieu cinq fois par semaine dans le great hall. Comme dans un souper d’Harry Potter, tel que nous le décrit Julien : « C’est très impressionnant. Le repas est servi aux chandelles. L’hiver, quand il fait noir plus tôt, on voit à peine son voisin. Les professeurs sont installés à une table surélevée qui domine la salle. C'est un souper solennel où on doit porter notre toge. »

Texte : Guillaume Reboux

Ce texte est extrait du Spécial ÉTUDIANTSen kiosque dès maintenant ou disponible en version PDF sur la Boutique Urbania

Livreurs en herbe

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Expérience requise
N'allons pas croire, comme le véhicule trop souvent l'imagerie populaire, qu’être pusher est une job réservée aux consommateurs désargentés qui cherchent à se payer leur dose ou aux petites frappes en échec scolaire. La mission n'échoit pas au premier décrocheur venu, il faut une certaine expérience du milieu, « avoir ses entrées », comme on dit. La panacée étant encore de naître dans le bon quartier. C'est le cas de Simon, qui entre en connexion avec le milieu à quinze ans, par l'intermédiaire de son frère. Il commence doucement : distribution de bags de weed dans la cour du cégep.

Formation

À double titre, l'expérience sert de révélateur. Pour Simon, d'abord, qui goûte aux joies de l'argent facile. Et pour les têtes de réseaux locaux qui lui découvrent de franches dispositions au commerce de proximité. Ces années tiennent lieu de formation. Simon apprend à « garder les yeux ouverts, à rester attentif en permanence ». Il se familiarise avec les produits et les clients. Mais le temps des études arrive vite, et il n'est plus question de gagner un peu d'argent de poche, l'heure est à se trouver une job. Simon passe à la livraison.

Aptitudes

Il se forme sur le tas, au fil des livraisons. De toute façon, les codes et les exigences sont les mêmes – discrétion, rapidité, prudence, loyauté. Il est nécessaire d'avoir une bonne connaissance du milieu, une petite expérience de la revente, et un véhicule personnel. Nécessaire, mais pas suffisant. D'abord et avant tout, il faut, comme Simon, avoir fait ses preuves et gagner la confiance du boss.

Rémunération

Sans conteste, c'est le principal avantage du métier qui sur cet aspect, surclasse la plupart des jobs offertes aux étudiants. Simon touche 25% du montant de ses ventes. Tous frais déduits, sa moyenne quotidienne se situe entre 120 et 150 $ pour six heures de travail. Entre 20 et 25 piasses de l’heure ! Et c'est une fourchette basse. Et c'est – évidemment – net d'impôts.

Mais surtout, arpenter la ville en voiture est autrement plus reposant que de flipper des burgers dans un resto, ou de remplir les rayonnages chez Jean Coutu.

Horaires
Juste derrière la rétribution, les horaires constituent l'un des gros attraits de la job. Jugez plutôt : des shifts de 6h maximum, jamais d'horaires coupés, et aucune livraison avant 12h ou après 23h. Quatre shifts par semaine, (12h-18h, ou 17h-23h), dont un ou deux en fin de semaine parce que la demande est plus forte. Mais, par conséquent, le salaire est plus élevé.

Relations de travail
Côté hiérarchie, la place est des plus paisibles. Simon voit son boss et fournisseur une à deux fois par semaine, histoire de lui donner son argent et de refaire les stocks. Et il ne voit jamais ses collègues, avec qui il entretient une relation strictement téléphonique : des voix grésillantes qui égrènent dans son oreillette les adresses à livrer.

Conditions de travail

Ne seraient-ce les risques inhérents à la profession, on pourrait qualifier celle-ci de tranquille. Car à la différence des livreurs licites – qui, quelle que soit la marchandise transportée, livrent avant tout un combat contre le temps – le dealer à domicile, lui, n'a pas besoin de se presser. Mieux : il doit s'en empêcher. Conduire prudemment et sans infraction. Ne pas attirer l'attention. Payer ses stationnements. Ainsi considérée, la job ressemble fort à une promenade en ville, ponctuée d'arrêts fréquents, mais furtifs.

Risques du métier

Évidemment, la politique répressive à l'oeuvre au Canada n'est pas sans conséquence sur les dealers, qui se retrouvent de facto dans le collimateur de la police – aux côtés des consommateurs. Or, même si le risque d’arrestation est faible et les peines encourues minimes pour les primo-délinquants – ce qui est le cas de Simon –, d'éventuels démêlés judiciaires ne sont pas à exclure, et il le sait. « Pis en plus, j'perdrais ma job », prédit-il, semblant plus inquiété par cette perspective que par la menace policière en tant que telle, qui ne l'empêche pas d'opérer, en plein centre-ville de Montréal, à l'heure de pointe. Dans les premiers temps, il a trouvé ce risque « épeurant », puis « excitant ». Aujourd'hui, il dit s'y être « habitué ».

Perspectives d'avenir

La filière donne tous les signes de prospérité à long terme. « Tous les voyants sont au vert » diraient les analystes économiques. D'une part, parce que les chances sont quasi nulles que la consommation de drogues, et par conséquent, sa revente, ne cessent un jour. Et d'autre part parce que le gouvernement canadien ne semble pas prêt à abandonner sa politique de prohibition forcenée, offrant ainsi un boulevard aux organisations criminelles qui prospèrent dans les méandres de l'économie informelle.
Pour autant, l'avenir n'est pas si radieux pour les petites mains du système. Il n'y a pas trente-six manières d'envisager son avenir lorsque l'on est pusher à domicile. À vrai dire, il y en a deux : ou bien on se fait arrêter par la police, ou bien non. Et dans chaque cas, restent alors la possibilité de se ranger des voitures, ou celle de persévérer pour tenter de s'élever dans la hiérarchie du crime organisé. Mais les places sont chères, les prétendants nombreux et les « recruteurs » plutôt tatillons.

Autant dire que si la filière a encore de beaux jours devant elle, les perspectives de carrière pour le petit personnel restent aussi restreintes qu'incertaines.

Conseils pratiques
Si, comme c'est à redouter, tu as, lecteur, plus de 18 ans. Si, en plus de cela, tu n'as jamais de près ou de loin été en cheville avec aucun trafiquant d'aucune sorte. Si pour finir, tu n'as pas de goût particulier pour les menottes et les règlements de compte, alors suis notre conseil : ne t'essaye pas au trafic de drogues, il est trop tard pour toi. D'autres, des plus jeunes, feront ça bien mieux. Et ils n'aiment pas partager leur part du ghetto.

Mais si malgré tout, petite tête brûlée que tu es, tu décides de ne pas suivre les recommandations d'Urbania, sache que tu devras t'armer d'un moral solide pour te sentir capable. Et d'une morale vacillante, pour ne pas te sentir coupable

Watatatow : l’école de la vie… à la télévision

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« C’est toi, c’est moi, pis c’est nous autres », lance Mélina Leblanc-Roy, pour résumer l’essence de l’émission qui l’a habitée jusqu’au-delà de son adolescence. « Watatatow, c’était le reflet d’une réalité québécoise. C’était nos vieux chums. Les miens, en tout cas! »

On peut définitivement qualifier Mélina, 31 ans, de plus grande fan de Watatatow au monde. Non seulement s’est-elle clanché tous les épisodes, mais elle a consacré son mémoire de maîtrise au téléroman pour ados le plus populaire de tous les temps. Mais elle n’est pas la seule à avoir été au rendez-vous chaque soir de semaine à 17 h pendant 14 ans. Vous aussi. Peut-être ne l’avouerez-vous pas, mais vous avez regardé Watatatow bien au-delà de l’âge raisonnable pour le faire. Les cotes d’écoute, elles, ne mentent pas : en 2002, trois ans avant que Radio-Canada n’en tire la plogue, 81 % des 473 000 téléspectateurs de cette émission originalement destinée aux 12-17 ans étaient… des adultes. Toi, moi, nous autres.

« Beaucoup de jeunes du cégep et de l’université nous regardaient », se souvient Monique Lalande, productrice associée à l’époque, pilier de l’émission. « J’avais une nièce qui n’avait plus du tout l’âge de regarder ça, mais quand elle rentrait de l’université, elle s’assoyait devant le téléviseur pour voir ce que ses amis étaient devenus. »

Sophie était alors victime de la drogue du viol, John et Vanessa faisaient dire Sainte-Toton trop souvent à Jocelyn et Michel Couillard, ayant vieilli trois fois moins vite que nous, avait officiellement 17 ans. L’acteur qui l’incarnait, Hugo St-Cyr, pouvait enfin cesser de se raser la barbe deux fois par jour pour ne pas trahir son âge réel : 24.

Lorsqu’il avait reçu le petit joueur de batterie aux oreilles décollées en audition, le producteur Jean-Pierre Morin était loin de se douter qu’un jour, il serait incapable de s’en débarrasser. « Nous voulions parfois ajouter de nouveaux comédiens, pour rajeunir l’émission, mais il était impossible de se débarrasser des Couillard, des Laurin ou de Vincent. Les jeunes y étaient trop attachés », se souvient-il.

C’est cool, carrément buzzant
Tout a commencé au tournant de la décennie 1990. Radio-Canada veut, elle aussi, présenter une émission pour ados et approche Jean-Pierre Morin, fort du succès monstre qu’est Le Club des 100 watts. « On me disait que les jeunes n’écoutaient pas de fiction à la télévision. À ça, je répondais : “C’est sûr qu’ils n’en écoutent pas, vous n’en faites pas!” J’étais convaincu qu’en leur parlant de leurs préoccupations, ça les intéresserait », se rappelle le producteur.

À l’époque, il y a bien Degrassi qui parle de drogue, de sida et de suicide, mais ici, personne ne se reconnaît vraiment dans les voix doublées de Joey ou de Christine « Spike » Nelson. Au Québec, la plus récente fiction jeunesse, Beau temps, mauvais temps, date de 1950! Au Club des 100 watts, les dramatiques mettant en vedette Annie Major-Matte et Sébastien Bergeron sont trop courtes et pas assez fréquentes au goût des fans de Marc-André Coallier, qui en redemandent. À défaut d’avoir leur émission, les jeunes écoutent Chambres en ville, qui traite d’enjeux beaucoup trop vieux pour eux, et fuient les émission pour enfants. « Dans la télévision jeunesse, tout le monde était beau et gentil, propre et parlait bien. C’est sûr que les ados sacraient leur camp! » fait valoir Jean-Pierre Morin.

Ainsi, Watatatow devient le premier véritable téléroman jeunesse au Québec. On fait alors la connaissance de la famille Couillard, des jumelles Fraser (interprétées par les filles de Louisette Dussault), d'Einstein, de Raphaël, de Greg (l’ami anglo), de Bérubé, le bum de la Cellule-Ose, et de Pascale Cusson, interprétée par la microscopique Marie-France Monette.
Mais bon, téléroman est un bien grand mot. Les premières saisons de Watatatow mettent en scène des épisodes fermés, dont les intrigues simples (« Mon ami me vend 10 cassettes Nintendo 25 $ chacune. Je peux les revendre facile 40-45$ si vous me passez 250 $! »), entrecoupées de riffs de guitare électrique, se bouclent dans la demi-heure. Ce n’est qu’en 1994 que les trames narratives des différents clans commencent à se poursuivre d’un épisode à l’autre.

Mais bon, téléroman est un bien grand mot. Les premières saisons de Watatatow mettent en scène des épisodes fermés, dont les intrigues simples (« Mon ami me vend 10 cassettes Nintendo 25 $ chacune. Je peux les revendre facile 40-45$ si vous me passez 250 $! »), entrecoupées de riffs de guitare électrique, se bouclent dans la demi-heure. Ce n’est qu’en 1994 que les trames narratives des différents clans commencent à se poursuivre d’un épisode à l’autre.

« C’est là qu’on a commencé à développer des thématiques plus dramatiques, comme l’homosexualité ou le sida », se souvient le scénariste Richard Blaimert, à qui l’on doit le suicide du personnage interprété par Mahée Paiement. « Plus c’était dramatique, plus ça marchait. “Je veux ma chambre”, tu peux pas surfer là-dessus pendant dix ans. »

Pour parler de suicide aux jeunes de façon adéquate, on a engagé des éducateurs. Le scénariste raconte : «Des spécialistes et des pédagogues vérifiaient nos textes. Une des script-éditrices, Sylvie Denis, était pédagogue de formation. Elle avait travaillé sur des shows comme Passe-Partout et je me disais que ça allait être plate, travailler avec une éducatrice. Quand t’es dans la vingtaine, t’as envie de pousser les limites, pas de te faire dire quoi faire par une pédagogue. Finalement, elle était tellement pertinente que je l’ai gardée sur Le monde de Charlotte et presque tous mes projets par la suite. »

L’une des principales protagonistes du virage dramatique de Watatatow est Élyse Aussant. D’abord recalée du concours « Devenez une vedette de Watatatow », on lui donne sa chance pour interpréter Émilie, une adolescente tourmentée dont les traits de highliner ont dû occasionner un dépassement de coûts au département du maquillage. « Elle n’était supposée être là que pour un épisode, mais voyant la charge émotive que cette ado-là portait, Jean-Pierre a décidé de lui créer une famille la saison suivante », se souvient Monique Lalande. Ainsi apparaîtront grâce à elle sa mère Ginette, son beau-père Jocelyn, sa chum Manon, Victor, Simon, Colin, Lou et plus tard, John et Vanessa.

La jeune Émilie inspire Jean-Pierre Morin, mais elle retient aussi l’attention de la haute direction de Radio-Canada. Pas nécessairement pour les bonnes raisons. « Les patrons n’aimaient pas trop les familles dysfonctionnelles, même si je leur répétais qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire : je voulais qu’Émilie l’ait difficile, pour que les jeunes puissent se raccrocher à son succès par la suite. Si Émilie pouvait s’en sortir malgré toutes les conneries qu’elle faisait, eux aussi », croit toujours le producteur, oubliant presque qu’il parle d’un personnage de fiction.

Si la société d’État est si réticente à l’idée de donner autant de visibilité à une mère adolescente qui s’en sort, c’est qu’elle est la cible de critiques de la part de vigilantes des bonnes manières. « C’est vrai que pour une émission regardée par des 9-12 ans, on était pas mal sur la ligne », admet le directeur des émissions jeunesse de Radio-Canada d'alors, Michel Lavoie.

Dans nos souvenirs d’ados, les boucles d’oreilles de Michel, la veste cloutée de Bérubé, les magouilles de Chicoine et les problèmes de drogue de Nadège n’avaient rien de si subversif, mais pour Jean D’Auteuil, de Rimouski, c’était inacceptable. « Quel parent laisserait ses jeunes enfants passer sa demi-heure chaque soir en privé avec vos ados hargneux, agressifs ou pervers, s'y instruire de leurs complexes, troubles, irrespects, baise, dope et compagnie? C'est précisément ce que fait Watatatow. Vous fertilisez l'ivraie et semez le chiendent dans leur esprit, et y fauchez le liseron. […]En vertu de quelle équation autre que la cote d'écoute pouvez-vous prétendre qu'une large diffusion des graves problèmes de certains jeunes déviants va en faire jaillir les solutions […], qu'un tel épandage massif de fumier dans l'esprit de nos jeunes et très jeunes va y faire fleurir la vertu?», écrit-il dans une lettre ouverte au Soleil intitulée « Watatatow: une émission irresponsable et perverse». On était en 1996.

« Les critiques qu’on recevait le plus souvent concernaient le langage, se remémore Michel Lavoie. “Toé pis moé”, c’était trop familier pour Radio-Canada, qui avait la réputation d’être plus pointu et dont la mission était d’être un modèle de bon usage de la langue française. Mais si on avait mis ça trop straight, les jeunes auraient trouvé ça phony. »

C’est twit, c’est nul, tu vois ben qu’c’est poche

En fait, pour être totalement honnête, on trouvait ça parfois phony, la langage watatarien. Surtout ces fameuses formules qui mettaient la table durant le générique d’ouverture débile écœurant. Les expressions d’ados passent au tordeur de RBO dans un sketch savamment intitulé Watatoton. « C’est sharp à l’os », c’étaient nos parents qui disaient ça pour avoir l’air cool.

Même chose, d’ailleurs, pour « Watatatow ». « Je n’ai jamais tellement aimé le titre, admet aujourd’hui Michel Lavoie. Je trouvais que ça sonnait comme un mot de vieux choisi pour les jeunes. Mais Jean-Pierre m’a assuré que les jeunes disaient ça. Je me suis dit que je ne comprenais pas parce que j’étais trop vieux. »

Nan. Selon un sondage à l’interne, Monsieur Lavoie avait vu juste. Mais ce n’est pas un titre un peu off qui allait rebuter la jeunesse d’écouter massivement le téléroman qui lui était destiné. Au plus fort de son histoire, Wata atteignait des cotes d’écoute de 800 000 téléspectateurs. « On battait régulièrement les nouvelles! », s’enorgueillit encore Jean-Pierre Morin.
Comment faisait ce vieux routier pour être pile sur les enjeux qui intéressent les jeunes? « Je les invitais chez nous, je leur préparais un spagat', leur donnais une bière, et quand ils se dégênaient, là on jasait! », révèle Jean-Pierre Morin.

« Jean-Pierre croyait beaucoup à la recherche terrain et aux focus groups», se rappelle Monique Lalande. « Il aimait questionner les jeunes sur ce qui les préoccupait. C’est comme ça qu’il travaillait sur le Club des 100 Watts. » C'est comme ça qu’il a trouvé Marc-André Coallier, d’ailleurs.

On peut dire que Watatatow a été une pépinière de talents, car plus de 300 acteurs sont passés sur son plateau. Et l'émission a fait office de véritable école pour Blaimert, qui a pondu par la suite Le monde de Charlotte, Cover Girl, Les hauts et les bas de Sophie Paquin, Penthouse 5-0 et, plus récemment, Nouvelle adresse. « Jean-Pierre avait une méthode très précise de nous faire écrire. On devait remplir des cases dans des feuilles de structure, qui dictaient ce qui devait arriver avant la première pause et qui limitaient les changements de costume des comédiens, permettant ainsi de tourner un épisode par jour », se souvient-il. « C’était une méthode très rigoureuse, inspirée de la façon de faire américaine. Ça m’a beaucoup appris. Je ne sais pas si j’aurais passé à travers mes autres projets sans cette école », dit celui qui a écrit plus de 100 épisodes de Watatatow.

Comme lui, Isabelle Langlois (Rumeurs, Mauvais karma), Sylvain Charbonneau (Kif Kif, Ramdam) et Danielle Dansereau (Le Négociateur, L’Affaire Dumont) ont tous fait leurs premières armes avec Watatatow. « Je voulais des scénaristes qui n’avaient aucune expérience, pour qu’ils n’aient pas de mauvais plis », explique Jean-Pierre Morin. « Sinon, ça aurait donné un téléroman à la Monsieur le ministre, où c’est tellement lent que t’as des scènes qui se poursuivent d’une pause à l’autre! »

Déraper dans l’mille, c’est complètement débile
École de jeu, école d’écriture, curieusement, par contre, l’école en tant que sujet était plutôt secondaire à Watatatow. Durant les premières saisons, Claude Legault y incarne un professeur d’informatique et Danielle Panneton interprète la directrice Maryse Baribeau, mais leur présence n’a rien à voir avec celle des profs dans Zap ou dans Virginie. « Dans Wata comme dans la vie, l’école n’est qu’un théâtre, qu’une scène où se déroule l’intrigue », explique la maîtresse du sujet Mélina Leblanc-Roy. « Le parascolaire était beaucoup plus important. La Cellule-Ose, dont on salue le jeu de mot, Chez Allaire, le billard, le Spot 1 et le Spot 2 sont beaucoup plus intéressants pour les jeunes. »

Tout comme l’est le concept de colocation, relativement moderne à l’époque. « Les colocs, ça répondait au besoin qu’ont les adolescents de savoir ce que va être leur vie lorsqu’ils seront plus vieux », explique Monique Lalande. « C’est pour ça que la deuxième émission préférée de nos auditeurs qui écoutaient Le Club des 100 watts, c’était Chambres en ville». Ainsi, les colocs Guy, Vincent et Ben, incarnés par Charles Lafortune, Michel Goyette et Michel Charrette, nous faisaient miroiter ces jours de liberté, mais aussi de responsabilités.
Mais pour Mélina Leblanc-Roy, les colocs, c’était peut-être une façon de garder captif un public qui avait vieilli avec Michel Couillard, Séverine Gagnon, Marie-Claude Rioux et Isabelle Bélanger, mais qui était rendu au cégep ou à l’université et qui devait, lui aussi, donner sa part du loyer à ses colocataires.

« Watatatow a duré 14 ans, la vie d’un ado », fait remarquer Mélina. « Normalement, on aurait dû arrêter d’écouter ça en 1995, mais on a continué. Au début, je nous jugeais, d’être restés accrochés à une série pour ados si longtemps, puis j’ai réalisé que ça faisait partie de nous. Qu’on était la génération Watatatow. »

Toi, moi, nous autres.

Virée à Palm Springs avec Louise Archambault

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À la piscine du Ace Hotel, hipsters, acteurs et réalisateurs profitaient du soleil entre deux visionnements et un cocktail. À l’horizon, les palmiers s’élançaient devant les montagnes de San Bernardino. Situé en plein désert des Mojaves, Palm Springs est devenu au fil des ans, un lieu de villégiature chouchou des riches retraités et autres stars hollywoodiennes. On y retrouve 269 terrains de golf, de grands espaces, du tennis. Mais aussi des évènements artistiques réputés, tel que Coachella, le populaire festival de musique, ou encore le Palm Springs International Film Festival (PSIFF), qui cette année a célébré son 25ème anniversaire.

Dans le circuit des festivals, celui de Palm Springs s’est taillé une place de choix quant au cinéma étranger. Du 3 au 13 janvier, 187 films de 60 pays y ont été présentés. L’évènement a attiré près de 135,000 festivaliers, dont 7% viendraient du Canada, selon la directrice du festival, Helen du Toit.

Le coucher du soleil au Ace Hotel

La piscine du Ace Hotel


C’est d’ailleurs le Canada qui était le pays en vedette lors de cette dernière édition, attirant sur le tapis rouge des stars internationales telles que Matthew McConaughey, Sandra Bullock, Julia Roberts, Tom Hanks et Meryl Streep. « L’extraordinaire succès des films canadiens sur la scène internationale nous a incité à mettre les projecteurs sur les films provenant de notre voisin du Nord », explique Helen du Toit, également canadienne.

Évidemment, plusieurs oeuvres québécoises étaient présentées, dont les plus récents films de Louise Archambault (Gabrielle), Sébastien Pilote (Le démantèlement), Denis Côté (Vic + Flo ont vu un ours), Mathieu Roy (L’autre maison), Chloé Robichaud (Sarah préfère la course), ainsi que le remake anglophone de La Grande Séduction, réalisé par Don McKellar.  

J’étais présente lors du festival et me suis entretenue avec Louise Archambault. Passionnée de grands espaces et d’équitation, lorsque celle-ci m’a proposé d’aller explorer le désert à cheval, j’ai dit oui sans hésitation.

Conversation et récit photo:

Comment trouves-tu Palm Springs jusqu’à présent? Tu t’y plais?
Oui vraiment! Je suis allée dans un endroit perdu, c’est vraiment dans les montagnes. C’est un ancien endroit où il y avait des tournages de westerns, où ils ont gardé les maisons iconiques et c’est aussi un bar. C’est une famille qui tient l’endroit, la madame a les cheveux longs gris, c’est très folk country.


Ah! Tu es allée à Pioneertown, au Pappy & Harriets! J’y suis allée aussi! Un passage obligatoire lorsqu’on vient à Palm Springs, parait-il.
Oui, exactement! Le soir, tu as un premier band qui est plus local et vers 8-9 heures tu as le band invité, comme Bon Iver et Mumford & Sons. Pour 5$!

La petite ville de Pioneertown où l'on retrouve le célèbre Pappy & Harriets


Nous étions dans le même avion à notre arrivée en Californie. Quand tu survoles les montagnes et que tu regardes par le hublot, ton esprit s’évade où? Tu penses au film, tu as des attentes?

Gabrielle, c’était le film canadien qui était pré-selectionné aux Oscars, alors s’il avait passé au deuxième tour, dans les neuf finalistes, c’est sûr qu’il y aurait eu beaucoup plus d’attentes ici et qu’il y aurait eu beaucoup de relations de presse. Maintenant, le film est quand même déjà acheté aux États-Unis et il va être distribué dans quelques salles. Moi j’ai fait le film, ça c’était mon gros travail. Et maintenant c’est de le partager et c’est d’avoir le plaisir d’avoir des spectateurs. Quand on a des spectateurs, qu’on a cet échange et que ça leur parle cette histoire-là, c’est génial. Comme ce soir, le Questions-Réponses après la diffusion du film, c’était super. Il y avait de bonnes questions.

Tu as présenté Gabrielle dans plusieurs pays. Remarques-tu des différences chez le public, ou est-ce que le film génère des réactions plutôt universelles?
On se posait justement cette question avant de sortir le film et maintenant qu’on a fait quelques pays, incroyablement, la réaction est à peu près tout le temps la même. On se rend compte que le sujet au fin fond est très universel: le besoin d’aimer et d’être aimé. Moi, ce qui me réconcilie avec l’être humain, c’est le désir d’ouverture sur l’autre. On veut tous avoir des défis. Des fois, on les surmonte; des fois, on se casse les dents. Mais c’est ce qui fait qu’on se construit en société.

Autant en Estonie, qu’en Allemagne, qu’ici aux États-Unis, j’ai vu la même chose. C'est sûr qu’il y a peut-être quelques différences, par exemple en France, il y a une sortie assez importante du film, dans à peu près 150 salles. Les gens m’en ont parlé et le sujet de la déficience intellectuelle, c’est encore délicat. Tu te rends compte que oui c’est tabou, mais les gens veulent en entendre parler et veulent échanger sur le sujet.


Louise Archambault à cheval dans le Indian Canyon Reservation


Quand tu as réalisé Gabrielle, est-ce que tu cherchais ça, justement, créer un dialogue à propos des relations chez les personnes avec des déficiences intellectuelles?

Je savais que la sexualité chez les déficients intellectuels, c’est un sujet délicat. J’ai tendance à vraiment aller sur le terrain pour m’inspirer des gens et avoir une authenticité dans ce que j’écris. Je ne voulais pas me faire prendre au jeu et avoir une histoire didactique. Je voulais écrire une bonne histoire, qu’on croit aux acteurs, aux personnages. Le reste, si ça ouvre un échange, un débat, un questionnement sur ce sujet là, c’est fabuleux. Mais si j’écris et que je réalise un film pour ça seulement, je pense que je passe à côté du cinéma de fiction.

Et toi dans ta vie, ça t’est déjà arrivé de te sentir outcast? Te souviens-tu de la première expérience, où tu t’es sentie différente?
Oh! Qu’est-ce que c’est difficile à répondre comme question! Mon premier souvenir… je devais être très jeune! Écoute, nous, on habitait dans une maison dans la montagne, dans une maison pas de voisins. Et je pense que j’avais tendance à parler aux arbres et parler au ruisseau et parler à la nature toute seule et à imaginer plein de choses. Et à moment donné, d’avoir quelqu’un, ma soeur, qui me regarde, qui éclate de rire et à me dire, qu’est-ce que t’as à te parler de même! Et à me trouver bizarre, étrange. Alors oui, c’est vrai que j’étais beaucoup dans mon imaginaire (rires).

Ce qui te sert visiblement très bien aujourd’hui! Qu’en est-il des scènes d’amour, ont-elles été difficiles à tourner?
C’était particulier, mets-en!

Parce que tu as quand même passé plus d’un an avec Gabrielle, avant le tournage du film. Vous parliez beaucoup de sa sexualité?
Oui, avec Gabrielle, mais aussi avec sa mère. Sa mère a eu différentes versions de scénarios. Je me demandais si tout le monde allait être à l’aise avec ça. Gabrielle n’a jamais fait l’amour dans la vraie vie. C’est quelque chose que je lui demandais, pour sa mère aussi.

Pour Gabrielle, tout ce qui est inhibition c’est pas compliqué. La première fois qu’on a répété une scène d’amour, Gabrielle embrasser Alexandre c’était pas compliqué pantoute! À moment donné, c’était comme, « OK Gabrielle tu peux arrêter! » C’était Alexandre qui était plus pudique et je disais « Alexandre sois plus sensuel, come on! » Tsé lui il ne voulait pas aller au-delà, il voulait la respecter, alors il fallait que je travaille là-dessus. Le jour J, la mère de Gabrielle était sur le plateau de tournage et à ce moment, je sentais plus de fragilité chez Gabrielle, car il y avait le regard de sa mère et elle se sentait comme une petite fille tout à coup.

Dans les dernières quinze années au Canada, il y a seulement deux femmes dont les films ont été soumis pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère...

C’est vrai, lesquelles?

Alors il y a eu Léa Pool en 1999 avec Emporte-moi et Deepa Metha pour Water en 2006.
Ah oui! Go girls!

À ton avis, qu’est-ce qui explique ce manque de femmes en réalisation et en scénarisation au cinéma?
Il en manque de moins en moins honnêtement, je pense. Je ne peux répondre précisément, mais mon expérience à moi d’écrire, de réaliser des films, d’être dans la création -- ça demande un investissement énorme, une implication. C’est sûr qu’à mon humble avis, quand tu commences à avoir des enfants, c’est très difficile de départager le temps. De dire, OK, je fais fi du quotidien.

Je pense qu’en général, et là je généralise, les femmes, on a tendance à vouloir protéger la famille et à penser à ça avant soi-même, avant la création. Alors de départager et de dire, OK je m’accorde du temps pour la création et on mangera une pizza surgelée pis ca va être ça, on le fait moins.

Personnellement, je ne me suis jamais sentie jugée par exemple par les institutions, parce que je suis une femme. Peut-être que je l’ai été à mon insu, mais vraiment à chaque fois que j’ai présenté des projets, j’ai senti de l’intérêt. En tout cas, on m’a appuyée.

Peut-être une question de confiance?
Je crois que tu as mis le doigt dessus. D’ailleurs, il y a eu un exercice qui a été fait en psycho... il y a une annonce publicitaire pour une job, alors il y a un gars qui regarde l’annonce. Lui il dit, OK, ça demande tant d’expérience, et il va dire: good enough, moi j’ai assez d’expérience pour ça, je pense que je suis un bon candidat, j’applique. La fille, même niveau d’expérience, va regarder la job et se dire: oh, je pense que je devrais faire une autre job avant parce que je ne suis pas assez qualifiée.

Le parc national de Joshua Tree à une trentaine de minutes de Palm Springs


C’est la cérémonie des Oscars qui s’en vient, tes films préférés de 2013?
Aaaah! Mais je n’ai pas tout vu! J’ai tellement travaillé!

Je m’en doutais. OK, alors, qu’as-tu pensé des débuts hollywoodiens de Denis Villeneuve et Jean-Marc Vallée?
Je suis tellement fière de Denis et Jean-Marc, mais tellement! Ce sont mes amis, ça fait très longtemps qu’on se connait et tu sais, ça a l’air têteux, mais je trouve vraiment que Denis et Jean-Marc, les deux, sont arrivés à un sommet dans leur art et dans la réalisation. Jean-Marc, je pense que c’est son meilleur film [Dallas Buyer’s Club]. Pis lui est pas d’accord, mais moi je pense que c’est sa meilleure réalisation, avec rien [NDLR: le film a été tourné avec un budget de $5 millions]. Il a fait le montage. Le scénario est très bon aussi, excellente direction d’acteurs. Les acteurs se sont investis à fond, mais Jean-Marc y est pour quelque chose. Il a engagé un directeur-photo québécois, c’est vraiment bien fait.

Denis, je crois qu’avec ce film [Prisonniers] il est devenu plus raffiné, il a développé une élégance au niveau de la réalisation, c’est assez sobre. C’est un thriller, il aurait pu y avoir du sang, il aurait pu y avoir un jeu exacerbé. Le jeu est juste. J’ai pas vu le scénario, mais je suis certaine qu’il a bonifié le scénario au niveau des personnages. C’est vraiment bien fait, je suis super contente!

Est-ce que tu aspires aussi à Hollywood?
J’aspire à des bons films. On m’a offert dernièrement un film américain, j’ai dit non. Je me suis dit, « je suis conne de dire non ». Mais le scénario pour moi n’était pas à la hauteur, j’aime mieux travailler sur les films que j’ai en ce moment qui sont au Québec.

C’est comme ça que tu fais tes choix, par rapport au scénario?
Absolument. Si le scénario a une substance et que je sens que je suis à la hauteur pour aller mettre en scène cette substance, oui. Mais si je sens qu’il y a quelque chose qui est trop artificiel, je me dis, non, pendant un an et demi je vais travailler la dessus? Ça va m’aspirer et ça ne me donnera rien. Hollywood, ça peut aussi être des feux de paille. Je pense que tu veux raconter de bonnes histoires avant tout. En ce moment, je travaille avec un carré de sable au Québec et au Canada. J’ai un projet au Canada anglais qui s’appelle After The End, c’est l’adaptation du pièce de théâtre britannique écrite par Paul Gross et en se moment c’est Sarah Gadon qui est pressentie pour l’actrice principale. Alors on va voir ce que ça donne! Mais oui, j’aimerais tourner à l’étranger ou ailleurs, absolument!

Prends-tu des vacances avec tout ça?
Bin là, j’ai pris une journée dans le désert! Je trouve ça fabuleux! Faudrait bien que je prenne des vacances cette année, car les vacances c’est ce qui fait que tu reset et que tu peux être plus prolifique au niveau créatif par la suite.



Les frais de déplacements ont été couverts par Téléfilm Canada.

Clic! Il fait clair. Vive la lumière!

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Quand on circule, de soir, sur la place des Festivals depuis la mi-décembre, on ne peut qu'être ébloui devant la somptueuse (et pharaonique!) installation Entre les rangs, puis, quand on lève la tête, le joyeux délire de Trouve Bob sur le Pavillon Président-Kennedy de l'UQAM nous captive et nous donne irrésistiblement envie de compléter le parcours en découvrant les six autres façades de jeu.

Pour cet article sur les coulisses de la création des deux œuvres luminothérapeutiques, nous nous sommes entretenus avec Rémi Vincent, de Champagne Club Sandwich, et avec Rami Bebawi, architecte associé chez Kanva, une firme de Montréal qu'il a co-fondée en 2003 avec Tudor Radulescu.

Puisqu'il est quand même étonnant de voir une boîte d'architectes participer à un concours d'installations artistiques, Bebawi mentionne d’emblée que Kanva ne fait pas simplement que de l'architecture, mais aussi de la recherche & développement, et que c'est dans cette optique que s'inscrit la création d’œuvres artistiques, qu'elles soient éphémères ou permanentes.

Pour lui, l'important, c'est de « comprendre le site et son origine. On veut que nos œuvres racontent l'histoire du lieu où elles se trouvent. » Dans le cas de Luminothérapie, le site était très intéressant pour ses collègues et lui, principalement pour deux raisons. De un, la place des Festivals, c'est gros, immense. Et de deux, c'est un oasis encadré par une densité urbaine assez intense.

Avant de soumettre quelque idée que ce soit, ils se sont promenés sur le site, ont étudié les volumes, l'orientation, la forme de la place et ont rapidement fait le constat que celle-ci est sise entre le Mont-Royal et le fleuve de la même manière que les rangs à l'époque du régime seigneurial. Un premier lien avec l'agriculture était fait. Puis, quand on y pense, l'agriculture est une affaire de cycles. Le rôle de la lumière, dans nos vies et les vies des végétaux, est de stabiliser l'état et de ramener vers des cycles plus réguliers. Kanva commençait à tenir quelque chose, mais il manquait encore un élément...

Ils se demandaient comment mettre en valeur l'agriculture. La solution est venue du vent. Le vent existe. Et sur la place des Festivals, il peut être assez soutenu.  De là, un lien s'est fait entre le vent et les tiges de blé qui se balancent dans les champs. Le concept de base prenait définitivement forme : on installerait un champ de blé lumineux en plein centre-ville de Montréal, en souvenir de l'histoire agricole du Québec.


Premières ébauches (Crédit photo: Kanva)

Ne restait qu'à trouver le moyen de le faire! Évidemment une panoplie de tests ont été effectués pour trouver les bons matériaux, qui réagiraient convenablement, et ce, à des coûts raisonnables.

Aidés par leurs complices Boris Dempsey et Pierre Fournier, des artisans du métal renommés, les créateurs d'Entre les rangs en sont arrivés à un prototype qui comprenait une tige de nylon (plastique) surmontée d'un réflecteur de vélo. C'est ce prototype final qui allait être reproduit pas moins de 28 500 fois pour l'installation!

Présentation d'un prototype (Crédit photo: Kanva)

De septembre à fin novembre 2013, les « lutins du Père Noël » de Kanva ont travaillé d'arrache-pied pour fabriquer ce nombre titanesque de tiges, en déclinaisons de 3 à 5 pieds de hauteur. En plus, ils devaient préparer les 350 bases de plastique recyclé qui supporteraient les tiges. Un beau petit contrat! Parallèlement à tout cela, les architectes de Kanva ont fait appel à Aménagement Côté Jardin pour concevoir l'organisation « végétale » du site. Le lien avec l'histoire agricole du Québec était poussé à fond! L'histoire ne dit pas si c'était la première fois que cette boîte reconnue en aménagement paysager travaillait avec des non-végétaux...

Fabrication d'une base (Crédit photo: Kanva)

Aspect à ne pas négliger lorsque l'on prépare un projet pour Luminothérapie, la lumière était aussi simultanément en train d'être testée. Conçu par Udo Design, l'éclairage d'Entre les rangs est en fait une projection lumineuse de 13 minutes, cyclique, qui balaie le site comme le ferait le soleil lors d'une journée normale, du lever au coucher. On a même pensé à des petits flashes représentant des lucioles le soir venu... Pour en arriver à la « chorégraphie de lumière » finale, Bebawi et sa bande ont loué un local adjacent au leur et y ont mené une foule d’expériences lumineuses.

Local de tests (Crédit photo: Kanva)

C'est pendant ces essais qu'est inopinément débarqué un Patrick Watson curieux et émerveillé. Il n'en fallait pas plus pour que le célèbre musicien montréalais embarque à son tour dans le projet en proposant d'en faire la trame sonore. Inspiré par les tiges de blé, il suggère une musique principalement composée d'instruments à corde et 100% analogique, jouée par de vrais musiciens. Résultat : la bande-son de l’œuvre se marie admirablement bien à sa « bande-lumière », grâce aux atmosphères texturées, toutes en douceur.

À ce stade-ci, on pourrait se dire que, niveau défis techniques, l'équipe de Kanva en avait plein son casque de construction, mais semble-t-il que non, parce qu'ils ont eu l'idée d'ajouter une composante d'interactivité au projet, pour en faire une véritable expérience sensorielle. L'idée était de faire en sorte que la musique soit altérée en volume par le vent en différents points de l'installation, un autre clin d’œil à l'agriculture. En installant un capteur de vent muni d'une hélice, le programmateur Marouane Sahbi a pu arriver à cette fin.

La conception allant bon train, début décembre 2013, l'assemblage sur la place des Festivals pouvait avoir lieu. Kanva disposait donc de deux semaines avant le lancement de Luminothérapie pour compléter son installation.

Installation sur la place des Festivals (Crédit photo: Kanva)

La première journée, sous un soleil radieux, tout allait à merveille et les choses avançaient à un rythme normal. Mais quand on a su qu'une tempête monstre se préparait pour le surlendemain, on a dû accélérer le processus. Ainsi, ce sont 60 personnes qui ont travaillé jour et nuit pour terminer l'assemblage des 350 bases... en une journée et demie plutôt que 2 semaines! Restaient tout de même l'éclairage (80 sources LED), la musique (20 haut-parleurs) et les capteurs de vent à mettre en place, des Festivals. Et, bien évidemment, cacher tout le filage de ces appareils. Pas un mince défi! (mais qu'ils allaient relever avec brio...) D’ailleurs, si vous passez par là, vous remarquerez un panneau mentionnant le nom de tous les collaborateurs : une liste assez impressionnante! 

Plus d'un mois après l'ouverture de Luminothérapie, Bebawi s'avère très satisfait de l'affluence sur les lieux (notamment pendant le congé des fêtes) et est emballé par les réactions des gens. « Les gens aiment ça parce qu'ils comprennent l’œuvre. En plus, c'est tellement photogénique. On voit partout sur les réseaux sociaux des photos d'Entre les rangs! »

L’hiver, c’est fait pour jouer

Du côté de chez Champagne Club Sandwich, les créateurs de Trouve Bob, les défis n'ont pas été les mêmes, mais ils ont été tout aussi nombreux. Pour faire la lumière (tou doum tssssit!) sur le processus de création de ce jeu haut en couleurs projeté sur des façades d'édifices, nous avons rencontré Rémi Vincent, un des deux membres de cette maison fondée en 2013 (l'autre étant Gabriel Poirier-Galarneau).

Les deux concepteurs-réalisateurs particulièrement doués pour le motion design avaient déjà créé, collectivement, des identifications pour ICI Radio-Canada et un vidéoclip, en plus d’avoir contribué au Parcours lumière du Quartier des spectacles, lorsqu'ils ont entendu parler du concours organisé en vue de l'édition actuelle de Luminothérapie. Sachant le potentiel du lieu (des lieux, dans leur cas...) et connaissant l'étendue du phénoménal parc de projecteurs-vidéo du Quartier des spectacles (un des plus vastes au monde), ils n'ont pas hésité à soumettre un projet.

« En fait, on nous proposait de nous amuser dans un véritable terrain de jeu », souligne Vincent. « On voulait partir sur une idée où, contrairement à une expérience solo, on touche vraiment les gens, où on les force presque à participer. » En plus de l'aspect participatif, ils se sont rapidement mis à la recherche d'une idée qui impliquerait quelque chose d'un peu fou, de très rigolo, avec des personnages. Par-dessus ça, ils se sont fixés l'objectif d'arriver à un résultat chaleureux, dans l'optique de contrer les effets néfastes de l'hiver et d'insuffler une atmosphère de festival estival au quartier.

Esquisses de personnages et de décors (Crédit photo: Champagne Club Sandwich)

Une fois tous ces éléments identifiés, ne manquait qu'un fil conducteur, une colonne vertébrale. C'est là qu'est intervenu le concept général de Trouve Bob : un jeu vidéo dans lequel le personnage principal, caché, doit être retrouvé par les joueurs, un peu à la manière des livres Où est Charlie? « L'avantage d'un tel concept, c'est qu'on n'a pas besoin d'expliquer les règles. Tout est dans le titre! En fait, il n'y a même pas de règles. »

Après avoir soumis une vidéo d'une minute présentant leur projet, les deux membres de Champagne Club Sandwich ont appris qu'il était retenu. Considérant l'ampleur de la tâche qui les attendait, ils se sont tout de suite mis au travail. Car Trouve Bob, ce n'est pas une simple projection vidéo sur un mur blanc rectangulaire horizontal. Non, ce sont SEPT projections vidéo différentes sur SEPT édifices aux formes bien évidemment différentes et pas du tout régulières.

Pour arriver à leurs fins, ils se sont adjoints les services d'Aurélien Jeanney et Delphine Dussoubs, qui ont travaillé sur l'animation des personnages et des décors, et de Jean-Sébastien Roux, qui a composé la musique. Pour chaque site de projection (la place de la Paix, le métro Saint-Laurent, le Centre de design de l'UQAM, le clocher de l'UQAM, la Grande Bibliothèque, le Pavillon Président-Kennedy de l'UQAM, et le Cégep du Vieux-Montréal), l'équipe a conçu 3 niveaux de jeu à difficulté croissante. Le premier tableau de chacun d'entre eux est relativement facile, mais de nombreux personnages s'ajoutent dans les suivants, tandis que le temps alloué pour trouver Bob diminue. 

Animation d'un personnage (Crédit photo: Champagne Club Sandwich)

Pour créer les univers dans lesquels se retrouve Bob, Champagne Club Sandwich s'est inspiré de la morphologie des immeubles où sont projetés les jeux. Ainsi, le Cégep du Vieux-Montréal avec ses grandes fenêtres rondes qui font penser à des hublots est devenu un bateau, et pourquoi pas un bateau-pirate tant qu'à y être! Quant au clocher de l'UQAM, sa forme évoquait une fusée. Bob s'y retrouve donc dans l'espace...

Un des principaux défis consistait à définir un workflow efficace pour gérer la production de ces nombreuses et complexes et immenses projections vidéo. Et ça, c'est en tenant compte du fait que le temps de rendu pour exporter les fichiers vidéo pouvait être de 2 à 3 jours pour l'ensemble des 7 lieux. 

En faisant des tests d'images fixes et animées assez fréquemment sur les surfaces des immeubles, ils ont pu se faire la main. Mais plusieurs paramètres entraient en ligne de compte quand venait le temps de faire les ajustements : l'échelle de l'immeuble, son format, le recul du spectateur et la pollution lumineuse sont autant d'éléments qui pouvaient modifier les premières versions créées. Plusieurs allers-retours entre le Quartier des spectacles et leur studio de création ont été nécessaires avant d'arriver aux versions finales.

Animateur au travail (Crédit photo: Champagne Club Sandwich)

Mais l'aspect le plus compliqué de la production n'était pas ce que l'on pourrait croire : « Le plus dur, je te dirais, c'était de cacher Bob. Soit c'était trop facile, soit c'était trop difficile. Même nous, on plaçait Bob et le lendemain, on oubliait où on l'avait mis. », raconte Rémi Vincent. Quel taquin furtif ce Bob! 

Quand on lui demande, un mois après le dévoilement de Trouve Bob, comment il perçoit sa participation à Luminothérapie, même son de cloche que chez Kanva : « Ce qui était cool, c'est qu'on ne nous demandait pas de créer sur un format traditionnel. Ce sont 7 formats étranges avec des fenêtres ou des toits, et on devait se baser là-dessus pour créer. Nous, on ne voulait pas faire quelque chose juste pour être vus; on voulait faire quelque chose avec lequel les gens pourraient jouer. Et on a super bien réussi, je crois, même si on n'est pas des game designers. »

Rami Bebawi de Kanva a quant à lui la conclusion parfaite à toute cette histoire : « J'adore la relation entre Entre les rangs et Trouve Bob, le contraste entre les deux. Eux, c'est très pété, très fou.  Tandis que nous, ça inspire le calme et la sérénité. Mais dans les deux cas, c'est accessible à tous, gratuitement. Ça décloisonne l'art. Ça peut donner le goût aux gens d'expérimenter, de jouer avec les objets du quotidien! »

Dépêchez-vous d'en profiter, il ne reste que deux semaines...

Entre les rangs et Trouve Bob, dans le cadre de Luminothérapie
Jusqu'au 2 février dans le Quartier des Spectacles


Les discrètes : l’altruisme au temps du selfie

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Les discrètes nous plonge au cœur de la congrégation des Sœurs de la Providence, une communauté religieuse née à Montréal en 1843 et qui se consacre aux plus démunis. En filmant le quotidien de ces femmes, la réalisatrice dresse par omission un portrait acerbe de notre société actuelle et des temps à venir.

Dès le titre, la discrète fait écho à son opposée, l’ostentatoire. Avant d’être un mot servi à toutes les sauces pour alimenter un débat sur le caractère alarmant ou non d’une tête voilée, l’ostentation dans sa connotation première signifie faire parade de ses qualités ou de ses avantages.

Quand on se décide pour un téléphone à mille dollars plutôt que pour un autre moins couteux, on pèche souvent par ostentation : on en profite pour montrer à notre entourage qu’on en a les moyens, qu’on est une personne fréquentable et ça nous distingue de tout un tas d’animaux de bassecour.

L’ostentation, c’est parfois faire des choses stupides juste parce qu’on peut.

À la fashion-week de Londres, Nokia présente une jupe ostentatoire composée de quatre-vingts téléphones intelligents

Parfois, c’est le fun mais là où le bât blesse, c’est quand l’objet de notre ostentation n’est pas seulement un bonus pour nous qui le possédons mais un gros point noir dans la figure de celui qui ne le possède pas. On évolue dans un monde où tout est codé et même un t-shirt donne à penser sur notre identité profonde. L’une des sœurs présentes dans le film, consciente du danger, le souligne très bien : « s’habiller laïc, c’est toujours un problème : on ne sait jamais quoi se mettre. »

Séance de shopping entre Soeurs

Les magazines auraient donc raison de nous mettre en garde contre le fashion-faux pas. Mais glissons-nous un instant dans la peau de cette femme ou de cet homme qui, à un moment, a fait un vrai pas de côté, voire plusieurs. Si ce n’est pas évident de sortir avec des chaussures « so 2013 », avoir les dents usées par 20 ans de consommation de drogues, c’est tout de suite une autre paire de manches. Au-delà des apparences physiques, 20 ans c’est long : ça laisse le temps d’intégrer tout un tas de comportements et d’en oublier d’autres. Mais sur le temps d’une vie, c’est pas grand-chose et admettons que cette femme ou cet homme ait vraiment la force de s’en sortir et qu’elle / il y arrive, elle / il continuera à porter les stigmates de son histoire et ça, ça ne pardonne pas.

Ça ne pardonne pas parce que aujourd’hui, l’échec ne fait plus partie de notre vocabulaire. Depuis qu’on est petits, on nous a collé comme animal de compagnie la chimère du parcours parfait (être sur la plus haute marche du podium, décrocher des mentions puis se trouver un bon parti ou une femme bête et jolie et puis vous connaissez la suite) et que cette petite bête-là continue à être nourrie par tout un tas de publicitaires, qui nous flattent en nous racontant que ce chandail Abercrombie, taillé sur mesure pour des gens beaux, minces et riches est fait pour nous et qu’on l’a mérité.

Brisons un peu nos propres mythes et admettons qu’on a surtout eu une chance énorme, comme celle de ne pas avoir perdu sa mère à l’âge de 5 ans, morte du SIDA et d’être resté seul avec son père junkie. Gardez vos drama queen pour votre soeur, je n’invente rien: c’est l’histoire bien réelle d’une des intervenantes du film, Kathie, qui a été recueillie à l’âge de un an et demi par la sœur Annette.

Et c’est comme ça que les Sœurs de la Providence interviennent : elles ouvrent la porte aux moins chanceux et s’adressent à eux comme à des êtres humains. Elles ne font pas des miracles, elles ne transforment pas l’eau en vin : elles se contentent de regarder un homme dans les yeux, même quand il n’a pas souvent l’occasion de se laver et elles l’écoutent. Une activité à la portée de tous, qui ne demande pas l’acquisition d’un matériel particulier.

Les Sœurs soutiennent les femmes du centre de détention Tanguay

À nos athéistes les plus clairvoyants et à ceux qui se sont fait tatouer carpe diem sur le front, ne vous fatiguez pas à cracher dans le bénitier, le bien-fondé ou non de la religion ce n’est pas le sujet de ce film.

Durant l’entrevue qu’elle m’a accordée, Hélène Choquette a tenu à être claire sur ce point :

 « Les discrètes, ce n’est pas un travail de journalisme. Je suis une documentariste avant tout et même si je respecte une certaine rigueur journalistique, je ne cherche pas forcément le contre-point de vue. J’ai choisi de ne pas critiquer l’institution religieuse. On sait que l’église a commis des erreurs par le passé mais ce n’est pas ce que je voulais questionner. On a voulu faire un film sans fard, simple, qui ressemble aux Soeurs. Les discrètes ce n’est clairement pas un film d’action mais c’est un film de bonnes actions. »

Les discrètes, c’est une réflexion sur le poids de nos actes, sur ce qu’ils racontent de nous et sur notre besoin criant de pouvoir échapper de temps à autre aux jugements. À travers le regard de la réalisatrice, on entre dans le monde de l’anti bling-bling.

C’est aussi un film qui raconte le temps qui passe et la manière dont notre société a évolué au cours du dernier siècle. Et même si les discrètes sentent un peu la boule à mites des fonds de tiroirs de nos anciens, on en vient à se demander si elles ne sont pas beaucoup plus en avance sur notre temps que nous.

 « Aujourd’hui, on parle beaucoup de décroissance. Les Sœurs remplacent l’élastique de leurs jupes plutôt que d’aller en acheter une nouvelle, elles récupèrent le linge des Sœurs décédées. Ce sont des femmes qui vivent dans une véritable simplicité. »

Atelier tartines pour les itinérants de la place Émilie-Gamelin

Pour conclure mon interview sur une note positive, j’ai demandé à la réalisatrice comment elle envisageait notre futur proche :

« Quand j’ai réalisé Les réfugies de la planète bleue [qui abordait la thématique des réfugiés climatiques], la monteuse m’a demandé pourquoi je n’avais pas fait un happy-ending. J’ai été obligée de lui dire qu’après trois ans de recherches et de tournage, je ne voyais pas de solution. Le problème est tellement global et puis on est sectaires, tous refermés chacun sur notre petite réalité, sur notre petit confort. »

Plus tard, les Internets m’informaient d’un nouveau phénomène de mode chez nos jeunes les moins aguerris : se photographier en utilisant comme décor les itinérants que l’on trouve sur son chemin. Je ne peux donc que donner raison à Hélène, 2050 ça ne sera vraiment pas drôle.


Deux mecs qui vivent le rêve canadien
Source : http://joelarqui.tumblr.com/post/76629016109/selfies-homelessguy

Mais en attendant, profitons-en pour aller voir Les discrètes : Comme un dimanche chez grand-maman, c’est pas palpitant mais ça met du baume au cœur. Et puis, on sait qu’elle n'en a plus pour très longtemps.


Le film Les discrètes sera présenté le 22 février en avant-première à l’auditorium de la Grande Bibliothèque, dans le cadre des Rendez-Vous du Cinéma Québécois.

Plus d’informations : http://www.rvcq.com/festival-32e/programmation/films/1786/discretes-les


Pour me suivre sur Twitter : @elimeur

(Photo du haut: image tirée du film
Les discrètes)

Ta télé veut avoir du sexe avec toi – Pourquoi on ne couche pas avec ses amis en 4 points

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Sans parler du fait que les hommes ne sont pas toujours attirés par les femmes et vice-versa, comme je nous considère tous comme des personnes capables de sang froid et de raison, l'idée de partager un jour de bons moments avec quelqu'un sans jamais connaître sa face quand elle / il jouit ne me semble pourtant pas irréaliste.

D'un autre côté, je dois avouer qu'il m'est déjà arrivé de découvrir chez une vieille connaissance une odeur que je ne lui connaissais pas, un petit quelque chose neuf et animal qui met le feu aux poudres, qui fait que les évènements s'enchainent et que BIM, nous nous retrouvons à donner raison au vieil adage.


L'amitié homme – femme se casse la gueule

Et après ? Est-ce qu'on peut vraiment se rouler dans la paille ensemble pour ensuite se séparer en se donnant une bonne tape dans le dos ou est-ce le début de la fin ? Vivre de grands moments de plénitude charnelle, en toute amitié, est-ce possible ?

On dit aussi que la télévision ne ment jamais. Pour répondre à cette question sexistentielle, j'ai déniché quatre séries dans lesquelles les personnages ont affronté le grand virage de l'amitié.

1 . Ami particulier ou homme objet : fucky buddy, qui es-tu ?


Avant toute chose, définissions ces aventures extra-amicales.

Dans Sex and the City, durant un cours de yoga, Carrie explique à Charlotte ce qu'elle appelle un Fuck Buddy :

- Carrie : Un fuck buddy est un gars avec qui t'es sortie une ou deux fois, tu sais que ça ne mènera à rien mais il est bon au lit, donc tu gardes le contact.
- Samantha : C'est un peu comme allo-bite.
- Charlotte : Tu veux dire que t'appelles ce mec juste quand t'es ... chaude ? Il vient de tout de suite ?
- Samantha: ben, ce n’est pas un esclave, il a quand même une vie ...
- Miranda: … mais t'es pas obligée de la connaitre.
- Carrie : Et la livraison est garantie dans les six heures maximum.
- Charlotte : Vous en avez toutes un ?
- Miranda : Le mien a déménagé à Chicago alors maintenant on fait du phone-sex.
- Carrie : Que fait-il à Chicago ?
- Miranda : Je n'en ai absolument aucune idée.


Hannah de la série Girls ne connait pas vraiment Adam non plus, mais elle l'apprécie vraiment. Le problème, c'est qu'entre deux grands moments de sexualité débridée et une fois le lit refait au carré, c'est le silence radio. Elle se contente donc de « presque » jouir à chaque fois que Adam a du temps pour la voir.

Dans Scrubs, en revanche, les deux amants se connaissent très bien puisqu'il s'agit de Eliott Reid et de John «J.D» Dorian, deux des personnages centraux de la série, qui passent neuf saisons à se séparer pour mieux se remettre ensemble. Dans l'épisode en question, ils ne sont plus en couple mais craquent et s'offrent des retrouvailles enflammées sous l'arbre de Noël. Comme dit JD, ils sont adultes et il n'y a aucun mal à se faire plaisir. Eliott ajoute : « je suppose qu'on pourrait juste être des sex buddies », une véritable victoire pour JD, puisque ce serait la phrase que « tous les hommes rêvent d'entendre ».

L’ami d’oreiller, ça peut donc être quelqu'un qu'on ne connait pas vraiment ou au contraire quelqu'un qu'on connait un peu trop bien, quelqu'un qu'on aimerait connaitre plus (ou pas du tout).


Sex and the City


Friends aussi nous livre une histoire d'ex avec Monica et Richard qui, après un cours de cuisine particulier, décident de célébrer le bon vieux temps. Monica dit : « on peut être amis et coucher ensemble » et Richard lui répond : « oui, ce serait juste un truc qu'on ferait, comme du racquetball. »

Après quelques secondes malaisantes, Monica demande à Richard si il a d'autres racquetball buddies. C'est le cas, il a d'ailleurs un rendez-vous prévu dans la semaine. « Est-ce que tu veux que je l'annule ? » - « non, non » s’exclame-t-elle, éclatant d’un rire forcé.

2. Les femmes ne font pas la différence entre sexe et sentiments

Ce que la télévision m'apprend, c'est que si ces aventures d'amitié augmentée échouent, c'est principalement de ma faute. Mes synapses de femme étant directement connectés au col de mon utérus, dès que ça s'agite là en bas, je perds la raison.

Turk, le meilleur ami de JD, le prévient à ce propos : « Les femmes ont du mal à séparer le sexe des sentiments. Tu crois que tu t'en sors bien mais bientôt elle te dira, JD, j'ai besoin de toi. » Et Eliott de confirmer plus tard : « Je ne peux pas en rester là, je ne vais pas réussir à séparer le sexe des sentiments et on redeviendra un couple. Et ce n'est pas ce qu'on veut non ? »

Même constat du côté de Hannah, qui vit mal le fait que Adam ne réponde jamais à ses messages. Prétextant qu'elle se balade dans le quartier, elle débarque chez lui, l'embrasse et lui dit : « Je t'aime tellement, je ne sais pas pourquoi tu disparais. » Ce à quoi il répond qu'il est là, parce que Adam vit le temps présent, il cueille le jour alors que Hannah spécule sur le pourquoi du comment. En le quittant, elle lui demande : « on se voit bientôt ? », il lui répond : « oui, envoie-moi un message » (auquel il ne répondra pas.)

De son côté, Sex And The City renforce le cliché en admettant qu'avoir un sex-buddy, c'est se comporter comme un homme. C'est ce que dit Samantha à Charlotte, la voix tintée d'admiration, quand cette dernière lui raconte qu'elle a un double rendez-vous prévu le lendemain. « Je ne sais pas comment je vais faire pour manger deux fois dans la même soirée » ajoute Charlotte. Commentaire de Carrie en voix-off : « et là soudainement, elle est redevenue une femme. »


Le genre expliqué par Carrie Bradshaw

Pour nos épicuriennes urbaines, le Q plan c’est un truc de femmes modernes, qui se dédient corps et âmes à leurs carrières et qui n'ont pas le temps de s'investir dans une relation ...

Prenons 30 secondes pour établir un petit raisonnement :

Je suis une femme qui travaille >  j'ai un fuck-buddy > Avoir un fucky-buddy, c'est se comporter comme un homme > Une femme qui travaille est donc ... un homme



3. Le monde entier s’invite dans mon lit

Ce qui explique peut-être la différence entre les hommes et les femmes dans ce type de relation, c'est la manière dont ils sont perçus par le monde extérieur.

Marnie, la meilleure amie de Hannah, lui dit « Adam ne peut pas te faire ça. Il ne peut pas, il n'est pas autorisé, ce n'est pas ton copain » quand elle lui raconte les soirées qu’elle passe en compagnie de Adam. Quand celui-ci lui envoie par erreur une photo de son penis mi-mou (ou mi-dur, si on est optimiste) destinée à une autre, Hannah le prend à la rigolade. Mais ses collègues de travail lui disent qu'elle doit se faire respecter, qu'elle doit avoir plus d'amour-propre.


Girls


On attend Eliott jalouse et honteuse alors qu'en réalité, elle assume plutôt bien le fait de recoucher avec son ex :

- Turk à JD (à propos de la vendeuse du magasin de bonbons de l’hôpital) : La vendeuse, tu l'as .. ?
- Carla : Turk, Eliott est là.
- Eliott : Ça m'est égal.
- Carla : Ah, alors j'imagine que quand je suis passée devant la chambre de J.D il disait à un autre Dr Reid de ne surtout pas s'arrêter.
- JD (qui feint de se sentir gêné) : Cette conversation commence à me mettre un peu mal à l'aise et je suis sur que Dr Reid ressent la même chose.
- Eliott : Non, tu peux mh mh avec qui tu veux, ça m'est égal.
- Voix-off de J.D : Tu veux jouer à ce petit jeu hein ?

Pour Charlotte, un sex buddy, ce n'est pas « une relation saine. » Quant à Carrie, elle ne voit son ami que quand elle entre dans des phases d'instabilité, où elle enchaine les nuits blanches, se lève tard et mange de la bouffe chinoise bien grasse.

De manière générale, si une personne se défend de vouloir avoir une relation sexuelle avec un ami, elle est tournée en ridicule par son entourage, comme Monica qui retrouve ses Friends dans la cuisine, qui lui demandent où elle était la veille. Elle explique être sortie avec Richard, qu’ils ont été mangé ensemble en toute innocence. Ça n'existe pas les burgers innocents répond Phoebe. Elle a passé du temps à essayer de l'oublier et maintenant elle va fêter ça en allant manger avec lui, ajoute Chandler.

Bien que Monica répète ne pas vouloir sortir avec Richard mais simplement être amis – Ross revient à la charge en disant : des amis nus.

4. Les mecs ne pensent qu'à ça


Scrubs


Si les femmes sont de gros cœurs sur pattes, le centre névralgique de l'homme, c'est bien connu, se situe plutôt en dessous de la ceinture. Quand les femmes se confient, les hommes en profitent puis coupent les ponts une fois qu'ils ont obtenu ce qu'ils veulent.

Après que Eliott ait mis un terme à cette aventure qui risquait de la blesser, elle dit à J.D : « Je sais que ce sera plus dur pour toi d'être juste des amis. » et plus loin : « Parce que t'es un mec. » Bien qu'elle lui ait expliqué clairement qu'elle ne voulait plus coucher avec lui, J.D insiste puis se venge en sortant avec une autre un soir où Eliott est plus bas que terre.

Le lendemain, elle lui dit :
- « J'avais besoin de ton aide et tu m'as laissé tombée. »
- « C'est toi qui a érigé toutes ces barrières, qui a dit qu'on ne sortait plus ensemble. »
- « Je ne voulais pas un petit ami hier soir, je voulais un ami. »

J.D finit par s'excuser de ne pas avoir été à la hauteur mais pense au fond de lui : «plaque-la par terre et monte-la comme un lion. »

Même scénario dans Friends, Monica répétant à plusieurs reprises à Richard qu'elle n'est pas prête à le revoir mais finissant par céder devant son insistance et dans Girls, Hannah ouvrant son cœur à Adam qui couche une derrière fois avec elle pour l'envoyer balader le lendemain.

CQFD : Les hommes et les femmes sont faits pour être en couple.

Triste constat : il semblerait que le couple soit la seule voie acceptable si l’on veut avoir des relations sexuelles respectueuses et épanouissantes.

Vous avez l'impression que quelque chose ne tourne pas rond ?

La télévision est souvent décrite comme une fenêtre sur le monde. Je la comparerais plutôt à un trou de serrure : elle permet de regarder ce qui se passe chez les autres mais son champ de vision est très réduit.

Hommes comme femmes, nous sommes souvent victimes de représentations qui ne nous correspondent pas mais qui influent sur notre manière d’interagir avec ce qui nous entoure et sur nos propres identités. Les premiers doivent jouer les conquérants désabusés alors que les secondes sont condamnées à vivre des plaisirs coupables. Les uns gagnent, les autres perdent. Présenter les hommes et les femmes, les gens en général, comme des rivaux, c’est nous obliger à nous méfier constamment les uns des autres. Or, la base d’une relation qui roule, c’est la confiance et le respect. Et ceci est valable en amour, en amitié et même pour les amis pour qui on a beaucoup d’amour.

Bon, on m’informe d’une épidémie de chlamydia alors ne vous faites pas trop confiance non plus.


Un garçon, une fille, un virage bien négocié


Elisabeth Meur – Poniris
@elimeur

Friends est une série télévisée diffusée sur NBC entre 1994 et 2004.
Épisode commenté : Celui qui persiste et signe - The One Where Monica And Richard Are Friends
(Saison 3, Épisode 13)


Sex and the City est une série télévisée diffusée sur HBO entre 1998 et 2004.
?Épisode commenté : L’homme objet – The Fuck Buddy
(Saison 2, Épisode 14)


Scrubs est une série télévisée diffusée sur NBC entre 2001 et 2008, puis sur ABC entre 2009 et 2010.
Épisodes commentés : Mon copain de lit – My sex Buddy (Saison 2, Épisode 11)
Mon nouvel ex-amoureux – My New Old Friend (Saison 2, Épisode 12)?


Girls est une série télévisée diffusée sur HBO depuis avril 2012, elle compte aujourd'hui trois saisons et est toujours en cours de production.

Épisodes commentés : ?Hello, New York 1 - Pilot (Saison 1, Épisode 1)
De l’efficacité des préservatifs - Vagina Panic (Saison 1, Épisode 2)
C’est le lot des audacieuses - All Adventurous Women Do (Saison 1, Épisode 3)
Le journal d’Hannah - Hannah’s Diary (Saison 1, Épisode 4)
Pas facile d’être une fille facile - Hard Being Easy (Saison 1, Épisode 5)

Beau, bon, pas cher: le journalisme à l'Île Maurice

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Mathieu Molard, journaliste en charge des questions sociales et écologiques chez ce média français avec qui Urbania s'est lié d'amitié, raconte:

À StreetPress, on en a marre : crise de la presse, trop d’impôts, trop de charges… Le ras-le-bol fiscal guette notre patron. Son constat est clair, un journaliste coûte trop cher. Et si Renault délocalise ses usines en Roumanie, pourquoi ne pas faire pareil ?! On ne vous cache pas que ça fait quelques temps qu’on y pense dans les hautes sphères, surtout depuis qu’à la rédaction certains parlent carrément de se syndiquer…

Offshore
« Si ça continue, je vais finir sur la paille. Déjà l’an dernier, j’ai dû revendre l’un de mes yachts pour payer les notes de frais des journalistes », témoigne Jo, fondateur de StreetPress. Quand Rosemees Company Limited, une société « opérant en offshore » (sic) a contacté l’équipe de StreetPress, la direction était plus qu’emballée: « On avait déjà commencé à discuter de qui nous pourrions nous séparer », confesse sous couvert d’anonymat un responsable des ressources humaines de l’équipe du pure-player.

Il faut dire que l’offre était alléchante : « Nous sommes en mesure de vous faire économiser entre 40-60% sur les ressources humaines », promet la publicité tombée dans nos boîtes mail. Et ce, grâce à des « plate-formes » situées à l’Île Maurice ou Madagascar pour des articles en français (il est également possible d’avoir du contenu en anglais, espagnol et italien grâce à des plate-formes situées en Inde et en Argentine). Wouaou, une multinationale de la sous-traitance journalistique qui nous propose de produire beaucoup plus d’articles pour beaucoup moins cher !

Pas d’amateurs
Sur son site internet, l’entreprise revendique « près de 1000 employés ». Ses cœurs d’activités: le télémarketing et les centres d'appels. Une page est également consacrée à la « rédaction web ». Elle propose de « peupler un site internet », et assure de la qualité de son service :

« Pour nous, être rédacteur web est un métier à part entière, et nous n’avons pas d’amateurs ou de gens “compétents” à vous proposer. Notre personnel est professionnel (…). Nos journalistes web ont été formés afin de concilier une écriture simple, facilement compréhensible et claire pour l’internaute afin de répondre efficacement et rapidement à ses besoins d’information. »

Notre big boss, salivant d’avance à l’idée de réduire sa « masse salariale » en augmentant ses marges, mandate l’auteur de ces lignes pour contacter l’entreprise prestataire.

Low-cost
Au téléphone, on nous assure qu’il n’y a « aucun problème » pour faire du contenu journalistique. D’ailleurs, leurs rédacteurs sont au niveau : de bac à bac+3 (NDLR: équivalent de cégep à baccalauréat au Québec). Et pour StreetPress, « pas besoin d’un bac +3, un niveau 2 devrait suffir », affirme notre interlocutrice. Plus modestes que leur confrères hexagonaux, les journalistes mauriciens « ne signent pas les papiers. Vous pouvez nous donner un pseudonyme ». Ah, comme c’est pratique ! On pourrait peut-être garder les signatures de nos actuels journalistes...

Ça coûte combien ?
Le tarif de base est de « 0,019 euro le mot », soit 9 euros 50 l’article de 500 mots (environ une demi-page dans un journal comme Libération). Comme l’idée, ne nous en cachons pas, c’est de virer un journaliste (moi?), nous avons décidé de comparer leur offre avec le coût d’un salarié de StreetPress, soit pour l’entreprise quelques 2500 euros par mois (charges comprises). La commerciale nous demande de patienter quelques instants, le temps de faire ses calculs. « Si je vous fais un tarif dégressif, pour 2500 euros, je peux vous proposer 330 articles de 500 mots environ. » Soit le nombre de papier produit par toute l’équipe de StreetPress en… 11 mois ! Un tarif alléchant (7,57 euros l’article), d’autant plus qu’il n’y a ni charge, ni taxes à ajouter. Quant aux modalités de paiement: c’est 50% à la commande, le reste à la réception des papiers. Le tout à régler « par virement bancaire ou Western Union ».

Droit social
Et les salariés dans tout ca ? Grâce aux joies des internets, on finit par mettre la main sur une ex-plume de la boîte qui nous raconte le fonctionnement de Rosemees Company : une vingtaine de salariés s’occupent de la rédaction des articles en « se basant sur la presse et le web ». Et même si l’ambiance est « plutôt détendue », pas question de mollir si on veut atteindre les objectifs fixés : 21 papiers par jour. Pas vraiment un problème pour notre rédacteur. « J’arrivais à en faire environ 40 en une journée », pour un salaire de 22 000 roupies, environ 530 euros, « plus des primes ». Ce qui correspond au salaire moyen à l’Île Maurice.

Délocaliser StreetPress serait presque une forme d’aide au développement donc… « Tu crois que, comme pour un don à une ONG, on peut le déduire de ses impôts ? », m’interroge Jo, toujours avide de nouvelles méthodes d’optimisation fiscale. Je ne crois pas, mais selon l’Expansion, le pays bénéficie de « l’un des régimes fiscaux les plus généreux au monde » avec un taux d’imposition de seulement 15% pour les entreprises et… 0% sur les dividendes.

Clients
Streetpress n’est visiblement pas la seule entreprise tentée par ce système : Rosemees Company, sur son site internet, assure travailler pour « les plus grands opérateurs médiatiques anglophones et francophones ». Info ou intox ? Par mail, l’entreprise de sous-traitance nous balance, articles à l’appui, une liste d’une vingtaine de sites internet. Certains squattent le top 50 des sites les plus visités de France. Contactées, les entreprises nient. Impossible de vérifier.

L’ex-salarié nous explique cependant que Rosemees Company fournit des articles à de nombreux sites de presse féminine, du secteur du jeu vidéo – « deux personnes ne faisaient que ça, ils testaient même les jeux chez eux » – mais aussi de nombreux sites techno et bricolage.

Test
Encore indécis ? Pas de problème, Rosemees Company Limited nous propose un « article test » sur un sujet de notre choix.

> StreetPress : Un article style reportage, sur l’ouverture d’un bar à chats, à Paris, c’est possible ?

> Rosemees Company Limited : Sans problème !


Il suffit d’envoyer un article qui servira de modèle pour le format et le ton. Nous choisissons un reportage sur le « vapor-lounge », un bar où l’on vient déguster les cigarettes électroniques proposées par la maison.

48 heures plus tard, le résultat tombe dans notre boîte mail. Le papier est bien écrit et tous les éléments du reportage y sont. « Les yeux pétillants » de la patronne, description, ambiance… On s’y croirait presque. Quand on pense que les journalistes de StreetPress perdent leur temps à partir sur le terrain, alors que mater quelques vidéos de France 3, Le Figaro ou Europe 1 suffit à faire illusion. Et puis, pas de véritable risque de se faire prendre pour plagiat, puisque les citations, bien que reconnaissables, sont légèrement reformulées. Ah, ce sens du détail !

Pour lire l'article en question, rédigé par un « journaliste » mauricien, c'est ICI.
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