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Bière électorale avec Gerry Sklavounos

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« Il va y avoir du sport, de la bière, mais aussi de la politique. » C’est sur ces termes que j’ai invité Gerry Sklavounos, le député de la circonscription Laurier-Dorion depuis 2007, à écouter un match de soccer autour d’une bière. Aussitôt l’invitation lancée qu’un rendez-vous était prévu pour le lendemain dans le quartier de son local électoral. 

Je prends donc la route pour Parc-Extension, « Parc-Ex » pour les intimes,  un quartier tout juste à l’ouest de Villeray habité essentiellement par des familles immigrantes. Une réalité qu’on découvre assez rapidement lorsqu’on se rend sur les lieux. Exit les arômes américains à la Hamburger Helper, ici les rues sont parfumées en permanence aux épices indiennes, asiatiques et latino-américaines. Et c’est dans une allée particulièrement gourmande et exotique de Jean-Talon Ouest que se trouve mon lieu de rendez-vous ; le Café Cozmos. Tout petit, ce bar grec de type café aux couleurs pastel meublé de quelques tables et téléviseurs passe inaperçu dans le décor ambiant de la ville. 

Dès mon entrée, un homme debout au bar me voit et me crie une phrase en grec. Je lui acquiesce un salut de la tête sans trop savoir s’il m’accueillait ou s’il m’insultait. Son accent n’est pas le seul de la place. La vingtaine de clients assise au Cozmos discute en grec en attendant la tenue du match de soccer à la télévision opposant justement un club grec, l’Olympiakos, à une légendaire équipe anglaise, le Manchester United. Inutile de préciser que les clients du Cozmos ont un parti pris pour l’équipe hellénique: à peine les joueurs montés sur le terrain qu’un homme se dirige vers un des écrans de télévision pour bénir d’un signe de croix les différents sportifs apparaissant à l’écran. Un tel geste aurait pu être qualifié d'ostentatoire par certains politiciens, diraient les mauvaises langues. 

Parlant de politiciens, Gerry Sklavounos entre quelques minutes après le commencement de la partie. Son arrivée ne passe pas inaperçue. Même si la plupart des yeux sont rivés vers les téléviseurs, une bonne majorité des clients prennent le temps de le saluer et même de lui dire quelques mots en grec, que je ne saurais comprendre. 

Le candidat libéral, un Montréalais d’origine grecque, est bien connu du quartier. S’il a vécu son enfance sur le Plateau Mont-Royal, c’est dans Parc-Ex qu’il a passé la majeure partie de sa vie. 
- C’est beau comme quartier. C’est même dépaysant. Il n’y a rien comme ça à Montréal, non?

D’ailleurs, la fierté semble être une caractéristique qui définit bien Gerry. Grand et loquace, ce dernier a un tic lorsqu’il vante ce qu’il a fait pour son quartier. Il prend à deux mains les rebords intérieurs de son veston pour le replacer d’un trait. Geste qu'il répétera sans cesse au courant de notre entretien. 

Aussitôt à table, le même client qui m’avait accueilli à mon arrivée au bar vient voir Gerry Sklavounos pour lui parler quelques minutes en grec. Je tente sans grand succès de traduire leurs échanges qui semblent très sérieux. 

- Il me racontait que son frère a eu un malaise avec son cœur. Fort heureusement, on a pu le soigner juste à temps dans un établissement du quartier. 

Un établissement qui dessert depuis peu, selon Gerry, des patients qui seraient habituellement envoyés dans des hôpitaux plus éloignés sur l’Île de Montréal.  

Malgré le sérieux du sujet, je profite de l’occasion pour lui demander de trinquer puisque nos deux premières pintes arrivaient à table. C’est sur un « yamas » (désolé, je ne suis même pas trop sûr de l'orthographe correcte), un genre de « cheers » en grec, que nous trinquons à l’occasion. Gerry Sklavounos ne cache pas son appréciation pour ce genre d’activité. 

-Pendant la campagne, j’aime bien venir ici lors de grands rendez-vous sportifs pour rencontrer mes électeurs. 

Pourtant, il ne s’agit pas d’un simple rendez-vous sportif. Gerry m’avoue qu’il a une affection particulière pour l’Olympiakos. Une équipe qui, tout comme lui dans sa campagne dans Laurier-Dorion, débute avec quelques points d’avance sur ses adversaires.  
 
Après avoir remporté les élections de 2007 et 2008, Gerry Sklavounos a mené une campagne plus serrée en 2012 contre le Parti Québécois et Québec Solidaire, ses deux plus proches poursuivants. Pour 2014, le député sortant ne se compte pas gagnant d’avance. Il veut conserver son bassin d’électeurs dans Parc-Ex, mais veut aussi gagner du terrain dans Villeray, un quartier surtout habité par des francophones et des étudiants.

- D’ailleurs, ça peut paraître surprenant, mais d’après notre travail sur le terrain, bien des jeunes optent en ce moment pour les Libéraux, dans Villeray. 

Surprenant, indeed. Deux hivers se sont écoulés depuis le printemps érable, mais des carrés rouges flottent encore et toujours sur les balcons de Villeray. Alors pourquoi un changement du rouge écarlate pour le rouge libéral ? 

- Le Parti Québécois a peut-être annulé la hausse des frais de scolarité, mais il a baissé le crédit d’impôt aux études. Au bout du compte, les étudiants vont maintenant payer le même prix que si la hausse avait passé. Je le sais, je l’ai moi-même calculé.

Fâché, le candidat affirme que son parti a changé de position quant aux coûts pour des études supérieures. Les libéraux appuieraient une indexation des frais de scolarité et seraient contre une baisse du crédit d’impôt. Il qualifie d’ailleurs cette baisse de hausse déguisée. 

Déguisé ou non, un joueur de Manchester trébuche dans la zone du gardien de l’Olympiakos et un tir de pénalité est donné. La clientèle du Cozmos se met du même coup à railler. L’équipe grecque souffre son premier but de la partie. 

Gerry prend une gorgée de bière et enchaîne sur ses priorités pour la circonscription. Avec un taux de chômage plus élevé que la moyenne montréalaise, il n’est pas surprenant que l’emploi soit une question primordiale dans Parc-Ex. 

- L’histoire de l’immigrant diplômé chauffeur de taxi, ce n’est pas de la fiction, commence-t-il à raconter. Quand on parle d’immigrants ici, on devrait parler de réfugiés économiques. Les immigrants qui viennent s’établir au Québec viennent essentiellement trouver un emploi qu’ils n’arrivent pas à obtenir chez eux. 

Pourtant, dans plusieurs de ces cas, la langue française agit comme barrière dans l’atteinte de succès de certains de ces immigrants. Une difficulté que Gerry Sklavounos comprend bien. Même si son français sonne sans faute, il cache un petit accent. Un peu comme si Sugar Sammy avait travaillé son français pour parler plus québécois. Le candidat libéral l’avoue, il a fait toute son éducation en anglais. Et assez curieusement, c’est à coup de burgers qu’il a appris le français. 

- J’ai appris le français en travaillant au McDonalds au coin de Jean-Talon. C’est par le travail qu’on peut enseigner le français aux immigrants, et non le contraire. 

Pour prouver son point, le député a l’intention d’aider les différentes communautés culturelles de Parc-Ex dans la création de pôles industriels dans le quartier, notamment, un pôle où des immigrants sud-asiatiques pourront développer leurs expertises en télécommunications. Un plan qui ne se réalisera jamais selon lui sous la menace d’un référendum ou d’une charte du gouvernement péquiste. 

- Les gens de Laurier-Dorion ne veulent rien savoir d’un référendum. Ils en ont peur. Et je suis le seul candidat avec des chances de gagner qui est contre la tenue d’un référendum. 

Pourtant, la partie n’est pas jouée. Si Parc-Ex semble acquis pour le candidat libéral, les électeurs de Villeray peuvent changer la donne. Gerry Sklavounos devra faire attention de ne pas crier victoire trop rapidement. Surtout qu’au coup de sifflet final de la partie, son Olympiakos, lui, a vu s'échapper une victoire presque certaine. 

Le prochain candidat à la bière électorale est Andrés Fontecilla, candidat de Québec Solidaire, lui aussi dans Laurier-Dorion.


Guindon au SkyVenture Montréal

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Bien sûr, il effectue un tri strict qui se solde par un rejet dans 97% des cas. Mais quelques fois, on arrive à piquer suffisamment sa curiosité pour qu'il se laisse aller et accepte candidement. C'est ce qui s'est passé récemment lorsqu'il a été invité à voler-de-façon-simulée-grâce-à-un-gigantesque-propulseur au SkyVenture Montréal (qui est en fait situé à Laval). Ne reculant devant rien (sauf une bonne bourrasque de vent), il a enfilé ses lunettes de plastique, son casque et sa chienne pour affronter le seul simulateur de chute libre intérieur à air recirculé au Canada.

Guindon, raconte-nous comment ça s'est passé!

-Guindon : OK.

Préparatifs
Ce n'est plus un secret pour personne que je rêve de voler. Suite à mon envolée particulièrement torride à bord d'un Cessna que je pilotais, j'ai appris une leçon : fini les déguisements ridicules qui nuisent à ma performance et qui font en sorte que je m'évanouisse presque pendant mon banc d'essai. Non, cette fois-ci pour aller m'aérer les ouïes dans une cheminée, je ne me costume pas. En fait, je ne me prépare même pas.  J'ai envie de me laisser porter par le vent, dans tous les sens du terme. Après tout, Pierre Lambert ne s'était même pas préparé quand il était allé à l'Aérodium avec Marilou.

Arrivée
Accompagné de mon patron et ami Philippe Lamarre, je reviens sur les lieux du crime. Les plus historiens parmi vous se rappelleront sans doute de mon controversé reportage Guindon à Laval, lequel fut décrit par nul autre que Patrick Lagacé comme étant « dégoulinant de mauvaise foi ». Car voyez-vous, le SkyVenture Montréal est adjacent au célèbre Colossus de Laval, le cinéma soucoupe-volant. Faut dire que j'ai une drôle de relation avec le Colossus puisque dans cet extrait (à 11:55) d'un film québécois méconnu, j'ai déjà pitché des poissons dessus. Mais le poids des années ayant fait son œuvre, je crois que je peux tenter un retour incognito au Centropolis de Laval.

Formation

Après les formalités d'usage remplies, (on doit signer un formulaire de décharge en cas de blessure, ce qui est normal), on monte à l'étage du simulateur et déjà, on peut voir des Icares en herbe s'exercer au simili-vol. En effet, des militaires de l'armée canadienne viennent régulièrement s'entraîner. Je les trouve un peu poches, comparés à Pierre Lambert. (SPOILER ALERT : plus tard, après l'avoir moi-même essayé, je réaliserai que j'étais dans le champ, et que les militaires étaient très bons.) On nous présente ensuite à notre instructeur Jordan, qui nous amène dans une petite salle de classe pour nous expliquer les rudiments de base du vol yogique simulé. La formation commence par l'écoute (et le regard) d'un DVD. Franchement, ça ne semble pas très très compliqué : tu te pitches au-dessus du vent, tu écartes les jambes et les bras, tu t'arques le dos par à l'envers et tu suis les signes manuels de ton instructeur. Pis là, tu voles très haut, tu fais des pirouettes, tu es Mario Bros avec un queue de renard, tu es le gars de Red Bull qui a sauté en bas de l'Univers. That's it. Jordan revient à la fin du DVD, s'assure qu'on a tout bien compris, complète les explications avec des informations supplémentaires sur la position de vol et les signaux manuels, pis on est prêts. (Les signaux, c'est important parce qu'à cause du bruit qu'il y a dans le simulateur, on ne s'entendra pas parler.)

Déguisement

On me met un casque, des lunettes et une chienne. Une chienne, c'est un one-piece avec une fermeture-éclair. Celui-ci est ajusté et muni d'élastiques aux chevilles et aux poignets, mais d'autres corps de métier (dont les garagistes) préfèrent une chienne plus ample et aux ourlets plus dévergondés. C'était la pause Ton Petit Look. Je l'avoue, je ne déteste pas porter une chienne à l'occasion, surtout lorsqu'elle est multicolore.

Premier vol
Juste avant de prendre notre envol, Philippe et moi, on pose pour des petites photos souvenir (qui s'avéreront peut-être les dernières de notre vie.) Vous pouvez voir ces photos dans la galerie associée à ce texte.  Je suis semi-stressé. Je veux m'amuser et je sais que ça va être amusant, mais je veux aussi être bon. Je suis le premier à m'élancer. Je prends la pose de ces initiés polynésiens avant la chute et je me garroche à tout vent.

LE VENT EST FORT. JE FLOTTE.

En moins de deux secondes, je trouve ça vraiment le fun, mais soda que c'est pas facile de rester en équilibre! Jordan, qui est avec moi dans le simulateur, m'aide à avoir une bonne position de vol en faisant des signes avec ses doigts :  déplie les jambes, plie les jambes, écarte les bras, plie ton dos, sourit, regarde-moi, tout va bien, déplie les jambes, tout va bien, écarte les bras, etc... Bref, c'est rushant! Mais Justin est un pro et je fais du mieux pour suivre ses instructions. Ce que je remarque le plus, c'est que le moindre petit mouvement des mains ou des pieds a une incidence directe sur ma direction et mon altitude. Bon, je parle d'altitude, mais ici, on parle d'un gros mètre, peut-être deux... Après une minute, je m'expulse de la chambre à vent et c'est le tour de Philippe.

Il est pas mal bon le sacripant! Ça lui vient tout naturellement et son contrôle est meilleur que le mien. Pendant que je commence à être jaloux, je me découvre des muscles que je ne me connaissais pas, particulièrement sous les bras. La minute de Philippe écoulée, je me relance dans l'arène éolienne avec la ferme intention de faire mieux que mon boss.

Deuxième vol

Ma détermination ne change rien. J'ai beau vouloir être un adroit pilote de moi-même, contrôler ma simple stabilité est un exploit en soi. Il y a tellement de paramètres à essayer de gérer en même temps que ça en est très mélangeant. Je profite néanmoins de l'expérience, c'est sûr.  La preuve, c'est que je ris tellement que j'ai de la bave qui me remonte dans les yeux à cause du vent. Mais calvaire que c'est exigeant. Désorienté et entremêlé dans mes propres membres, je rentre au vestiaire.

Philippe est encore très bon à son deuxième vol, mais comme moi, il semble expérimenter le surplus d'informations voyageant entre le cerveau et les membres, ce qui cause une drôle de non-coordination vraiment pas adéquate quand on essaie d'être Néo dans La Matrice.

Troisième vol

Alors que les deux premières envolées étaient d'une minute, la dernière est de deux minutes pour qu'on profite pleinement de l'expérience. J'éprouve encore des problèmes de coordination qui ne me rendent pas du tout élégant : je fonce dans la vitre, je m'aplatis sur le ventre, je m'élève involontairement de quelques mètres...avant de refoncer dans la vitre. Par contre, la deuxième minute, c'est le nec plus ultra, le summum, l'apothéose, le firmament! En instructeur super expérimenté et professionnel qu'il est, Jordan (qui a été à bord du simulateur avec nous pour toutes nos envolées) me prend par les poignées que j'ai dans le dos (c'est pas une joke) et m'amène au sommet du tuyau-ventilateur à une vitesse folle et en faisant des pirouettes acrobatiques indescriptibles. Je vole à 10 mètres de haut. Je danse sur le vent. J'espionne les pauvres mortels retenus au sol par la gravité de leur vie. Je suis le maître du monde. Je suis Pierre Lambert. (Mais Jordan n'est pas malheureusement pas Marilou.)

On redescend. Je sors de la chambre à air les jambes molles et sous le choc d'avoir réalisé mon rêve. Je regarde Philippe subir le même traitement-choc après avoir pris une petite pause d'Éole pour réinitialiser ses circuits de communication tête-bras-jambes. Il est très haut. J'étais très haut. C'est fou. Je suis heureux.

Retour à la réalité
Philippe redescend et, tout de suite, on partage nos émotions fortes : le drôle de mélange de joie d'avoir volé et la prise de conscience de la difficulté de le faire correctement quand on est inexpérimentés.  Pendant ce temps, Jordan offre une petite démonstration de ses habiletés. Il est incroyablement bon. Il fait des moves de jeux vidéo et de films d'action. Constat : on ne sera pas des Air Jordan tout de suite. Nos muscles des quatre membres manifestent leur mal de vivre de manière assez soutenue pendant qu'on enlève nos déguisements. On continue notre post-mortem en attendant notre petit cadeau : un DVD souvenir de notre performance époustouflante. (Voyez le tout dans la vidéo ci-bas!) On remercie tout le monde et on décolle.

Conclusion
Je sors de là enchanté, fier d'avoir réalisé mon rêve. Je vais être racké demain, mais je m'en fous.  Je reviendrais ici en coup de vent, avec un vent d'enthousiasme, contre vents et marées.

Et j'ai hâte de montrer à ma blonde mon DVD! D'ici là, j'amène Philippe manger dans un fleuron de la gastronomie rapido-lavalloise, le Ciel Bleu.



Pour voir la galerie-photo, c'est ICI.

Thé électoral avec Andrés Fontecilla

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Cette semaine, c’était au tour du co-porte-parole de Québec solidaire, Andrés Fontecilla, de nous inviter dans un bar de son quartier afin d’assister à un match de soccer.

-    « Tu prends un thé marocain? » me demande d’emblée Andrés Fontecilla.

Nous sommes dans un typique houka-bar de la rue St-Hubert tout juste au nord de la rue Jean-Talon. L’endroit, bien que peu enfumé pour le moment, est déjà rempli par une dizaine de clients, tous venus assister à un duel espagnol entre le FC Barcelone et l’Atlético Madrid.

-    Un thé marocain? C’est quoi exactement?
-    Un thé marocain, c’est un thé marocain, me répond-il du tac au tac pour me taquiner.

J’acquiesce du même coup et commande deux thés marocains au serveur. La boisson, au final, n’avait rien de très sorcier. C’est du thé, du thé rouge. On se reprendra donc pour l’alcool. Après tout, Andrés a encore bien du monde à rencontrer dans la journée.

Il est d’ailleurs déjà prêt à faire du porte-à-porte. Sérieux, il porte la cravate et le veston et cela même dans un bar qui transpire la détente. Pourtant, un peu à l’image de sa cravate aux teintes orangées, couleur de son parti Québec solidaire, Andrés Fontecilla est jovial et n’hésite pas à plaisanter quand les conversations deviennent plus sérieuses. On le sent confiant et confortable. Sa voix ne semble jamais agacée. C’est à se demander s’il est humain et capable de colère!

- Je vous écoute, mais si ça vous dérange pas, je vais regarder le match en même temps, ajoute-t-il toujours avec un ton moqueur.

Andrés Fontecilla adore le soccer et ne cache pas son parti pris pour l’équipe de Barcelone. Son joueur préféré, l’Argentin Lionel Messi, est l’étoile de ce club. Sans oublier, me dit-il qu’un Chilien, un certain Sanchez, est aussi membre de l’alignement. Son admiration pour le sport n’est pas étrangère à ses origines. Natif du Chili, il s’est établi au Québec avec sa famille à l’âge de 14 ans. Comme bien d’autres Chiliens de l’époque, la famille Fontecilla a quitté le pays sud-américain alors sous la dictature de Pinochet. Sa jeunesse, raconte-t-il, s’est faite sans coup d’éclat. Il était un garçon plutôt discret, mais tout de même batailleur. Dans son quartier de Côte-des-Neiges, il n’était pas rare que de jeunes Québécois et Latino-américains en viennent aux coups pour expliquer leurs différends. Ce n’est qu’en arrivant au cégep qu’il sort de l’ombre. Il tordra dorénavant les langues sales plutôt que les gros bras.

    - C’est là que je me suis vraiment ouvert et intéressé à différents enjeux politiques. J’ai rencontré beaucoup de personnes à l’époque et je me suis même fait des petites amies québécoises, ajoute-t-il toujours en plaisantant.

Les « trois Parizeau »
En 1995, le Québec est à la une des journaux partout autour du monde. La province tient un référendum sur sa souveraineté. Un scrutin auquel Andrés Fontecilla a été plus spectateur que participant. Alors en séjour d’un an en Haïti comme observateur des droits de la personne pour les Nations Unies, il suit du coin de l’œil la soirée référendaire. Une soirée dont il garde un souvenir amer, particulièrement à cause du discours du chef du Parti québécois, Jacques Parizeau. Ce dernier avait alors déclaré que le « OUI » avait perdu à cause de l’argent et du vote ethnique.

-    Comme la majorité des immigrants, j’ai été blessé par les propos de Jacques Parizeau. Il venait de nous exclure du projet souverainiste. C’est comme s’il venait nous dire que la souveraineté c’était une affaire de Québécois de souche.

Une exclusion qui a remis en doute pendant longtemps les valeurs souverainistes du candidat solidaire. Si bien qu’encore aujourd’hui, il n’est pas capable de pardonner cette tache noire au dossier de l’ancien Premier ministre du Québec.

-    Il y a trois Jacques Parizeau. Le premier, celui d’avant 95, dont j’admire la franchise et le courage d’avoir tenu un référendum. Celui d’après 95 qui a amené des propos intéressants et nuancés dans le débat. Et finalement celui de 95 qui a pris les immigrants comme tête de Turc.

Et, selon lui, le dernier de ces Jacques Parizeau s’apparente beaucoup au Parti québécois actuel avec sa Charte des valeurs. Un projet qui alimente le sentiment d’exclusion des nouveaux arrivants et les éloigne d’une discussion sur la souveraineté.

D’ailleurs, lorsqu’on lui demande s’il est souverainiste, Andrés Fontecilla n’hésite pas à raconter ses aléas à travers les années avant d’en être venu à adhérer au projet. Tout comme le joueur du FC Barcelone qui prend alors le ballon à l’écran, il raconte avoir dribblé longtemps avec la question sans jamais avoir été en mesure de trouver la bonne trajectoire. Son cheminement comme immigrant souverainiste ne s’est accompli qu’à son arrivée chez Québec solidaire. 

- Pour moi, la souveraineté, ça ne peut se faire qu’avec un projet social pour tous les Québécois.

Malheureusement pour le joueur du FC Barcelone, lui, sa trajectoire n’a amené le ballon qu’à frôler la lucarne. Un tir qui a tout de même épaté la galerie du houka-bar.

La persévérance d’Andrés Fontecilla
Rien n’est acquis dans Laurier-Dorion. Si le candidat libéral Gerry Sklavounos semble avoir transformé la circonscription en un château fort libéral, Andrés Fontecilla croit être celui qui surprendra tout le monde le 7 avril prochain. Pourtant, avant d’y arriver, Andrés devra avant tout amener une majorité d’anciens péquistes de Villeray à changer d’allégeance politique. Un processus qui est long, mais qui commence à fonctionner pour lui.

-    C’est la même ostie d’histoire qu’en 2012. Les gens que je rencontre veulent sortir Gerry à tout prix, mais ne savent pas pour qui voter. Pourtant, cette fois-ci, je le sens, à la place de voter pour le Parti québécois, les gens de Laurier-Dorion vont voter pour Québec solidaire.

La tendance lui donne raison. En 2004, Andrés Fontecilla s’était présenté dans cette même circonscription pour l’Union des forces progressistes, un des ancêtres de Québec solidaire. Il avait alors remporté 4 % des voix. En 2012, il en a récolté 25 %. Il projette maintenant convaincre près du tiers de l’électorat de voter pour lui. Et il n’entend pas s’arrêter là.

Pour remporter la circonscription, il doit faire une percée du côté de Parc-Extension, un arrondissement surtout habité par des familles immigrantes. Pour les convaincre, il promet aux familles une éducation supérieure gratuite et de meilleurs services sociaux. 

-    Ce n’est pas en promettant des baisses d’impôts comme le Parti libéral que nous allons améliorer la situation financière des familles immigrantes. Ces familles bien souvent ne font même pas assez d’argent pour avoir de l’impôt à payer, affirme le candidat avec fermeté.

Du coup, on le remarque rapidement : les questions sociales comme l’équité salariale et l’aide aux chômeurs sont des thèmes qui soulèvent bien plus la passion d’Andrés Fontecilla que ceux de la souveraineté et de l’identité. Le candidat en perd même de vue la partie qui se joue devant lui. Il ne devrait pourtant pas.

Pour la première fois de la partie, son équipe, le FC Barcelone parvient à marquer. Ce but leur permet de niveler la marque. C’est maintenant 1-1. Un score qui nous gardera sur la faim puisque le prochain match entre les deux équipes n’aura lieu qu’au lendemain des élections. D’ici là, il est permis à tous de rêver. Pour Andrés Fontecilla, c’est une question de persévérance. Il veut la victoire. Si ce n’est pas pour cette fois-ci, ça le sera certainement la prochaine fois.


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-Bière électorale avec Gerry Sklavounos


-Eau minérale électorale avec Pierre Céré

Eau minérale électorale avec Pierre Céré

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Au Québec, que nous soyons en période électorale, en crise économique ou même en crise sociale, un sujet demeure : le Canadien fera-t-il les séries? Alors que tous les grands spécialistes de l’Antichambre martelaient en début de semaine que l’affaire était dans le sac, les Canadiens, eux, se devaient de remporter un match à Tampa Bay, la « capitale des Snowbirds du Québec », pour se qualifier mathématiquement à l’après-saison.

Dans l’attente du match, le candidat péquiste de Laurier-Dorion, Pierre Céré, s’est offert une pause de porte-à-porte et d’appels téléphoniques pour discuter franchement de politique.

-    Non, je ne prends pas d’alcool pendant une campagne électorale. C’est un conseil que Gilles Duceppe — l’ancien chef du Bloc québécois — m’a donné. Et je vais le suivre, m’explique Pierre Céré au moment de faire sa commande.

Trêve d’alcool au Miss Villeray, la seule boisson qui touchera la table de la soirée est de l’eau minéralisée. Mais même sans alcool, il n’en fallait pas plus pour que Pierre Céré se livre totalement à la conversation. L’ancien porte-parole du Conseil national des chômeurs est en fait un grand livre ouvert qui ne se cache pas pour parler et pour donner son opinion personnelle sur des enjeux de société.

Calme, il calcule chacun de ses mots avant de les prononcer sans pourtant se censurer. Plus près du philosophe de gauche que du politicien typique, le candidat critique même son propre parti quand il vient le temps pour lui d’expliquer sa pensée.

-    Je ne suis pas un produit, je suis un esprit libre. Ce ne sont pas des stratèges en communication qui dicteront mon message aux électeurs, m’explique-t-il.

Avant de s’être lancé en politique cette année, Pierre Céré raconte avoir été un homme progressiste qui a même fréquenté au cours de sa vie des gens de l’extrême-gauche. Son cheminement vers le Parti québécois ne s’est fait que tout récemment. À l’automne dernier, un ministre qu’il ne nommera pas l’a convaincu de s’ajouter à l’équipe de Pauline Marois.

-    J’ai tenu une conversation très ouverte et très franche avec ce ministre sans quoi je n’aurais sûrement pas pris cette décision.

Le Parti québécois, selon lui, est une belle coalition de personnalités de différents milieux qui cherchent à améliorer le Québec. S’il est élu, sa voix plus progressiste ne sera pas mise sous silence par des géants des affaires comme Pierre-Karl Péladeau. D’ailleurs, s’il y a des dossiers qu’il compte revendiquer à l’intérieur de parti, ce sont des politiques pour aider les communautés culturelles du Québec.

Sur le terrain de la Charte

Pierre Céré le dit lui-même, il a la peau sensible quand il est question d’enjeux identitaires. Par le passé, il a critiqué publiquement le Parti québécois pour un projet de loi qui visait à créer une citoyenneté québécoise. Le projet a depuis été mis en arrière-plan par le parti, mais n’a jamais été officiellement abandonné. Mais de nos jours, c’est plutôt un projet de Charte de valeurs qui suscite les critiques et les applaudissements.

Pour le candidat péquiste, le projet de Charte n’a rien d’irritant. Il comprend que de nombreux électeurs issus de communautés culturelles sont inquiets par cette politique, mais il ne lancera toutefois pas de pierre à son parti.

-    La seule solution, c’est l’écoute. Il faut prendre le temps de discuter avec les électeurs et de partager avec eux notre opinion.
 
Il me raconte alors qu’une jeune bénévole d’origine pakistanaise travaille à son local électoral. Elle viendrait donner de son temps au parti justement à cause du projet de Charte. Un projet qui, selon Pierre Céré, permettrait de briser les chaînes de nombreuses femmes immigrantes à la maison. Par contre, il concède que le Parti québécois aurait dû passer le projet de loi avant de partir en élections.

-    Un genre de « in-between » avec l’opposition aurait été acceptable. Surtout que rien n’aurait empêché le PQ de passer les points plus sensibles du projet après avoir remporté une majorité à l’Assemblée.

Il est vrai qu’un tel scénario aurait probablement orienté la campagne sous un angle beaucoup moins identitaire. Surtout que, pour le candidat, la grande absente des élections 2014 est l’éducation.

De l’indexation à la gratuité

-    Ça va paraître bizarre venant d’un péquiste, mais il ne faut pas que l’ASSÉ lâche son combat, admet Pierre Céré.

Le candidat ne se cache pas pour le dire. Il croit qu’ultimement le Québec devrait se doter d’un système d’éducation gratuit pour tous. Cependant, il ne veut pas condamner le sommet de l’éducation tenu par sa chef Pauline Marois et son collègue, le ministre de l’Éducation supérieure, Pierre Duchesne. Ce sommet s’était conclu à l’hiver 2013 avec l’ajout d’une indexation aux frais de scolarité et une baisse du crédit d’impôt pour les études.

-    Je crois que Pierre Duchesne a fait un excellent travail. Et étant donné qu’il fallait faire des choix entre des bourses et le crédit d’impôt, je crois que le gouvernement a pris la meilleure décision.

Enfin, pour le moment. Parce que selon Pierre Céré, il faudra un jour réinjecter massivement de l’argent dans le système d’éducation et ouvrir la voie à la gratuité scolaire. La question est de savoir si son parti sera du même avis et s’il se portera comme défendeur de la question rendu à Québec.

D’ici là, Pierre Céré a encore les deux pieds dans Montréal et il a du millage à faire s’il veut ravir Laurier-Dorion au libéral Gerry Sklavounos. Fraîchement arrivé en politique, il avoue avant de terminer notre entretien n’être pas encore habitué à tout ce que comporte la joute électorale. Les appels et le porte-à-porte le dépaysent encore un peu. Et il est dur de dire s’il aime la chose.

Pour ce qui est du Canadien, je n’ai appris le résultat que plus tard en soirée. L’équipe a perdu, mais s’est tout de même qualifiée pour les séries. N’en déplaise à certains politiciens, les séries se tiendront seulement après les élections. J’imagine que ce sera alors le bon moment pour inviter Gilles Duceppe et Pierre Céré à prendre un verre parce que l’eau c’est rafraichissant, mais plate en même temps.

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-Bière électorale avec Gerry Sklavounos


-Thé électoral avec Andrés Fontecilla

Dérives urbaines, Dérives humaines

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Montréal est comme un bateau. Un vaisseau qui flotte depuis longtemps et qui tient bon, beau temps mauvais temps. Mais ce beau grand bateau inquiète. On dirait qu’un nouvel équipage s’apprête à prendre le contrôle, en jetant l’ancienne équipe par-dessus bord. Et la barque part tranquillement à la dérive, suivant le courant des riches et des sous.

Sur l’Île, ce qui est déjà construit, on le vend plus cher, et c’est connu depuis longtemps. Ce qui est nouveau, et inquiétant, c’est que ce qui peut se construire est pensé presque exclusivement pour répondre aux besoins des plus nantis. Des tendances d’exclusion sociale et de privatisation semblent émerger des nouveaux développements immobiliers.

Ces développements ressemblent davantage aux quartiers privés, ou « gated communities », comme on les appelle aux États-Unis. C’est le cas de Bois-Franc dans Ville-St-Laurent et de Pointe-Est dans Point-aux-Trembles, de jeunes micro-quartiers montréalais qui ont leur nom bien à eux pour se distinguer du reste de leur arrondissement. Sans explicitement être des quartiers privés, ces nouveaux projets utilisent maintenant une barrière invisible faite de dollars pour exclure tout un pan de la population et favoriser un certain mode de vie. Les impacts sociaux et idéologiques de cette nouvelle orientation sont peu connus et méritent une certaine attention. Bien que tout ce qui se construit à Montréal n'est pas exclusivement basé sur le modèle de ces deux nouveaux quartiers, il y a une tendance qui prend dangereusement forme. Et elle s'étend même jusqu'à Laval, alors que se construira officiellement la première « communauté fermée» nommée « Aquablu », avec ses vraies barrières et son gardien de sécurité présent 24h sur 24, selon ce que rapportait le Journal de Montréal le 26 avril dernier.

Phénomène américain

Aujourd’hui, environ huit millions d’Américains ont fait leur nid dans ces gated communities, depuis leur essor en popularité dans les années 80. Et le phénomène croît de façon exponentielle. Jusqu’à devenir non seulement « une mode à court terme, mais une transformation institutionnelle reflétant le changement idéologique vers une privatisation caractéristique du consensus néolibéral », comme l’explique Ewan McKenzie, professeur associé de politique à l’Université d’Illinois à Chicago.

Les gated communities sont des petits quartiers privés, entourés de barrières ou de murs, où l’espace public se transforme en espace privé, seulement accessible aux résidents. L’administration de ces quartiers ne se fait plus par la ville, mais par de petites institutions privées, écrivent Edward James Blakely et Mary Gail Snyder, auteurs du livre Fortress America. Sécurité privée, services privés, rues privées, gazon privé, vie privée, bonheur privé. « And God Bless America ». Dans ces quartiers, on retrouve des populations économiquement et socialement homogènes. Les propriétaires y sont liés entre eux par une sorte de contrat obligatoire, une entente appelée restrictive covenant qui dicte des règles de conduite par rapport à leur quartier ou à leur résidence.  

Au début du 20e siècle, alors que la ségrégation raciale était en vigueur aux États-Unis, ces « covenants » étaient utilisés à des fins d’exclusion ethnique. Par exemple, une entente pouvait stipuler qu’aucun individu non-blanc n’avait le droit de louer ou d’être propriétaire d’une résidence dans un lot particulier, habité par des blancs. Dans des villes comme Chicago, ceci a eu pour effet de stigmatiser certains quartiers et d’entrainer une ségrégation raciale bien spatiale.

Actuellement, ces ententes concernent plutôt des restrictions relatives aux bâtiments. On retrouve aussi dans ces communautés des associations de propriétaires qui agissent comme des petits gouvernements privés, qui s’occupent de la gestion et de la règlementation relatives au quartier, comme l’explique Setha Low, directeur du groupe de recherche sur l’espace public de la City University de New York. En 2003, on comptait 230 000 de ces associations aux États-Unis. Setha Low compare les gated communities à des compagnies privées qui « font payer leurs clients ou qui taxent leurs membres pour qu’ils aient le droit de recevoir des services ».

Cette uniformité exclue du reste du monde s’accompagne évidemment de nombreuses problématiques sociales: augmentation des inégalités dans la ville, effritement des liens sociaux, peur et criminalité grandissantes, infrastructures urbaines mal en point en raison de plus faibles revenus municipaux, privatisation des espaces publics, etc…

Aussi, la forme de gouvernance qui y est privilégiée par l’association des propriétaires redéfinit totalement le concept de démocratie, voire l’abolit: le pouvoir de décision est placé dans les mains d’hommes d’affaires et non dans les mains d’individus élus. Au point de créer une société parallèle: les gated communities prétendent créer un esprit de communauté, une sorte de petite clique exclusive de gens aux valeurs et moyens similaires qui permettrait de cohabiter dans l’harmonie grâce à l’implication directe et active de ses membres.

Il est évident que le phénomène étatsunien est à des lieues de la réalité montréalaise. On tend toutefois à s’en rapprocher avec des petits développements de plus en plus exclusifs. Pourtant, la mixité dans une ville est essentielle, tout simplement pour éviter sa ghettoïsation.

Évidemment, l’histoire des États-Unis – où le concept de droit de l’individu primant sur celui de l’État est largement répandu – est différente de celle du Québec. Il est cependant clair que la demande pour de tels quartiers emmurés, et les offres alléchantes, ne fait que s’étendre sur le grand bateau montréalais. Petite étude de cas de deux nouveaux quartiers à saveur privée: Pointe-Est et Bois-Franc.

Macro sur des micros
Pointe-aux-Trembles est un quartier résidentiel sans prétention de l’extrémité est de la Ville de Montréal. Quelques publicités annoncent depuis plusieurs mois la venue d’un nouveau développement de condos nommé « Pointe-Est ». Quelques publicités le vendent plus précisément comme un nouveau quartier privé.

Un des responsables du projet, Steven Socciarelli, explique: « On veut faire la publicité pour que les gens pensent que c’est un quartier. C’est comme une petite ville. […] C’est identifié par "Pointe-Est". Ça aide pour les ventes en général. Les gens aiment ça beaucoup parce qu’ils pensent qu’ils habitent, oui dans Pointe-aux-Trembles, mais dans quelque chose d’un peu plus privé. […] Quand les gens entrent, ils sont vraiment dans le quartier "Pointe-Est". On veut commencer une petite "trend" ». Un peu comme des gated communities aux États-Unis? « Ça, c’est vraiment l’idée qu’on veut faire. Parce qu’aux États-Unis, c’est très gros, c’est quelque chose qui est en train d’être très connu. Ce qu’on fait, c’est comme une " gated community ": autour on met beaucoup d’arbres, et on met comme un bardeau d’asphalte, ou n’importe quoi pour donner l’image que c’est vraiment une " gated community ", mais pas vraiment fermée. On ne peut pas la fermer. Sinon ça devient beaucoup plus privé et ça devient beaucoup plus cher ».

Exit le simple développement de condos. On construit maintenant des communautés. Mais on ne les ferme pas complètement au public; le marché n’est pas encore prêt pour cela. Il s’agit d’y aller tranquillement, le sentiment de privatisation avant la privatisation réelle. Celle-là viendra peut-être quand on aura les moyens de payer.

Sur le terrain, le projet Pointe-Est était à l’étape de la coupe d’arbres et de nivelage il y a environ 1 an. Plus loin de là, dans le centre-nord de l’Île, se trouve Bois-Franc, dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Le développement y est entamé depuis les années 1990, avec comme objectif la construction d’environ 3000 unités d’habitation sur environ 1 500 000 mètres carrés, soit l’équivalent de 500 terrains de football ou un peu plus de deux fois le parc Lafontaine.

Comme le dit fièrement Alan De Sousa, maire de l’arrondissement, c’est le plus gros projet de la sorte au Québec: un développement qui met de l’avant le Nouvel urbanisme, où on mise sur la densité et la mixité des fonctions du bâti.

On accède au quartier par l’une des cinq entrées. Une fois passée la bannière qui délimite le Bois-Franc du « non Bois-Franc », on se retrouve dans un tout un autre univers. Maisons soigneusement alignées; lots aux styles très identiques; petits parcs ici et là; architecture épurée, place publique avec quelques commerces, calme dans les rues, meublé par le cui-cui des oiseaux fréquemment interrompus par le bruit des avions traversant le ciel. Entrer dans Bois-Franc, c’est entrer dans une autre réalité. Une perfection méticuleusement calculée.


---> Découvrez BOIS-FRANC EN IMAGES, une galerie de 27 photos par Nicolas Quiazua

Ici, les gens sont liés par un contrat, un code de conduite nommé « servitude architecturale » qui stipule de clairs règlements. « Il faut [les] connaitre et s’y conformer », comme on peut le lire sur le site web du projet qui détaille les critères de cette esclavitude architecturale. En bref, les propriétaires n’ont pas le droit de modifier l’extérieur de leur maison, de leurs murs, de leur clôture, de leur jardin ou la place où garer leur voiture. Autrement dit, ce code sert à la préservation de la belle image de Bois-Franc.

On y trouve aussi une association des propriétaires. Son slogan : « occupez-vous de vos affaires ». L’association « veille à la protection du caractère distinctif de Bois-Franc, organise des activités afin de créer un sentiment d’appartenance, et représente ses membres auprès des autorités compétentes dans le but d’améliorer les services à la communauté ». Les propriétaires de Bois-Franc peuvent y participer moyennant une cotisation de 60$ par année. Encore plus de points en commun avec ce qui existe dans les gated communities.

M. De Sousa insiste sur le fait que le projet Bois-Franc est vert, c’est-à-dire axé sur le développement durable. Il semble toutefois manquer un volet très important au projet: celui de l’inclusion sociale. Certes, le quartier est mixte ethniquement, mais pas économiquement. Selon le maire de Saint-Laurent, il y a différentes fourchettes de prix d’habitation dans le projet. Mais il n’en connait pas plus à ce sujet. La ville n’est pas dans « le domaine du marketing », dit-il.

La vérité est que le prix des logements est élevé (condos commençant à 300 000$, maisons de ville commençant à environ 700 000$), restreignant ainsi la possibilité d’achat par les gens ayant un faible revenu, et même de ceux ayant un revenu moyen. Selon le livre Les espaces dégradés, contraintes et conquêtes, de Gilles Sénécal et Diane Saint-Laurent, Saint-Laurent est le quartier où il y a le plus de demandes de logements sociaux dans la Ville de Montréal.

Les développements comme « Pointe-Est » et « Bois-Franc » font la promotion explicite de milieux de vie homogènes et plus privés, accessibles aux plus nantis. Les individus influencent l’organisation de leur ville, et inversement l’organisation de la ville influence le mode de vie de ses habitants. Ceci signifie que si la ville décide de favoriser des développements immobiliers plus privatifs et exclusifs pour les plus riches, ceux-ci prendront davantage de place dans la ville, ce qui aura par la suite l’effet d’augmenter la demande pour des projets leur étant destinés, et conséquemment, leur offre.

De même, si on favorise les projets immobiliers de ce genre, le comportement spatial des gens sera influencé, et on risque d’assister à une ghettoïsation des diverses couches sociales dans la ville et à une exclusion systématique des moins nantis, et donc, une augmentation de la spatialité des inégalités socio-économiques.

Si le chapeau te fait…
Cette tendance immobilière est soutenue par un principe bien évident. Sous chaque espace se trouve une idéologie. Avec des micro-quartiers comme Bois-Franc et Pointe-Est, c’est l’idéologie du privé qui prime: privatisation subtile des espaces publics, privatisation de la gouvernance, propriétés privées, modes de vie règlementés par des promoteurs privés… Qui gère les pauvres? Le public. Qui gère les riches? Le privé. Cette réalité dichotomique crée une rupture dans la société, un cratère entre les « Have » et les « Have-not ». Cela se reflète plus que jamais concrètement dans la ville, c’est-à-dire dans le bâti à cause des développements immobiliers. Montréal est en train de faire la promotion d’un certain mode de vie.

La responsabilité d’un tel phénomène ne revient pas uniquement à la personne qui achète un logement dans un quartier homogène et plutôt privé. La responsabilité revient à divers acteurs qui s’emboîtent comme des poupées russes.  Tout d’abord, celui qui achète sa résidence dans ce genre de quartier fait le choix d’un mode de vie calme, sécuritaire, homogène, confortable, voire même individualiste. La demande pour ces lieux est très forte à Montréal, surtout quand trouver une maison pour une famille est une mission difficile en ville. En résulte des offres plus pointues et exclusives de la part des promoteurs, qui n’ont pas tellement avantage à construire des logements abordables, car cela est associé à une perte plutôt qu’à un gain d’argent dans leurs poches.

Ensuite, si les promoteurs construisent de tels projets, c’est que la ville les en autorise.
Comme l’explique M.Daniel Gill, professeur en urbanisme à l’Université de Montréal et chercheur à l’observatoire SITQ du développement urbain et immobilier, avant, c’était la Ville de Montréal qui proposait aux promoteurs des terrains spécifiques pour construire des projets immobiliers. Maintenant, ce sont les promoteurs qui viennent proposer à la Ville des projets sur un terrain qui les intéresse. La Ville accepte ou refuse un projet à sa guise, en principe. Ces projets sont bien intéressants pour la municipalité, car ils rapportent beaucoup d’argent, et ce, bien plus que des logements plus accessibles pour les moins nantis.
Enfin, derrière la Ville de Montréal, se trouve le gouvernement du Québec qui formule les grandes valeurs sur lesquelles le développement des villes se fait. La société d’habitation du Québec (SHQ) constatait dans son plan stratégique 2011-2016, que les personnes ayant moins de moyens avaient encore beaucoup de mal à se loger de manière adéquate en raison du prix élevé des loyers, et que davantage de gens étaient dans le besoin.

Un effort est fait pour promouvoir d’une certaine façon la mixité. Certains nouveaux développements sont un bon exemple, comme le faubourg Contrecoeur dans l’arrondissement de Mercier-Est. Cependant, on ne fournit pas suffisamment de logements plus abordables alors que le nombre de développements immobiliers privés augmente, lui, de manière exponentielle.

Il reste environ 110 000 terrains à développer à Montréal, avec autant de logements potentiels. Qu’allons-nous y construire? Vers quelle réalité et quel avenir va Montréal?

Il semblerait que d’une part, on pousse de plus en plus les pauvres en périphérie de la ville, et d’autre part, on construit en ville et à ses abords des quartiers exclusifs-privatifs. Où logeront les moins nantis? Seront-ils jetés sous peu par-dessus bord, les laissant nager tout seuls vers les rives éloignées des banlieues?

---> Si ce n'est déjà fait, jetez un coup d'oeil à BOIS-FRANC EN IMAGES

Le musée des ondes : retour vers le futur

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On peut passer à côté sans faire attention. Un musée ici ? Ça paraît presque improbable. Situé au 1050 de la rue Lacasse, face à un terrain vague, à deux pas de la TA Factory, de l'extérieur le musée des ondes ressemble à un building abandonné. Un musée qui, pourtant, regorge d'histoire: celle de la Berliner Gramophone Company, puis de la RCA Victor qui, dans les années 1940, était la plus importante fabrique de disques au Canada.



Directeur du Musée des ondes, Martin Boucher est le gardien de la caverne. Derrière la discrète porte bleue de la réserve, des milliers d'objets anciens, minutieusement étiquetés, se disputent le moindre espace disponible. De bruyants témoins de l'évolution des technologies du siècle dernier à nos jours. « En 1996, on a reçu 4 boîtes d'aiguilles de gramophones, aujourd'hui on a plus de 30 000 objets. Des gramophones, des disques, des téléviseurs, des magnétophones à bobines, des radios, de tout un tas d'appareils qu'on n'utilise plus aujourd'hui ! » Le musée des ondes rend hommage à Émile Berliner, immigré allemand inventeur du gramophone, ce célèbre appareil avec un cornet et un disque plat. Une invention révolutionnaire à l'époque. 



Avec le disque plat, facile à dupliquer, le gramophone permet de commercialiser la musique à moindre coût. Le gramophone détrône rapidement le phonographe d'Edison et ses cylindres de cire. En 1900, Berliner quitte les États-Unis, s'installe à Montréal et construit dans le quartier St Henri une usine de 50 000 pieds carrés. C'est dans ce bâtiment historique que le musée des ondes a élu domicile, juste à côté du célèbre Studio Victor où sont passés les Cowboys Fringants, Feist, Jimmy Hunt et bien d'autres. « Ici, c'est la première usine d'enregistrements sonores et de fabrication de gramophones au Canada », raconte Martin Boucher. « Durant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs milliers de personnes travaillaient 24h sur 24 pour la construction de radios militaires et d'appareils de guerre. Par la suite, on y fabriquait aussi des gramophones, des tourne-disques, des radios et des pièces pour les téléviseurs. C'est même ici qu'a été conçu en grande partie le premier satellite de télécommunications canadien Alouette I ! » 

Plonger dans la réserve du musée des ondes, c'est un peu comme remonter le temps. On y ressent une sorte d'étrange nostalgie d'un passé qu'on n'a pas connu mais dont on se sent en un sens les héritiers. Non, la musique n'a pas toujours été enregistrée. Pour en arriver où nous sommes, les évolutions technologiques ont affiné la qualité des enregistrements et miniaturisé les supports (des cylindres de cire au disque plat, du vinyle au mp3) pour arriver à une restitution du son de plus en plus fidèle. Difficile d'imaginer à l'époque qu'un lecteur pas plus gros qu'un timbre pourrait contenir plusieurs centaines d'heures de musique.


Tous ces objets dépassés, Martin Boucher les utilise comme des outils pour raconter l'Histoire autrement : « On peut comprendre beaucoup sur une époque à partir du design d'un objet. Par exemple, les téléviseurs JVC en forme de casque d'astronaute datent de la fin des années 1970, en pleine conquête spatiale ! » Découvrir les restes oubliés de ces époques permet aussi de porter un autre regard sur les avancées technologiques. À peine sorties, les dernières nouveautés sont sans cesse dépassées. 

Pour Martin Boucher conserver ces vestiges permet une forme de conscientisation : « Une radio à lampe durait en moyenne entre 15 et 20 ans. On en a qui fonctionnent encore et qui datent des années 1940 ! Aujourd'hui après 5 ans, on jette. Tous ces appareils avaient une durée de vie bien plus longue qu'aujourd'hui. Et on voit ce qui est arrivé à ces technologies, on n'en parle même plus, c'est dans les poubelles. Mais que deviendront nos iPods dans 5 ans ? »

Des iPods il y en a aussi au Musée des ondes. Un vieux modèle de 2008, le plus récent objet de la collection qui côtoie un récepteur de télégraphe des années 1880. Une belle amplitude dans l'histoire des ondes. Parmi les pièces rares de la réserve, une radio en forme de boule des années 1940 au design style BBQ, un magnétophone à cassettes de Yamaha conçu par Mario Bellini, un tourne-disque allemand à ruban vinyle. Martin me montre avec malice un des premiers transistors Sony des années 1960. Au fond d'une étagère trône un transistor en forme de cube : « c'est une création du designer montréalais André Morin qui travaillait pour RCA Victor dans les années 1960 ! »

Sa passion pour ces objets et leurs histoires, Martin Boucher la partage avec les visiteurs du musée, mais aussi avec une équipe de bénévoles, le club des vieilles lampes. Un groupe de retraités tripeux d'électroniques qui se réunissent tous les mercredis pour réparer radios à lampes et vieux téléviseurs.

Malgré le manque de financements, Martin Boucher rêve d'agrandir le musée, pour pouvoir y accueillir un plus large public et le transformer en un lieu dédié à l'histoire des technologies. 
« Venez voir votre passé, venez écouter un gramophone. Y'a pas de pile, y'a pas d'électricité, ça marche de manière mécanique ! Écoutez le son que vos aïeux écoutaient, vous allez être surpris, c'est fantastique ! ». 

Pour Urbania, Martin a sélectionné trois archives de la collection du musée qu'il fait jouer sur un gramophone Victrola VV VIII-A de 1914 : 



Le musée des ondes propose différentes expositions thématiques. À partir du 9 Mai 2014, c'est l'histoire du disque qui est à l'honneur. Un lieu à découvrir de toute urgence, pour les passionnés de musique, de technologies, ou les deux.

Pour aller plus loin : 

- À Place-St-Henri, la coop Audiotopie propose un parcours sonore interactif influencé par les ambiances du quartier Saint-Henri, l’histoire de l’usine RCA et les objets du Musée des Ondes Émile Berliner. Géophonie est une application à télécharger gratuitement, une expérience complémentaire à votre visite au Musée des Ondes. 

- Écoutez aussi l'entrevue de Vestibule Sonore avec Martin Boucher, directeur du Musée des Ondes Émile Berliner. 

Lance et compte : Genèse d’une légende télévisuelle

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Ils n’ont aucune idée encore qu’ils acclament «le chat», recrue vedette du National de Québec, issu d’un bridage prometteur entre un joueur de hockey canadien-français et une mère russe. Ils ne savent pas non plus qu’ils seront les figurants d’une série fracassant des records de cote d’écoute grâce à ses scènes osées, son langage cru, sa caméra nerveuse, mais surtout, ses révélations renversantes sur les coulisses de notre sport national. 



Lord profite des arrêts de jeu pour filmer la foule brandissant des pancartes aux noms des joueurs du National, équipe fictive de la série, et pointe sa caméra sur des gars qui savent patiner pendant la partie. «J’avais pas le choix de filmer des vrais joueurs, sinon, on aurait vu bien vite que nos acteurs n’étaient pas du calibre de la LNH», explique Lord. Première série québécoise tournée essentiellement en location – c’est-à-dire pas dans des décors en carton au troisième sous-sol de Radio-Canada – Lance et compte se démarque à l’époque par ses scènes extérieures et son montage serré. Jean-Claude Lord ne se contente pas de placer les caméras à l’extérieur de la patinoire comme on filme habituellement une partie. Il plante ses caméras sur la glace, pour avoir des plans serrés de ses héros en patin, plans qu’il entrecoupe avec un sens du rythme étonnant d’extraits de véritables parties. Quand on regarde la première saison de Lance et compte, on peut voir dans la foule, et parfois même sur la glace, des chandails à l’effigie des Nordiques. 

Ça a failli être un peu moins glorieux. «Au départ, c’était supposé être un téléroman. Radio-Canada nous avais commandé cinq épisodes d’une demi-heure : on avait droit à trois décors par demi-heure!», se souvient Réjean Tremblay, l’auteur de la série à qui l’on doit aussi Scoop et Les jeunes loups. C’est un audacieux directeur des dramatiques à Radio-Canada, Richard Martin, qui met le journaliste sportif de La Presse au défi d’écrire une fiction sur le hockey. «Tu trouves ça niaiseux les téléromans? Écris-en donc un sur le hockey» lui lance-t-il. N’ayant jamais écrit de fiction, Réjean Tremblay a besoin d’un coup de pouce. On lui suggère de s’inspirer de Dynastie et Dallas, les seules références télévisuelles de l’époque. D’autres conseils de scénarisation émanent de Jean-Claude Lord. «À un moment donné, Pierre Lambert expliquait comment il s’était senti lors de sa première mise au jeu. Jean-Claude Lord m’a dit “Réjean, je veux pas qu’il me le raconte, je veux le voir!”», se souvient Tremblay.



Après l’écriture de cinq premières demi-heures à petit budget, les astres s’alignent pour que Lance et compte ne se déroule pas exclusivement dans le vestiaire des joueurs avec une poignée de figurants : la loi canadienne sur la production télévisuelle est modifiée, permettant aux producteurs privés de produire des émissions pour Radio-Canada. C’est là qu’entre en scène Claude Héroux, le producteur, qui orchestre un montage financier ambitieux : 1223 petits investisseurs misent sur la société en commandite Lance et compte et réalisent des profits de 70% grâce aux cotes d’écoute qui atteignent parfois les 3 millions à la troisième saison. En outre, la série sera produite simultanément dans les deux langues grâce à la participation financière du Canada anglais, et bénéficiera aussi du soutien financier de la France et de la Suisse, qui diffuseront par la suite Cogne et gagne. Nulle part ailleurs qu’au Québec la série n’obtiendra autant la faveur du public. Dès la deuxième saison, les tournages anglais seront abandonnés. 

Cette coproductivité explique toutefois la présence d’acteurs complètement inconnus du public québécois. Macha Méril, qui incarne la mère de Pierre Lambert, est embauchée avec Sophie Lenoir (Marilou) et France Zobda (Lucie) pour combler le quota d’acteurs français dans la série. La première est une princesse issue de la lignée des Gagarine et la dernière est connue pour ses yeux hétérochromes qui auraient battu des records Guinness de nuances de yeux. 


D’autres acteurs sont tout simplement puisés dans l’entourage de Jean-Claude Lord : Hugo Lambert, le p’tit gars avec des lunettes qui incarne le frère de Pierre Lambert, est joué par son fils. Son personnage disparaît pratiquement durant la saison 2 pour être échangé avec Patrick Labbé dans la saison 3. Celle qui joue la femme de Marc Gagnon, Lise Thouin, est aussi l’épouse du réalisateur, ce qui ne manque pas d’attirer les railleries de RBO, qui taillent en pièce le jeu de l’entourage de Jean-Claude Lord dans Snappe pis bourdonne, une parodie caustique de la série.

Pour repêcher les acteurs principaux, Jean-Claude Lord procède à deux auditions. Dans une première audition traditionnelle, les jeux de Carl Marotte et de Marina Orsini se démarquent tant en français qu’en anglais. De purs inconnus, ils deviendront de véritables vedettes dès la diffusion du premier épisode. «En 24 heures, nos vies ont changé, se souvient Marina Orsini, qui a 17 ans à l’époque. On est devenues des rockstars!» Pour la jeune actrice qui incarnera plus tard Émilie Bordeleau dans Les filles de Caleb, il ne s’agit pas du tout d’un rôle de composition : «Suzie était comme moi une fille typique de son époque, une vraie fille des années 80». 


S’impose également une audition sur patin en présence des entraîneurs du Canadien. Cette audition s’avère moins concluante pour certains. C’est le cas du gardien de but : «Il avait de la misère à patiner, mais on le callait dans son but et avec son masque, on pouvait le remplacer facilement, explique Jean-Claude Lord. C’était un anglophone qui s’était fait passer pour un Suédois à l’audition : on cherchait à représenter des joueurs issus de l’étranger. Il fallait créer une équipe qui ressemblait à la réalité». Rien ne palie toutefois aux lacunes des acteurs sur la glace. Les tournages autorisés par la LNH grâce à l’intervention de l’omnipotent Marcel Aubut, alors président des Nordiques, sont nécessaires.

C’est d’ailleurs l’ouverture de Marcel Aubut qui explique en partie que Pierre Lambert ait enfilé les couleurs des Nordiques plutôt que celles du Canadien. Au départ, la série devait se dérouler principalement à Montréal, mais la direction de la Sainte Flanelle ne veut rien savoir. «Il semble que le Canadien n'était pas intéressé à s'identifier à notre produit, expliquait le producteur Claude Héroux à La Presse en 1985. Lors de nos discussions, on a toujours eu l'impression qu'on dérangeait». Un autre facteur explique toutefois le désintérêt du CH pour la série : les commandites.  «Si Molson était le commanditaire, la série se tournait au Forum ; si c'était O'Keefe, c'était à Québec», expliquait Ronald Corey, alors président du Canadien. À cette époque, en effet, la rivalité entre Nordiques et Canadiens n’a d’égale que celle que se livrent leurs brasseries propriétaires respectives. À Québec, Jean-Claude Lord est accueilli en roi et prend ses aises dans un Colisée où il a des accès qu’il n’aurait jamais pu obtenir au Forum. 



Mais filmer de vraies parties de hockey n’est pas la seule folie qu’ait commise le réalisateur pour créer la première télésérie du Québec. Toutes les lois qui régissaient la télé à l’époque sont transgressées. «Je tournais des scènes de nudité que je trouvais personnellement très pudiques – il faut dire que j’arrivais du cinéma des années 70! C’est une fois en ondes que je réalisais qu’on était peut-être allés trop loin pour la télé de l’époque», explique le réalisateur-vedette des années 80. On s’étonne d’ailleurs que le langage grossier des joueurs de hockey ait réussi à franchir la guérite de Radio-Canada, permettant à «sacrament Ginette!» d’entrer au panthéon des répliques cultes toutes catégories confondues. 

«J’étais un auteur sans censure : j’ignorais le politiquement correct», explique Réjean Tremblay. «Claude Héroux, le producteur, a eu la brillante idée de ne jamais me montrer les rapports de lecture des faux intellos de Téléfilm Canada ou de Radio-Canada. Ils étaient scandalisés de comment la femme était traitée comme un objet. Comment veux-tu qu’une intello mal coiffée de Téléfilm Canada comprenne comment les joueurs de hockey traitaient les poupounes qui tournaient autour d’eux? C’est un univers macho par définition», dira-t-il pour sa défense, ce qui ne convainc pas les associations de femmes qui demandent le retrait des ondes de la série à l’époque. 



De l’avis de plusieurs observateurs du milieu, Réjean Tremblay n’a pas tort : Lance et compte reflète fidèlement l’univers méconnu des joueurs de hockey. Tellement qu’aux lendemains des diffusions des épisodes, les joueurs de hockey, les vrais, doivent s’expliquer à leurs femmes qui découvrent en même temps que le grand public les dessous du hockey professionnel, ses histoires de tromperie et de coups bas. «C’était un milieu très hermétique, rappelle Liza Frulla, et Réjean Tremblay levait le rideau sur cet univers. Vu qu’il était journaliste sportif, on comprenait que ça reflétait assez bien la réalité. Parfois, même, Réjean arrivait à prédire des événements. La vente des Nordiques, il avait vu ça venir bien avant que ce soit d’actualité. Il connaissait si bien le milieu». 

Le public embarque tellement que Carl Marotte, qui incarne leur nouveau héros, est adulé comme un joueur de hockey de la LNH. «T’avais deux clubs au Québec : le Canadien et les Nordiques. Le National, c’était comme un troisième club, résume Liza Frulla. Et quand ça allait mal pour les Nordiques, dans la foule, des fans criaient “on veut Pierre Lambert”».


Liza Frulla ne s’exprime pas ici seulement à titre d’observatrice aguerrie de la télévision ou encore d’ancienne journaliste sportive : le personnage de Linda Hébert est carrément inspiré d’elle. Quand on sait qu’à l’époque, celle qui deviendra ministre libérale porte le nom de son mari et a fait sa marque en devenant la première femme à entrer dans le vestiaire des joueurs sous l’appellation Liza Hébert, on comprend que le clin d’œil n’est même pas subtil. 

«Dans la description du personnage, je voulais que Linda Hébert ait la même classe que Liza», révèle Réjean Tremblay. «Comme journaliste, Linda était ben meilleure. C’était une vraie journaliste comme il ne s’en fait plus».
 

«C’était un personnage de fiction inspiré de moi, mais aussi de Robin Herman, une journaliste du New York Times qui était beaucoup plus agressive. Il y avait des choses vraies, mais la plupart des histoires sont de pures inventions», raconte Liza Frulla, qui a dû expliquer à ses collègues de Labatt à l’époque de la diffusion que non, elle n’avait pas eu d’aventure olé olé avec des joueurs de hockey lorsqu’elle couvrait la Sainte Flanelle. 

N’empêche qu’à part Pierre Lambert et Marc Gagnon, Linda Hébert est l’un des personnages les mieux développés à l’époque. Interprété par Marc Messier, Marc Gagnon incarne la vedette en fin de carrière, le Guy Lafleur de la série. Pierre Lambert, alias Le Chat, est la vedette montante, le Mario Lemieux. Repêché chez les Dragons de Trois-Rivières par le National, c’est le héros au grand cœur, chaviré d’avoir foulé l’épaule de son meilleur ami Denis Mercure (Jean Harvey), mais peu scrupuleux à l’idée de tromper sa blonde Ginette avec les nombreuses admiratrices qui lui tournent autour. 

D’autres personnages sont encore à définir ou correspondent à des clichés bien établis : Mac Templeton le goon (Éric Hoziel), Jacques Mercier l’entraîneur intransigeant (Yvan Ponton), Gilles Guilbaut le directeur ratoureux (Michel Forget). Lucien Boivin, alias Lulu (Denis Bouchard), n’est qu’un début d’intention de personnage de jeune journaliste. Ce n’est qu’à l’époque des téléfilms, qui seront diffusés au début des années 90 à Télé-Métropole (aujourd’hui TVA), que Lulu prendra du gallon, pour en reperdre alors qu’il sera accusé d’attouchements sur des mineurs. Suzie Lambert, la candide sœur de Pierre Lambert, gagne aussi en maturité dans les nouvelles saisons alors qu’elle surmonte un cancer. À la première saison, elle n’est, comme plusieurs personnages féminins, qu’un faire valoir. 



«Quand Marc Gagnon laisse Suzie dans la première saison, elle pleure durant trois épisodes. Je trouvais que c’était ben trop! C’est là que je me suis initiée à l’écriture dramatique», révèle Fabienne Larouche, qui travaillait à la salle de rédaction de La Presse lorsque Réjean Tremblay, qui allait devenir son mari, l’a enjoint de jeter un œil aux textes de Lance et compte. Son nom n’apparaît toutefois pas dans les crédits de la première saison et c’est dans des termes trop disgracieux pour être reproduits ici que Réjean Tremblay résume la contribution de son ex-épouse, aujourd’hui devenue grande maître de la télé, à la série. «Lance et compte a révolutionné la télévision grâce à l’audace de Richard Martin, au sens des affaires de Claude Héroux, à l’acharnement de Jean-Claude Lord et à mon manque de censure», pense l’auteur à succès. 

Jean-Claude Lord croit pour sa part que le succès de la série est le résultat d’une inconscience collective : «Les gens en haut de moi étaient tellement occupés à l’administration du projet, que j’avais toute la latitude que je voulais», se souvient-il. En effet, les épisodes étaient tournés avant même que Téléfilm ait eu le temps d’approuver les textes. Le budget aidait aussi : «On a eu droit à 155 jours de tournage pour faire la première saison, alors qu’aujourd’hui, les séries se font en 60h! Ça nous permettait de nous déplacer beaucoup, d’aller à Québec souvent et de tourner en format cinéma.»

Des dires de plusieurs, Jean-Claude Lord a travaillé si fort sur la première saison qu’il s’en est rendu malade. À l’époque où Scoop, la nouvelle série de Réjean Tremblay est mise en production, on apprend dans les journaux que la cohabitation des deux égos s’est peut-être avérée ardue. Le réalisateur jugeait que les textes devaient être remaniés pour sembler plus crédibles. C’est Richard Martin, de Radio-Canada, qui prendra la relève à la réalisation durant les saisons 2 et 3 ainsi que pour les téléfilms présentés à Télé-Métropole. Jean-Claude Lord reprendra le flambeau en 2002, après s’être vraisemblablement réconcilié avec Tremblay durant le tournage de Scoop

Avec un retour à TQS en 2002, à TVA de 2004 à aujourd’hui, et un épisode cinématographique en 2010 dans lequel Réjean Tremblay se débarrasse d’une dizaine de personnages, on peut dire que Lance et compte est la série québécoise qui a été la moins fidèle à ses diffuseurs. Ça a créé son lot de bisbilles et batailles juridiques notamment quand, en 1989, Radio-Canada a réalisé qu’elle n’avait pas de droits de premier refus sur la machine à cotes d’écoutes qui jouit à la fois d’un succès d’estime à l’époque : entre 1986 et 1989, la série remporte 19 Gémeaux. 

Le public, lui, est fidèle, même 29 années plus tard. Se clôturant avec une moyenne d’un million de cotes d’écoute, la dernière saison diffusée en 2012 à TVA honore sa réputation de millionnaire, même si elle n’accote pas son record de 3 227 000 téléspectateurs en 1989, dans le temps où on avait seulement quatre postes. 

Au moment d’écrire ces lignes, des acteurs comme Marina Orsini, Carl Marotte, Marc Messier et Éric Hoziel sont en train de tourner leur neuvième saison. De nouveaux personnages ont fait leur place et d’autres, comme Ginette, sont restés gravés dans notre mémoire même s’ils n’ont pas survécu au-delà de la première saison. Dans les années subséquentes, les spectateurs ont pu apprécier les prouesses de Roch Voisine, découvrir le sex-appeal de Roy Dupuis, la profondeur de jeu de Dave Morissette et entendre l’expression «la game a changé» dans la bouche de Robert Marien bien avant France Castel dans Les jeunes loups


Aujourd’hui, la simple évocation d’un «Go go go!» sur une musique de synthétiseur suffit à nous rappeler ces jeudis soirs en famille autour du téléviseur au milieu des années 80. Les tournages au Colisée de Québec continuent de permettre aux gens de Québec de revivre leurs belles années de hockey par procuration.

Joey Scarpellino s’apprête maintenant à enfiler les couleurs du National - et à assurer à Lance et compte un bassin de nouveaux téléspectateurs. Réjean Tremblay affirme qu’il s’agit de sa dernière saison, mais Marina Orsini n’y croit pas une seconde. «Avec Réjean, c’est jamais vraiment fini», dit-elle. Un titre serait même déjà trouvé pour la dernière des dernières : Lance et compte – La Prolongation

Comme un voyage dans l'espace


Més que un Cannabis Social Club

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[Cet article est originalement paru sur Streetpress.com]

Barcelone – Carrer Santa Monica. « J’essaie de ne pas trop me faire remarquer pour le moment, moi je veux être là pour des années. » Voilà la première chose que nous dit, enregistreur éteint, Oscar, propriétaire du Strain Hunters Club ouvert il y a à peine quelques semaines dans le centre historique de Barcelone. La bataille fait rage à Barcelone entre Cannabis Social Club pour prendre leur part du gâteau de l’énorme business du tourisme cannabique.

300, c’est le nombre astronomique de Cannabis Social Club qu’il y a à Barcelone, alors qu’ils étaient à peine une vingtaine il y a quatre ans. Un Cannabis Social Club ? Un mot poli pour dire un point de vente de marijuana. Dans les Cannabis Social Club, « les associés » viennent « chercher » leur marijuana comme à la pointeuse. Les fauteuils, la musique et la Playstation en plus.

Au départ, des associations parfaitement légales. La loi espagnole autorise chaque citoyen à cultiver à titre privé 3 plants de marijuana. Les Cannabis Social Clubs réunissent en coopératives des petits cultivateurs qui partagent leur récolte, sans bénéfice et en toute transparence. Mais les entrepreneurs de la ganja se sont engouffrés dans la brèche en montant eux aussi leurs clubs privés. Aujourd’hui ils caressent le rêve de transformer Barcelone en nouvelle Amsterdam.

Association de gens, normal
Au Strain Hunters Club, c’est Oscar, quadra sûr de lui, qui nous accueille. Teint orange, allure sportive, et mâchoire serrée, il se présente comme « le président » de son association de « cultivateurs ». Son club : peut-être l’un de plus beaux de toute la ville. A deux pas de La Rambla, le Strain Hunters vous attend dans son ambiance boisée, avec des photos sous verre d’icônes de la culture canna et des fauteuils en skai. Les boissons sont servies par des créatures de rêve pendant que des gros bras distribuent les pochons de beuh à l’aide de balances électroniques über-high-tech. Oscar est fier comme un coq que son club aux faux-airs de datcha accueille la gent féminine :

« D’habitude, les femmes ne se sentent pas à l’aise. Ici, la fille vient avec son copain et elle est contente parce que le club est joli. »

Pour avoir l’honneur d’acheter un gramme de cannabis dans ce club qui veut taper une clientèle haut-de-gamme, venir «parrainé» par un ami et armé d’une pièce d’identité. Pas la peine de présenter le moindre engagement auprès de l’association, ni même de justifier d’un domicile en Espagne. Une petite signature, votre adresse, et le numéro de votre passeport… bravo, vous êtes désormais socio ! Chaque mois, vous pouvez retirer entre 10 et 80 grammes de cannabis pour la modique somme de 10 euros le gramme.



Cannabiz' Social Club
Dans les quartiers touristiques de Barcelone, les Cannabis Social ont tous les apparats d’immenses machines à fric. À La Mesa, situé dans le quartier du Born, à deux pas d’une des cathédrales les plus visitées de la ville, un vestibule sombre et dépouillé, à la manière d’un bar lounge pour nouveaux riches. Il faut montrer patte blanche pour accéder à la salle de consommation de 140 mètres carrés, située derrière un muret à l’abri des regards. La déco est « bohémienne-chic » dixit le patron : ici des canapés chinés de haute volée, un DJ permanent et des projections aux murs de vidéos d’art et d’essai. Les échanges se font par système informatisé dernier cri. L’équipe d’une quinzaine d’employés est tout droit sortie des pages mode de Vice – d’ailleurs le magazine le plus branché du monde trône partout dans le club.

Ce lundi soir à La Mesa, des socios se présentent continuellement au bar. Le business des Cannabis Social Club est en train de péter tous les chiffres à base de frais d’inscriptions allant de 20 à 50 euros et d’un gramme qui s’échange en moyenne à 10 euros. El Pais estimait en décembre que les clubs de la ville généraient 5 millions d’euros par mois. Joint par StreetPress, Jaime Prats, fondateur de la revue culte Cañamo qui suit l’actu du cannabis depuis 20 ans, évoque des clubs écoulant jusqu’à 2 kilos de cannabis par jour. Les plus gros, comme le Kush, revendiquent 25.000 socios. La Mesa en a 8.000. Le BCN THC qui a ouvert il y a à peine deux semaines compte déjà 500 adhérents.

Clandestino
Dans ces machines-à-frics à ciel ouvert, un seul point vient noircir la vie rêvée des « cultivateurs ». Déclarées sous le statut d’association à but non lucratif, les Cannabis Social Club n’ont pas le droit de faire de pub. Dans les rues des quartiers touristiques, les clubs – qui ne peuvent même pas poser d’enseigne – sont invisibles. Pas le droit non plus au sacro-saint flyer, ni même d’ouvrir une page sur Internet. Sur le web, les Cannabis Social Club sont aussi introuvables. Pour arriver au Strain Hunters, il nous a fallu arpenter pendant une demi-heure des forums consacrés au cannabis, avant de se résoudre à passer un coup de fil a un autre gros « cultivateur ».

Pour débaucher leur clientèle, les Cannabis Social Club usent et abusent des réseaux sociaux. Sur Instagram, Twitter et Facebook, leurs comptes postent et repostent. Oscar nous présente trois lascars habillés streetwear derrière un comptoir en bois brillant : son équipe de community managers. Nous aurons même la semi-obligation d’être pris en photo pour les réseaux sociaux en compagnie du Big Boss, qui se félicitera qu’on voit à l’image mon magnétophone et mon carnet de notes :

« Ca fait sérieux ».

Oscar nous fait poser pour son Instagram

Lumpen proletariat
Interdit de publicité, le juteux business des Cannabis Social Club attire toute une faune de rabatteurs qui sent fort la misère sociale. Comme Mr. Green, un espagnol d’une trentaine d’années décrit par ses concurrents au mieux comme un vagabond ou un junkie, au pire comme un… tueur. Armé d’une tablette Samsung nouvelle génération d’un blanc éclatant, Mr. Green arpente les rues de Barcelone à la recherche de touristes qu’il pourrait faire entrer dans des Cannabis Social Club. Grande tige sèche, vêtue d’une casquette verte et d’un baggy, Mr. Green confie être un gamin de la DASS. Il a aussi un fils qu’il n’a jamais rencontré. Petit dealer depuis ses douze ans, il vit des miettes de l’économie des Cannabis Social Club. Sur chaque personne qu’il fait entrer dans un club grâce à son parrainage, il touche – d’après ses chiffres – de 25% à 50% des 20 euros de la cotisation obligatoire. Une misère au vue de sa moyenne haute de 5 adhésions par jour. En contrepartie, Mr. Green essaye de fourguer sa marchandise – MDMA, coke, viagra – aux jeunes touristes qu’il a alpagués. Il acceptera de répondre à nos questions une fois que nous aurons versé 20e au président du club pour lequel il fait le trottoir.

Un peu plus haut dans la hiérarchie sociale des crève-la-faim, il y a Mark , Hollandais d’une trentaine d’année qui se touche souvent les narines. Visage émacié et beaucoup trop parfumé, ce sosie de Robbie Williams à l’œil vitreux s’est installé à Barcelone il y a un an et demi, avec pour ambition de faire son beurre dans ce qu’il voit déjà comme « une nouvelle Amsterdam ». *L’idée de génie de Mark : monter une agence touristique qui permette aux touristes de fumer le matin dans des clubs et de visiter la Sagrada Familia foncedé l’après-midi. Concours Lépine toujours : il prépare une application pour proposer aux touristes des réductions dans des magasins de fringues partenaires de Cannabis Social Club.

Pour le moment il est rabatteur et « cultivateur » de marijuana – il dit fournir un des plus gros clubs de la ville. Pendant notre interview, Mark disparaîtra mystérieusement quelques minutes après avoir reçu un coup de fil.

A l’Ariam, les dealers sont des mama espagnoles

Business model
Pour remplir leurs caisses, certains clubs n’hésitent pas à enfreindre la loi. Comme le Kush, vraisemblablement le plus rentable de la ville. Devant le Kush, nous verrons sortir en à peine 15 minutes presque une dizaine de très jeunes Français. Le Kush prend un maximum de risques en envoyant une armée de rabatteurs dans les rues de Barcelone – ce qui est interdit – taper les touristes au profil de spring breakers. Certains parlent même de 50 chalands. Romain, à peine 19 ans, a pu rentrer tranquillement alors que l’entrée lui avait été refusée dans d’autres clubs à cause de son âge. A l’intérieur, le personnel est presque exclusivement composé de jeunes noirs – en majorité des Cubains et des Dominicains. L’endroit est étouffant avec au mur des écrans de télé qui diffusent du gros rap pendant que des touristes, vêtus courts et rougis par le soleil, viennent s’approvisionner au « dispensaire » – le comptoir à weed. Un jeune homme, qui a travaillé au Kush, assure que les gérants font un classement des rabatteurs. Avec promotions et humiliations à la clé. D’après lui le club serait tenu par deux allemands, « des noirs » :

« Ce qu’ils veulent, c’est faire le maximum de fric, le plus rapidement possible avant que la législation change. »

Oscar et le Strain Hunter adoptent une autre stratégie. Le « cultivateur » fait profil bas et espère fidéliser une petite clientèle de qualité pour que le jour où la législation évolue, il soit parmi les clubs les plus réputés de la ville. En ligne de mire : le rêve de faire partie des pionniers d’une nouvelle Amsterdam. Mr. Green, qui lui a proposé ses services de rabatteur, s’est fait rembarrer comme un malpropre. « Le street-promoting, c’est pour des clubs qui n’ont pas les mêmes objectifs que nous », clame Robert Mosterd, propriétaire de La Mesa, qui vise aussi une clientèle select et le long terme.

À la Mesa, il est interdit de prendre en photo les socios

Hypocrisie
Dans la ville, c’est l’hypocrisie la plus totale. Vous n’entendrez jamais un entrepreneur prononcer les mots de « vendre » ou de « clients ». On dit « partager » et « socios ». A l’entrée du Kush trône un immense panneau qu’on imagine faire beaucoup rire le personnel : « En este local ni se compra ni se vende marijuana » * . Le cannabis serait officiellement cultivé par les adhérents de l’association qui mettraient en commun leurs récoltes. Pourtant, les adhérents du Kush sont bien tous de passage en Espagne…

Plus lol encore, le syndicat de la FedCac, qui doit en théorie porter la voix des petits cultivateurs de cannabis, est dirigé par … Albert Tio, un des dirigeants de la Terrassa, une des plus grosses boites de nuit de Barcelone ! Albert Tio est aussi le boss de l’Airam, un club qui bénéficie d’un spot imprenable à deux pas de la Rambla et qui fait régulièrement le plein. Accompagné de sa splendide épouse paraguayenne, il nous reprend quand on prononce devant lui le mot « client » :

« Il faut que tu changes de logiciel : ici on parle d’associations et d’adhérents. »

Robert Mosterd, fondateur de La Mesa, y va de son petit sketch :

« Je fais ça pour l’amour de cette plante. À La Mesa tout est réinvesti dans l’association. Il n’y a pas de chiffre d’affaire. »

Tout comme Albert Tio, Robert Mosterd est représenté par le cabinet d’avocats Nieto Povedano qui veille aux affaires d’une bonne partie des Cannabis Social Club les plus rentables de la ville.


StreetPress peut vous parrainer dans plusieurs Cannabis Social Club

Entrepreneurs
Qui se cache derrière les Cannabis Social Club ? D’abord des entrepreneurs un brin aventuriers comme Robert Mosterd, actuellement en procès pour s’être fait prendre avec … 22 kilos de cannabis ! Ce hollandais de 47 ans et boss de La Mesa prétend vivre de ses activités de photographe et de décorateur d’intérieur, après un passé dans le business de la restauration. Le teint hâlé, l’allure élégante – malgré l’embonpoint – dans son ensemble blanc, le businessman aux cheveux blonds-délavés reçoit au second étage du club dans un open-space digne d’une start-up de la Silicon Valley. Ses deux partenaires hollandais : des trentenaires à l’allure de yuppies en vacances. L’un d’entre eux admet vivre de ses « cultures » de marijuana et de la vente de graines. Il s’est installé en Espagne il y a 1 an et demi pour profiter du boom des coffee shops version barcelonaise. « Par contre, tu n’écris pas ça dans l’interview ».

Oscar, président du magnifique Strain Hunters club à 5 mètres de La Rambla, bénéficie, lui, de l’appui d’un gros investisseur : l’empire Green House qui gère des coffee shops en Hollande, vend des semences de chanvre et produit même des programmes de télévision diffusés sur National Geographic. Le club porte d’ailleurs le nom de cette émission. Oscar travaillerait pour eux comme réalisateur et photographe. Le quadra dynamique, au profil de requin de la weed, confie « cultiver » depuis plus de 20 ans.

D’autres gérants ont des airs de petites frappes. Comme au BCN THC, un club à l’allure de MJC bas-de-gamme avec sa table de billard, sa Playstation et ses graffiti pour ados. Au BCN THC, on cultive son look gangsta et la moyenne d’âge ne dépasse pas les 22 ans . Les 6 jeunes fondateurs ont investi près de 70.000 euros, de l’argent qui proviendrait de leurs économies … Pourtant son président de 21 ans, Alejandro, est chômage depuis ses 19 ans après une carrière furtive de maçon. Un des habitués ira jusqu’à nous menacer si on écrit des choses qui ne lui plaisent pas.

Le président Alejandro et Mr. Green

Marché noir
Lorsque que l’on s’inscrit comme membre à La Mesa, l’hôtesse au look de DJ electro explique aux nouveaux adhérents qu’ils doivent cacher dans leur caleçon les pochons quand ils sortent du club. Les proprios du club nous offrent un petit panel de 4 de leurs délicieuses herbes mais attention ! Le barman met tout dans un seul pochon en séparant chaque weed d’une feuille à rouler pour ne pas les mélanger :

« Si tu te fais arrêter par la police avec 4 pochons différents, ils peuvent te mettre en garde-à-vue pour trafic. »

Contrairement aux apparences, transporter de la marijuana, la fumer en public et la cultiver en quantité suffisante pour alimenter un commerce est interdit en Espagne. Pour fournir « le dispensaire » du Strain Hunters, Oscar explique que ses « cultivateurs » lui amènent ses herbes en petite quantité, dans des sac-à-dos, dans la plus grande clandestinité. Officiellement, une partie des membres de l’association s’occupe de cultiver. D’autres se chargent du transport jusqu’au club. Robert Mosterd de La Mesa concède, lui, se fournir parfois au marché noir.

Fournir de la weed en masse à ses socios n’est pas quelque chose de facile pour le commun des mortels : « Faire pousser de la bonne haze comme celle que tu trouves dans certains clubs, c’est super chaud ! Il faut être un pro », assure Mr. Green. Ramon, 30 ans et fumeur depuis toujours, a vu les Cannabis Social Club fleurir dans sa ville natale de Tarragone, à 100 bornes de Barcelone :

« Ce sont tout simplement les dealers de toujours qui ont ouvert leur commerce. »

Attention à la parano ! Le patron du Strain Hunters nous fait fumer. Et voilà qu’on s’attend à ce que déboule d’un moment à l’autre des hommes armés de kalachnikov venu détruire le point de vente d’un « cultivateur » concurrent…

Régulation
« Et toi, en tant que journaliste, tu penses qu’on va pouvoir tenir ? » s’inquiète un des partenaires hollandais de Robert. La poule aux œufs d’or des entrepreneurs de la weed est menacée. Joint par StreetPress, le ministère catalan de la santé explique qu’une loi devrait sortir d’ici deux à trois semaines. La régulation est en marche et c’est la course à l’armement. « Il parait qu’ils ne veulent plus donner de licences. Mais ils ne les retirons pas à ceux qui les ont déjà », croit savoir Alejandro. Le président du BCN THC souffle : les travaux de mise aux normes de son local pour obtenir une licence ont mis près de 6 mois… mais son club a pu ouvrir juste à temps avant la loi ! Ouf ! Mr. Green, le petit dealer à la dégaine de grande gigue, explique que la spéculation est déjà en marche : certains entrepreneurs auraient acheté des licences par dizaines dans le but de les revendre, une fois la nouvelle loi passée.

A la Meca, Cannabis Social Club version roots

Dans les locaux de La Maca, une association militante pour la dépénalisation du cannabis, Jaume Xaus porte-parole de la fédération de la CatFac, reçoit. Ici, le Cannabis Social Club a des airs de squat entre potes : un dreadeux zone sur un canapé pendant qu’un étudiant passe du blues depuis un ordinateur d’un autre âge. Vous êtes dans le quartier populaire de Sants où il n’y a pas de touristes. Jaume prétend incarner la pureté des Cannabis Social Club : des coopératives de petits cultivateurs qui fonctionnent en circuit fermé, à but non lucratif et qui font vœux de transparence. Le militant craint que les clubs qu’il fédère deviennent « les victimes collatérales » de ceux qui ont « de mauvaises pratiques ». Il demande à ce que la future régulation limite à 500 le nombre d’adhérents par association. Il voudrait aussi faire justifier les socios d’une présence d’au moins 15 jours sur le territoire espagnol.

De quoi mettre des bâtons dans les roues des entrepreneurs de la weed ? Ce filou de Mr. Green tape une barre :

« Et comment ils vont faire ? Vérifier qu’on demande bien aux touristes leur billet d’avion aller/retour ? »

Le rabatteur, qui squatte tous les forums consacrés au chanvre à Barcelone pour y laisser ses coordonnées, se prépare avec optimiste au début de l’été :

« Je m’attends à recevoir des centaines de messages et de mails. L’année dernière je tournais à 9.000 euros par mois. »

--

* : Mark ne s’appelle pas Mark

* En VF: “Ici, on ne vend pas et on n’achète pas de marijuana”

NB: L’article a été écrit sous l’influence d’adjuvents

Rockfest 2014 : Top 9 d'une 9e édition trash mais joviale

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9 - Blink 182
Principale tête d’affiche du festival, le légendaire trio punk californien Blink 182 avait la tâche tout de même assez aisée de gagner le cœur d’un public déjà conquis. Mission réussie? Oui, malgré une désorganisation flagrante – signe d’un groupe qui lésine sur la pratique et préfère se concentrer sur d’autres projets.

Dès le début, le trio sort les gros canons, The Rock Show et What’s My Age Again? notamment. «I’m 21 twice», déclare injustement Tom, qui aura 39 ans cette année. Toujours aussi juvénile dans l’âme, le guitariste se plait à dire un lot de niaiseries impressionnantes entre les chansons. «I’m wearing a condom right now», scande-t-il après First Date. «I think I’m great when I’m drunk», lance-t-il plus tard, attribuant son état d’ivresse à l’heure tardive du spectacle (un peu après minuit).



Durant les chansons à lighters (Down et I Miss You), Travis se donne un peu trop sur ses tambours, comme s’il voulait épater la galerie avec ses talents de fessage. Heureusement, cette intensité improvisée sert bien aux chansons plus punk de son répertoire, comme Dammit et Man Overboard.


De son côté, le doyen Mark à la voix posée s’est particulièrement démarqué sur Feeling This. Radieux  comme toujours avec sa frange virevoltante.



8 – Les accoutrements épatants
Les festivaliers se surpassent chaque année en arborant des tenues éclatées, parfois ingénieuses, parfois dégueulasses. Cet habillement «buffet à volonté» appartient certainement à la deuxième catégorie.



Durant le show de Billy Talent, cette dame au chapeau graisseux semblait avoir le moment de sa vie.



Parlant de poulet, cet homme semblait se trouver assez cool avec sa tuque de type rôtisserie.



Dans la file du Bonichoix, ce grand génie aPEURant et DÉGOUTant avait déjà ouvert sa bière pour passer le temps.


Quand efficacité et style se conjuguent à merveille.


Attitude de chien.


Cuir sadomasochiste et pinch redoutable.


Deux passions qui ont le mérite d’être claires.


7 – Les Montebellois
Quand ton paisible village d’à peine 950 personnes se fait envahir par 200 000 festivaliers, en grande partie déficients, ça peut devenir frustrant. Heureusement, les Montebellois sont accueillants et généralement ravis de recevoir autant de visite. Ils profitent même de l’occasion pour partir en  business solide, soit en louant aux festivaliers des espaces camping sur leur terrain ou en leur vendant des vivres de survie comme des condoms, des glow stick et du chocolat. Mention à la «bouteil d’eau».


Autre technique pour faire une grosse passe de cash : ramasser les bouteilles/canettes vides. 


Le gérant du Bonichoix, quant à lui, a prévu le coup cette année en commandant une quantité phénoménale de bière – 2500 caisses de 12 plus précisément. En fin d’après-midi le samedi (donc, après 1 jour et demi de festival), il ne lui restait que d’la Coor’s Light et d’la Bud Light. Une bonne chose, tout de même, pour baisser l’alcoolémie des festivaliers.


Dans un tout autre ordre d’idées, cet homme a passé sa fin de semaine au bar à flasher son perroquet sur la terrasse. Pour aucune raison.


Finalement, cette femme a profité de son pignon sur rue pour sensibiliser les gens aux «chemtrails», ces fameuses lignes blanches dans le ciel qui seraient la pierre d’assise d’un énorme complot du gouvernement pour contrôler la température. «Ce qui me dérange le plus, c’est de perdre mon soleil, de perdre mon ciel bleu», déclare-t-elle, en avouant passer au moins 5 heures par jour à lire sur le sujet. «La température m’a toujours obsédée.» 



6 – Les groupes québécois
Malgré toutes les grosses pointures américaines en vedette durant le festival, les groupes québécois ont réussi à tirer leur épingle du jeu, en offrant des spectacles saisissants. Fidèle à son habitude, la troupe de Québec Dance Laury Dance a provoqué des trash survoltés, grâce au charisme irrévérencieux de son leader Max Lemire.


Autre valeur sûre, un peu plus hardcore cette fois : Obey The Brave. En plein après-midi, le groupe a fait shaker le solage de la Marina avec violence et robustesse.


Quelques réunions de groupes mythiques étaient au programme. Sans surprise, la réunion de Reset avec Chuck Comeau et Pierre Bouvier (de Simple Plan) n’a convaincu personne. «Montebello, une ville où y’a plus de vaches que d’habitants», a déclaré Bouvier, le fin finaud, lors de l’une de ses trop nombreuses interventions inutiles.

Heureusement, la réunion entre Anonymus et Mr. Pacini en personne, Marco Calliari, a été quasi jouissive. «Faites du bruit pour le Rockfest CÂLICE !!!», a lancé l’homme du bar à pain, après Prosternez-Vous. Le groupe s’est également joint à Mononc Serge, juste avant Blink 182. «Les métalleux, c’est des mésadaptés sociaux», a lancé avec raison notre Serge national.

5 – Le ravin
Voici le genre de truc imprévisible et retardé qui fait du Rockfest un évènement unique en son genre. À partir de 3 heures du matin le dimanche (et jusqu’au lever du soleil), les festivaliers ont eu la brillante idée de créer un raccourci (lire : une planche de plywood instable qui flotte au-dessus d’une marée d’eau brune, de bière et de pisse) afin de passer plus rapidement d’un bord à l’autre du camping. Seul hic : les gens intoxiqués qui désiraient se plier à l’exercice devaient éviter de glisser sur la boue en remontant le ravin. Rapidement, le «shortcut» est devenu un véritable défi à surmonter.


À un moment donné, des gens ont essayé de se pousser dans le ravin, entraînant des altercations absurdes mais contrôlées.


Le champion incontesté de cette joute : Monsieur «White Pants», un homme allumé aux réflexes amoindris. Son délicieux surnom était crié à tire-larigot pendant deux heures.


Bravo!

4 – Mastodon
Le quatuor métal d’Atlanta a, comme d’habitude, tout donné sur scène. Les chansons du nouvel album ont convaincu, mais pas autant que les hits Divinations, Blasteroid et Oblivion. À la guitare, Bill a été à la hauteur de sa moustache.

Tout juste sorti d’un centre de désintoxication pour traiter son alcoolisme, Brent semblait en forme – un peu plus qu’à Heavy MTL il y a 3-4 ans quand il se donnait des tapes dans face pendant le show.


3 – Weezer
C’est durant ce spectacle qu’on s’est rendus compte que Weezer avait à peu près juste des hits. En une heure seulement, le quatuor californien a interprété Hash Pipe, Island in the Sun, Beverly Hills, Dope Nose, Say It Ain’t So, Pork and Beans, Photograph et, au rappel, Undone et Buddy Holly. 

Rivers Cuomo était vraiment heureux d’être là. Il bougeait comme un prince frivole.





2 – Le feu rassembleur
Se promener en pleine nuit pour rencontrer des gens en se réchauffant autour d’un feu de casquettes est un incontournable du Rockfest. Évidemment, comme on est dans un festival rock/punk/metal, l’accueil est toujours des plus chaleureux. «Ok, je rajoute pas de bois dans le feu pis quand il est mort, tout le monde décalisse», met en garde l’instigateur enflammé d’un de ces feux de joie. Aperçu flou de sa prestance :


En temps normal, un gars arrive avec sa guitare et tente de décâlisser une toune de Sublime ou de Blind Melon. Cette fois-ci, ce sera ce somptueux frisé au t-shirt génial.


Ce punk qui mange du fromage est fâché : il n’aime pas la musique du frisé et aimerait entendre de la vraie musique. 


Après d’insistantes demandes, il obtiendra gain de cause avec sa demande spéciale Anarchy in the UK. Malheureusement pour lui, l’instigateur enflammé viendra couper la chanson.


Confidence du punk fromagé assez saisissante :


«J'étais en train de fourrer la bonne femme dans tente pis j'étais pas capable parce que je vous trouvais trop cons… fait que chu venu prendre une beer avec vous autres», de déclarer cet homme avec une volubilité vertueuse, quelques minutes avant que le feu ne soit éteint pour de bon.


1 - L’ambiance YOLOL générale
Par-dessus tout, le Rockfest est une foire remplie de spécimens édifiants, autant YOLO que LOL, dont cet homme guilleret, probablement le seul de toute la file à avoir bu de l’eau.


Et ces gens aux mœurs légères.




Et ces gens qui chillent dans un pick-up toute la soirée.


Et ce gars qui dort le corps dans le char et les pieds dans rue.


Et ces génies qui déploient leur attitude rock en permanence.




Et, finalement, cet homme à la pilosité incroyable qui aime autant regarder son hamburger que le manger. 



À l’année prochaine, évidemment.

Pour voir plus de photos du Rockfest 2014, c'est par ici

Photos de concert: Didier Charette
Autres photos: Olivier Boisvert-Magnen

Heureux comme un chaman dans le Jura

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[Cet article est originalement paru sur Streetpress.com]

Domaine du château de Bellevue – Jura (39). « Oh Abuelito fuego, Grand-père le feu, j’invoque l’esprit d’Homer Simpson… » La boutade de Jean-Pierre Meyran fait pouffer la vingtaine de personnes plongée dans le noir et la vapeur. En pleine cérémonie, le chaman français, alias Xhaakõmani de son second nom attribué par le peuple amazonien Shipibo, alterne chants sacrés, conseils de vie et autodérision. « Il ne faut pas se prendre trop au sérieux, développe Xhaakõmani, beaucoup de chamans en rajoutent un peu trop sur le côté solennel de ce qui doit aussi rester un moment de détente. »

Réservé aux hommes vêtus d’un simple caleçon et assis en cercle, le rituel se déroule dans la hutte à sudation dite « de la Mère-Terre ». Une sorte de demi-sphère d’un mètre cinquante de haut, faite de branches et de couvertures vert-kaki. Une bâche bleue recouvre cette étrange ensemble-tortue. « Un sauna + + + », résume le chaman boute-en-train, avant de jeter de l’eau sur les pierres incandescentes posées au centre. 

L’objectif de la structure : entendre la prière de chaque participant. Une première voix s’élance du noir : 

« Je m’appelle Michel, Grand-Père le feu. Et je souhaiterais savoir où je vais dans ma vie. »

Toutes les voix s’empressent de ponctuer l’intervention par un « Aouuuuuuuh » enseigné un peu plus tôt. « Il faut d’abord que tu sache où tu es avant de te demander où tu vas », répond le chaman Xhaakõmani … « Aouuuuuuuh. »

Sommet mondial
Ce rite amérindien appelé « temazkal » ne se tient pas en Guyane ou au Pérou mais dans le Jura, en France, sur le domaine du château de Bellevue, à une heure de voiture au sud-est de Dijon. Organisé du 24 au 27 avril dernier par le « Cercle de sagesse de l’union des traditions ancestrales », ce 7e festival du chamanisme est le plus important événement du genre sur le territoire français. « Et même en Europe », renchérit son fondateur Soof-Ta – « celui qui connaît et mange la terre » – de son patronyme français Patrick Dacquay. 

Cette année, les organisateurs ont compté plus de 2 000 participants. Un record dont se félicite le fondateur du Cercle de sagesse :

« C’est un paradoxe pour l’un des pays les moins spirituels du monde marquée par la Révolution française, la 3e République et les Francs-maçons… La religion française serait plutôt la dé-spiritualisation de l’être. » 

Difficile de se faire accréditer à ce rassemblement international de 85 chamans. Minthé, la « chamane de l’eau » en charge des relations presse, nous ayant indiqué que notre projet d’article n’était « pas été accepté par l’ensemble du Cercle », StreetPress a planté discrètement sa tente en tant que festivalier.


Minthé, la « chamane de l’eau » en charge des relations presse

Au sommet d’une colline, un petit château décoré de tableaux saturés de divinités indiennes domine le lieu. Deux bénévoles coiffés d’un bandeau gardent en permanence une voûte faite de branchages. L’accès permet de pénétrer dans « l’espace sacré ». Cette zone, délimitée par un fin cordon parsemé tous les dix centimètres de bouts de tissus colorés, s’étale sur plusieurs hectares. Même éteints, les portables y sont prohibés, tout comme les cigarettes et la nourriture. Sur cette pelouse : des grands tipis, des huttes à sudation, un arbre à prière, un grand feu central, des chapiteaux, un campement celte, le totem de la paix, des tentes berbère, coréenne… Une véritable foire mondiale de la spiritualité. 

La figure du chaman, être mystique originaire de Sibérie et d’Asie centrale, plane au-dessus du rassemblement de pieds nus. Le mot vient du Russe « saman » et des peuples sibériens toungouses. Il désigne celui qui communique avec le monde invisible des esprits et veille sur l’âme de sa communauté. Quand une personne a un problème, c’est qu’elle a fâché – consciemment ou non – un esprit qui lui fait du tort. Il faut, via des offrandes, solliciter les services d’un professionnel du sacré qui a le pouvoir de jouer l’intermédiaire.

Chéper
Jean-Pierre, le plaisantin qui pratique le temazcal en bermuda, assure qu’il n’a jamais aspiré à dialoguer avec les esprits. « Mais le chamanisme m’a appelé. » L’appel fut d’abord téléphonique. En 1998, au bout du fil, un ami l’invite à passer une soirée avec des chamans mexicains de passage dans son coin, le Luberon. Jean-Pierre, alors musicien et « un peu thérapeute », se retrouve le soir même dans une hutte à sudation à prendre du Peyotl, un cactus hallucinogène. Il décolle comme une fusée :

« La seule chose que j’ai vu, c’est que j’avais les étoiles qui descendaient. Et le Peyotl m’a dit : ‘ne cherche plus, tu as trouvé’. »

Ce message succinct le pousse, l’année suivante, à se rendre au Mexique pour une marche spirituelle dans le désert. Avant de tester l’Ayahuesca, un puissant hallucinogène andin. Un an plus tard, lors d’un voyage au Pérou, un chaman local l’interpelle :

« Maintenant, arrête de faire l’andouille ! Prends la médecine que je te donne et mène toi-même la cérémonie. »

Il a dit oui et est devenu Xhaakõmani. La drogue – comme la musique, le froid ou même la faim – permet aux chamans d’entrer en transe. Mais attention ! Pas de substances dans le Jura. Un prospectus du festival assure que les pratiques ont lieu « à l’état lucide sans utilisation d’adjuvants et dans le respect des lois en vigueur ».


Un Indien dans le Jura

Succès
Au festival de Dole, l’anthropologue Laetitia Merli est l’une des rares personnes autorisées à filmer sur la pelouse de l’espace sacré. La chercheuse, qui prépare un documentaire sur le sujet, constate une « explosion du nombre de chamans » en France. Elle décrit le phénomène comme « un bricolage religieux » entre un vieux fond de croyances populaires françaises et des traditions exotiques, venues d’Asie et d’Amérique. L’universitaire Catherine Le Pelletier parle, elle, d’un « néo-chamanisme » qui vulgarise la dimension ancestrale pour que chacun puisse « inclure son rite à son quotidien ». Une évolution constatée par Jean-Pierre :

« En France, on va voir le chaman avec les mêmes questions que pour le psy. Au Mexique, on le voit si on a mal au bras ou à la jambe. »

Une personne a largement contribué à accélérer la popularisation du phénomène : Corine Sombrun. En 2001, alors que cette mélomane enregistre pour la BBC une cérémonie en Mongolie, elle entre soudainement en transe au son du tambour … et hurle comme un loup. Corine Sombrun a raconté son initiation et sa métamorphose en chamane parisienne dans des émissions et plusieurs livres à succès.


Pocahontas et les samouraïs

Pipe sacrée
Rarement éloignée de l’arbre à prières jurassien, Vera Sazhina ne quitte jamais totalement le monde des esprits. Ses yeux globuleux bleus clairs ne clignent pas. Sa bouche demeure entrouverte, ses cheveux gris comme électrisés. La chamane pratique son art à Moscou et à Touva, une république de l’extrême sud sibérien. Petite fille de chaman, elle ne s’était jamais intéressée à cette profession. Jusqu’à ses 23 ans : 

« J’ai été gravement malade. Au bord de la mort, un chaman m’a sauvé et je n’ai plus eu le choix, j’ai dû devenir chamane. Etant nous-mêmes un peu fous, nous sommes très doués pour soigner les gens fous. »

Le Mexicain Ulises Osorno Bozano, de son nom sacré Tlakaozelolt – « l’homme Jaguar » en VF – s’est, lui, découvert guérisseur lors d’une transe dansante à Mexico qui l’a plongé dans son passé. Il s’est alors vu mourir d’une flèche dans la gorge. Descendant des Aztèques, il se dit capable de revivre ses vies et ses morts antérieures.

Pour sa cérémonie de « la pipe sacrée », le Mexicain remplit ses deux longs calumets … en taxant dans le public du tabac à rouler Golden Virginia. Après un discours sur le caractère sacré de la feuille de tabac non industrielle poussant sur son continent. Quant à « l’eau sacrée » jetée dans les cendres, elle l’est depuis une bouteille Vittel, elle aussi empruntée à un participant.




Kaz Ogawa

Business Plan
Comment reconnaît-on un chaman d’un charlatan ? « Il faut avoir été reconnu par d’autres chamans », tranche Manuel Tlaloc, un autre guérisseur venu du Mexique. Il ajoute :

« Un jour, une femme m’a dit avoir rêvé d’un oiseau blanc venu sur son épaule qui lui a déclaré : ‘tu es chamane’. Pfff, n’importe quoi ! »

Le festival est une vitrine. Il sert à recruter des clients réguliers pour les guérisseurs ayant pignon sur rue. Manuel Tlaloc est installé à Paris, Didier Rauzy, son confrère français officie à l’année dans une école de « naturopathie ». Quantité de prospectus proposent des « stages » payants en tout genre. Pour « Vivre les accords toltèques », il faut débourser entre 150 et 300 euros les deux jours. Le fondateur du Cercle de sagesse, Patrick Dacquay, vend, quant à lui, ses livres. Il prétend ne pas gagner d’argent avec le festival. Malgré un billet à 40 euros la journée et 85 euros le pass de quatre jours, nourriture végétarienne et gite non inclus. Visiblement, c’est peu cher payé pour écouter le Japonais Kaz Ogawa psalmodier une formule capable de protéger des ondes du wifi. Son épouse et traductrice précise à une centaine de paires d’yeux impatientes :

« Moi, je le fais avant d’allumer mon ordinateur. Quand vous l’aurez fait 1 000 fois cela deviendra plus naturel. Cela peut aussi purifier la nourriture ou protéger une personne du moment qu’elle est consentante. »

Une dame dans le public demande au longiligne japonais, serti d’un bandeau blanc, si la formule fonctionne quand on a un cancer. L’assistante en robe rouge réplique qu’on peut l’appliquer sur les médicaments avant de les prendre :

« De toute façon, ça ne peut pas faire de mal. »

Un samedi à Tabajaras, favela «pacifiée» de Rio

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On est en plein coeur de Copacabana, à 5 minutes de sa mythique plage. Devant nous, coin Siqueira Campos et Toledo, une foule variée attend impatiemment le feu vert. Un peu plus loin, deux gars rangent leur planche de surf dans leur voiture. Le chaud soleil de midi brille, la mer est à deux pas, mais c’est dans la direction opposée que je me dirige, à une centaine de mètres d’altitude. 

- C’est par ici, pointant à Mario, le photographe espagnol qui m’accompagne, l’abrupte Rua Ladeira dos Tabajaras, qu’on s’apprête à monter. 

Aux pieds des deux monts qui s’élèvent devant nous, s’entassent quelques 5 000 personnes vivant dans les favelas Ladeira dos Tabajaras et Morro dos Cabritos.

Facilement repérable, l’entrée de Tabajaras est marquée par la présence d’un 4x4 de l'unité de police pacificatrice (UPP), stationné ici quotidiennement.

On emprunte la montée principale. Le match Argentine-Hollande vient de commencer. Le son des télés dans les commerces s’entremêle à celui des klaxons des moto-táxi et des kombis (mini-fourgonnette) qui « montent » les gens jusqu’à leur domicile pour entre 1,50 reals et 3 reals (0,70$ - 1,40$) le passage. 

On marche dans la rue, comme tout le monde, en évitant de se faire frapper par les véhicules qui nous frôlent. On voit une mère avec son bébé naissant dans les bras, une famille trimbalant le traditionnel ballon de foot. Le trottoir, quand il y en a un, est peu praticable. S’y empilent, entre autres, des sacs de sable et de ciment qui servent à la (perpétuelle) construction des maisons. À dos d’homme, ils seront éventuellement transportés à travers les passages les plus escarpés, souvent des escaliers, jusqu’à leur destination finale. 



À notre droite, des ordures sont éparpillées sur le sol. Un peu plus haut, des baraques de briques et de tôle sont construites de manières désordonnées, et contrastent avec les tours de condos de luxes qui leur font face.



Au peu plus loin, le premier étage d’une maison a été transformé en garage. Le propriétaire de lieux s’affaire à réparer une vielle Beetle. Sur le trottoir, il a installé un petit BBQ sur lequel cuisent des morceaux de viande. 

Dans la rue des voitures démembrées de leurs pièces sont stationnées pour une durée indéterminée. 

Sur les hauteurs de la favela, derrière l’école de Samba, Express manicure est une chaleureuse baraque en tôle qui fait office de comptoir manucure. Pas plus grand qu’un cabanon, le micro-commerce est juste assez grand pour contenir deux personnes assises. « C’est pour les pieds et les mains ? », me demande Carla, la propriétaire,  concentrée sur les mains d’une cliente. « Juste les pieds.»

Sur une chaise, dans la rue, je prends place aux côtés d’une autre cliente accoudée au comptoir, Carla, elle aussi. «  Tu peux passer avant moi, je ne suis pas pressée », m’offre t’elle, l’air préparée à passer une partie de la journée, avec la propriétaire, une amie d’enfance. 

En attendant la manucure, on parle des 300 escaliers à monter pour rentrer chez soi : « Mon copain les a comptées ! », lance la propriétaire. On parle de l’avortement illégal au Brésil, de tout et de rien.

Carla a 36 ans et est massothérapeute. Mère de trois enfants, celui de 17 ans a déjà quitté la maison « Il n’aimait pas habiter ici, dans une favela », explique-t-elle levant les yeux au ciel, découragée. Elle, paye 700 reals (340$) pour son logement avec une seule chambre, où vit la famille de 4 personnes : une aubaine par les temps qui courent !

Depuis, l'installation de l'unité de police pacificatrice (UPP), en 2010, les prix des loyers ont augmenté. Le complexo que forment Ladeira dos Tabajaras et la favela voisine Morro dos Cabritos connait une expansion particulière du nombre de ses habitants, (35 % depuis 1990), principalement depuis la « pacification ». 

« Tu vois ces appartements ? », me demande-t-elle, pointant en face de nous, un immeuble de plusieurs étages qui s’élève au coin de la rue, au-dessus d’un conteneur à déchets. « Ils sont 1 500 reals (720$) par mois ! », s’exclame-t-elle, stupéfaite. 


À Rio de Janeiro, le salaire minimum est de moins de 800 reals (385$) par mois. « J’ai acheté ce commerce il y a trois ans pour 1 000 reals (481$) », explique quant à elle la propriétaire. 

Deux ados dégourdis se joignent à nous, Marlon (14 ans) et Raphael (15 ans). Ils reviennent de la plage, une paire de palme dans les mains. « Moi je parle anglais ! », lance Marlon. Et étonnamment bien. « Je vais à l’école aux États-Unis, en Ohio, pour apprendre l’anglais... Mais j’aime mieux ici. Il fait plus chaud ! Et là-bas, il y a du racisme. » Carla hoche la tête en signe d’approbation. Raphael, lui, va à l’école à Leme près d’ici. « Il manque beaucoup de choses pour apprendre, comme des tables, des cahiers. Tout. », critique-t-il. 

La favela a souffert pendant plus de 30 ans de la présence du Comando Vermelho (CV), l’une des principales bandes de narcotrafiquants de Rio. Aujourd’hui, les habitants vivent dans une paix relative. Un bataillon de 120 hommes veille à la tranquillité des lieux.  

« Il n’y a plus d’armes, ni autant de bandits qu’avant, mais il y a toujours de la vente de drogue », explique Carla, confirmant, tout comme le reste du groupe, que les touristes et les habitants des chics quartiers à proximité sont de très bons clients. « C’est par là-bas, derrière, que ça se passe », m’indique Marlon.

Les policiers de l’UPP sont plus jeunes et sont chargés d’établir des liens avec les habitants, mais les relations sont tendues. « Ils ne sont pas respectueux avec les femmes ! », affirme Carla. « À moi, ils ne disent rien », réplique la propriétaire du comptoir manucure. « C’est parce que j’ai mis les choses au clair dès le début, et je leur ai dit qu’ils aillent se faire foutre ! », lance-t-elle provoquant un fou rire généralisé. 

Quelques semaines plus tôt, je suis moi-même tombée nez à nez avec un commando de policiers armés en pleine intervention, leurs armes braquées sur moi, un bref moment. Une scène normale ici. « Ils peuvent aussi entrer dans les maisons sans prévenir », ajoute Raphael. 

Depuis début 2014, 45 personnes ont été tuées par les policiers de l’UPP de la ville de Rio de Janeiro.

Les deux ados nous quittent. Au coin de la rue, j’entre chez Pizzaria Élite, pour acheter un salgados. D’ici sort normalement une centaine de pizzas par soir, mais depuis un mois - et l’un des meilleurs de l’année à cause de la Coupe - le propriétaire, Antonio Claudio da Silva, n’en livre qu’une trentaine par soir. « La ligne de téléphone est coupée! Ils disent que c’est moi qui ai demandé ça, mais c’est faux ! Au Brésil, la justice ne vaut rien ! », dénonce-t-il, découragé. 




Antonio habite la Rocinha - l’une des plus grosses favelas de Rio «  Je loue cet endroit parce que c’est près des quartiers riches et que je paye moins cher de loyer que si j’y étais (1 500 reals par mois). Ça me permet de vendre mes pizzas dans les quartiers d’Ipanema et Leblon beaucoup moins chers que les autres ! » 

À la télé la partie se clôt sur des tirs de pénalités. Antonio disparaît dans la cuisine. 

À l’extérieur, j’aperçois mon ami Valter qui me salue, sur sa moto. « Je vais manger, tu veux venir ? » Je dis au revoir à Carla et Carla. Je repasserai pour les ongles. Valter stationne sa moto et on part à pied, direction Bar do Mineiro, du côté de Morro do Cabritos. Au-dessus de nos têtes, des banderoles de drapeaux brésiliens ont été installées pour le Mondial et flottent au vent.


Au convivial resto, on se faufile entre les chaises en plastique jaune installées dans la rue et on prend place à l’intérieur, devant l’écran géant où deux commentateurs font l’analyse le match. Dans le resto, ça boit des grosses bières – beaucoup de grosses bières ! –, des Brahma bem gelada. Sur les tables, les bouteilles s’accumulent par dizaine. Valter commande un arroz com feijão, typique riz aux haricots. 

Il est livreur à moto et habite Tabajaras depuis plus de 10 ans. Impliqué dans la communauté, il s’occupe d’un projet de cours d’anglais. Il vient tout juste d’ouvrir un hostal chez lui, Titia Hostel. « J’ai 6 personnes en ce moment ». Les travaux de construction d’un second étage à sa maison s’éternisent – un classique brésilien  –, ce qui ne fait pas le bonheur de Valter qui a emprunté à la banque pour son projet et il comptait profiter au maximum du tourisme du Mondial. « Et, je ne t’ai pas dit ? Mon voisin vient aussi d’ouvrir un hostel! », s’exaspère-t-il. L’augmentation du tourisme dans les favelas, particulièrement celles de la zone sud, où l’on se trouve, est un phénomène incontournable.

Attablé derrière nous, Valter salue Leandro, alias Tick qui mange avec des amis étrangers. Dans la communauté, tout le monde semble se connaître, comme dans un village. 

Leandro est graffiteur et vit de son art. « Le salaire n’est pas bon, mais c’est ce que j’aime faire. Je fais des commandes commerciales, mais aussi des graffitis engagés. C’est ma manière de faire ma révolution », explique celui qui est en train d’organiser un projet de murale avec les jeunes de la communauté, sur le site où sera construit un nouveau terrain de foot. « Ce sera une murale sur l’histoire de la favela ». 

En sortant du resto, on aperçoit l’un des graff de Leandro, un drapeau du Brésil, au centre duquel il a remplacé le Ordem e Progresso, par Health and education

Sur l'inflation immobilière, il tient le même discours que les femmes au comptoir de manucure « Il y a trois ans, je payais 400 reals pour un mois, aujourd’hui, c’est impossible de trouver une place à ce prix. On est près de la plage, c’est sûr que c’est en train d’arriver ici, mais je ne sais pas si les personnes qui vivent ici depuis longtemps, pourront continuer d’y vivre si les choses continuent comme ça ». 

La journée se termine. Après une promenade en compagnie de Leandro, on quitte tranquillement la dynamique communauté. 

Ce soir, les habitués, se rencontreront dans l’un des multiples hangars de coin de rue, transformés en bars conviviaux. Quelques touristes curieux iront sans doute au restaurant de sushi. Un samedi tout ce qu’il y a de plus ordinaire à Ladeira dos Tabajaras, favela « pacifiée » de Rio.

Crédit photos: Mario Lopez. Pour voir d'autres images de la favela, c'est par ici

Dur, dur d'être végane et chic

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Rue Mouffetard, Paris 5e, Amandine est accoudée sur la commode de sa boutique de pâtisseries Vegan folie’s. La jeune femme est vêtue de sa tenue de travail noire, cheveux retenus par une queue de cheval basse et lunettes sur le nez. Militante depuis 10 ans, elle connaît toutes les boutiques, les sites et les manifestations prévues sur la condition animale. Les bras croisés, elle a un sourire amusé quand on aborde la question des vêtements : « C’est pas compliqué, moi je m’en fous de la mode. Si la paire de chaussures sans cuir est moche, je la prends. »

Son principal souci: pas de cuir donc, mais pas de laine non plus, et qu’importe l’esthétique : « Je ne comprends pas pourquoi ce serait plus normal de refuser la fourrure et pas le cuir, dans les deux cas, tu as un animal mort sur toi. Quant à la laine, vous n’avez qu’à lire le rapport de PETA. Et même s’il y a 1% de laine dans un pull, je ne le prendrais pas. »

Green fashion
Des convictions que Perrine, 20 ans, et végétarienne depuis 9 ans, partage. Pas vraiment militante, ce n’est que récemment qu’elle a décidé de ne plus porter de cuir : « Je trouvais ça étrange de ne plus manger de steak mais de continuer à avoir du cuir sur mes pieds. »

Lèvres rouges coquelicot, longs cils recouverts de mascara, Perrine ne correspond pas vraiment au cliché du hippie. Trouver une chaussure à son pied devient carrément problématique dans sa vie professionnelle : étudiante en école de commerce à Reims, elle doit obligatoirement venir à ses entretiens en talons, « et ça coince avec mes chaussures à dix balles. En plus d’avoir mal au pied, on voit clairement que c’est du faux cuir, je me tords les chevilles à chaque pas. » Quant à la qualité, Perrine dit d’un air triste : « Cet hiver, j’ai acheté trois paires de bottes en plastiques faites en Chine, la qualité est merdique. »

Made in China
Refuser de porter du cuir, c’est souvent faire le choix de chaussures en plastique pour quelques euros fabriquées à l’autre bout du monde par un gamin payé une misère. Perrine secoue la tête consciente du paradoxe : « C’est absurde, je ne porte pas de cuir mais mes chaussures ont été assemblées dans des conditions que je condamne. »
 
Amandine insiste là-dessus : « Entre véganes, il y a deux écoles : ceux qui vont prendre des chaussures en plastique à 10 € qui ont été fabriquées par des enfants chinois. Et d’autres qui vont débourser plus d’argent dans des entreprises qui certifient que la chaussure a été faite en Europe. Je fais partie de ceux-là, parce qu’être végane c’est un mode de vie, c’est une volonté de changer la société dans son ensemble. » 

Pour concilier éthique écolo et sociale, on fait un tour dans la boutique « Un monde Vegan » qui aligne surtout farines sans gluten et yaourts au lait de coco. Mais dans un coin, un micro rayon chaussures. Une timide douzaine de paires est disposée sur quatre étagères. Tous les modèles sont garantis sans cuir et made in Europe, mais là c’est l’esthétique qui en prend un coup : Pour rentabiliser le rayon, les modèles sont unisexes avec un design assez grossier type Birkenstock ou Doc Martens. 

Alors fashion et végane, impossible ? « Même en étant végétarienne, je ne côtoie pas trop le milieu. Peut-être qu’il y a des initiatives, mais je suis pas au courant », confesse Perrine. C’est finalement dans les boutiques de luxe comme Colette qu’on peut dénicher des fringues « végane chic ». Ainsi, Good Guys, la marque qui « chérit le passé, mais embrasse l’avenir » (rien que ça!), y propose des chaussures haut-de-gamme « sans aucun matériau d’origine animale ». Ouf! Sauf qu’au rayon végane les basiques, d’entrée de gamme sont à plus de… 80 euros.

Prochain arrêt : femmes seulement

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15h30, jeudi. À chaque arrêt s’ouvrent les portes du trolleybus qui parcourt les quelques 100 km que couvre Quito de nord en sud, afin de laisser entrer encore plus de gens. Du haut de mes 5 pieds 3, j’ai une bonne idée de la foule qui compose le bus. En Équateur, les gens sont un peu plus petits qu’au Québec, alors je me sens soudainement grande. Femmes avec enfants en bandoulière, hommes avec leur chapeau del campo bien posé sur la tête, effluves de reggeaton provenant du haut-parleur du téléphone d’un adolescent sur le chemin du retour de l’école, petite brise fraîche des montagnes de la ville qui vient donner un peu de patience dans cette chaleur du bus, où on n’a même pas besoin de se tenir à un poteau car tout le monde y est tellement serré qu’on se tombe tous un peu l’un sur l’autre, en se retenant tout en même temps… Et enfin mon arrêt, je me dégage de cette proximité forcée, je soupire de soulagement.


Ce jeu de corps à corps plutôt intime entre inconnus est l’apanage de presque tous les services de transport public du monde. Mais ici, dans la capitale équatorienne, être une femme parmi cette orgie de corps s’avère être une expérience assez insupportable. 

Chiffres à l’appui, le journal Expreso d’Équateur rapportait que 80% des femmes à Quito se disent victimes d’agressions ou d’attouchements dans les bus publics. 

Pour remédier à cette problématique, l’administration de Quito a annoncé en mai dernier que des bus exclusifs pour femmes s’ajouteraient aux parcours sous peu.  Déjà, avec un peu de chance, on aurait pu apercevoir dans la ville les taxis rosas, des taxis peinturés de rose, conduits par des femmes et accueillant des femmes seulement. Mais le projet a avorté pour des raisons plutôt obscures.

Pour le bus, le service exclusif pour femmes sera optionnel et volontaire. Quito franchit ainsi une nouvelle étape avec ses transports publics féminins. La ville veut adopter cette stratégie pour mettre un frein à la violence envers les femmes en exposant ce problème au grand jour, et en faisant comprendre que la situation est intolérable.

Suite à quelques conversations dans le bus, on a l’impression que ce projet est très bien accueilli parmi les usagers du transport. Entre quelques arrêts où la danse des corps recommence, je bavarde avec Luis et Joana, un couple qui prend le metrobus tous les jours. Les deux se réjouissent de cette annonce du gouvernement. Luis trouve que les transports ne sont pas sécuritaires pour les femmes, et qu’il est très bien de diviser les sexes pour une meilleure harmonie. Joana me confie qu’elle prendrait définitivement un bus pour femmes. Elle s’y sentirait plus en sécurité.

Mon amie d’ici, Maria, préfère parfois prendre le taxi pour éviter la surcongestion qui règne à l’intérieur des bus. «On ne se sent pas à l’aise dans les bus, il y a trop de gens, et certains en profitent soit pour te voler ou te toucher. C’est désagréable», me dit-elle.

Mais si pour certains cela semble être la fin du déséquilibre qui règne entre hommes et femmes dans les transports publics, d’autres croient qu’il est complètement illogique de ségréguer les deux sexes, et que cela ne règlera absolument rien. Pire encore, cela pourrait aggraver la situation. Jaime, urbaniste pour la ville de Quito, est de cet avis. «Il me semble que ça vient d’une vraie nécessité, que les femmes sont maltraitées et abusées dans les bus. Ce ne sont pas des abus de haut niveau, mais si quelqu’un t’approche et te touche, c’est un abus». Il croit toutefois que ce plan de la ville de Quito est une véritable discrimination. «Différencier les femmes en les séparant des hommes, ça envoie comme message que les femmes sont plus faibles, qu’elles sont inégales, qu’elles ont besoin d’être protégées».  Il me raconte qu’il est entouré de femmes remarquables autour de lui, qui n’ont jamais eu ce problème d’inégalité. Des femmes d’ici qui sont à la tête d’entreprises, qui vont de l’avant. Jaime croit que le fait de séparer les sexes donnera cette impression de discrimination à des femmes qui ne l’auraient pas ressentie auparavant. 

L’urbaniste croit également que toutes les dynamiques qui génèrent de la ségrégation, même si elles sont bien intentionnées, vont contre la réalité. «Il y a des femmes, il y a des hommes. Voici la réalité. Pourquoi diviser? Ce n’est pas naturel. Ceci a des conséquences que nous ne connaissons pas, mais que je ne veux pas voir non plus». 

Jaime croit que la solution constitue plutôt à offrir un service qui doit être « digne », c’est-à-dire qu’il y ait davantage de bus sur la route pour augmenter la fréquence de passage afin de désengorger les wagons. Jusqu’à maintenant, il n’y a pas assez de bus de toute façon pour en déléguer seulement aux femmes.



La secrétaire pour le réseau des femmes d’Équateur, Francisca Morejon, croit quant à elle que d’exclure ou de diviser les femmes des hommes ne règle en rien la question de fond qui concerne l’insécurité que vivent les femmes en Équateur. Elle explique aussi que de séparer les sexes dans le bus se révèlera un défi logistique important. Que faire quand un groupe d’amis composés de femmes et d’hommes, quand un couple hétérosexuel, quand des familles prendront le bus? Devront-ils se séparer dans divers wagons et se retrouver à la sortie, des kilomètres plus loin? Francisca est plutôt d’avis qu’il faut un travail d’éducation en profondeur, et que malgré l’intention du gouvernement de mettre au grand jour une problématique, il faut beaucoup plus qu’un message fort pour faire changer les choses.

En attendant, plusieurs caméras surveillent à l’intérieur des bus, et dans les heures de pointe, quelques policiers arpentent les wagons, contrôlant les entrées et sorties. D’autres pays d’Amérique du Sud sont confrontés au même problème d’abus envers les femmes dans les transports, et certains ont adopté cette ségrégation, comme c’est le cas du Mexique, de la Colombie, du Guatemala et du Brésil. Reste à voir ce que Quito choisira au final. En attendant, on peut se réjouir que le débat sur l’égalité des sexes suscite autant d’attention. Car même si à l’intérieur des bus l’abus envers les femmes cesse, à la sortie, la réalité sera toujours la même.

Pour voyager gratuit, vive les snowbirds!

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La preuve, 400 ans après s'être installé sur les berges du Saint-Laurent, il n'arrive toujours pas à le surmonter: passé la courte extase devant les premiers flocons, il retourne vite à ses bons vieux grommèlements, « l'hiver est dont-ben-long-cette-année », oubliant qu'il disait exactement la même chose 365 jours auparavant. La théorie de l'évolution ne s'applique pas au Québec; ce serait même plutôt l'inverse. Je n'aurai jamais l'avis de Darwin là-dessus, mais j'ai quand même décidé de devenir un snowbird. En janvier, direction la Nouvelle-Orléans. Mon amie Jasmine, qui n'a pas été difficile à convaincre des méfaits de la neige, m'accompagne.

Je ne sais plus comment j'ai entendu parler de ces services de transport de voiture à travers l'Amérique du Nord, sûrement en googlant « voyager gratuitement »... Le concept est simple: il existe des snowbirds riches qui n'ont pas envie de faire la longue route vers le soleil l'hiver venu, et préfèrent s'y rendre par les airs. Cependant, arrivés sur place, ils aiment quand même bien avoir leur véhicule. Alors ils font affaire avec une agence qui leur trouve un snowbird pauvre – votre serviteur – pour mener le carrosse à bon port, moyennant un dédommagement couvrant ses frais en route (essence, nourriture, hôtel).

Il y a plusieurs de ces agences, dont les noms explorent péniblement le champ lexical du roadtrip: Auto Driveaway, Hit the road... Moi, je voulais aller vers le paradis des snowbirds, la Floride (en janvier, ça ne manque pas les chars qui s'en vont là-bas), et ensuite trouver un moyen de me rendre en Louisiane. Mon choix s'est donc naturellement porté vers le spécialiste de cette partie du globe: Cars to Florida, dont on devine sans peine la vocation.

Petite parenthèse utile: il existe des départs pour plein d'États différents. Il y a une foule de raisons qui amènent les gens à ne pas conduire, par exemple un déménagement hâtif pour raisons professionnelles. (« On t'a échangé à Dallas, bye bye »). On trouve des témoignages de gens qui sont allés en Californie au volant d'une Porsche, tous frais payés...

Les dates et les lieux de départ et d'arrivée sont fixés par le propriétaire de l'auto. C'est un Toronto-Sarasota le 8 janvier qui entre le mieux dans mon agenda. Anyway, pas le temps de niaiser: dès qu'un départ qui ressemble de près ou de loin à ce que tu cherches s'affiche, tu le prends, parce que t'es pas le seul snowbird pauvre dans la région...

Après, tout est très rapide: un dépôt de 300$ (hum... j'ai confiance en toi, Internet), envoyer son dossier de conduite et une copie du permis. Un coup de fil à Toronto pour prendre rendez-vous avec Mme Snowbird, et on est d'accord: à moi les 2500 km jusqu'à Sarasota!

Le jour J, me voici au centre-ville de Toronto, où il fait très froid, surtout quand on est habillé pour gambader sur la plage. Je pénètre dans un appartement dont rien que le salon est suffisamment grand pour loger quatre étudiants, à condition qu'ils aiment le marbre. Parce qu'il y en a beaucoup trop, du marbre! Mme Snowbird partira en vacances avec M. Snowbird mais aussi avec la servante mexicaine, qui me sert le café. Ils sont bien gentils. Ils ont fait carrière (et fortune, ce qui est remarquable) dans le journalisme et vont soigner leurs rhumatismes sept semaines chaque année à Sarasota. Je ne m'éternise pas, moi aussi j'ai envie d'aller voir les palmiers, et on descend au sous-sol cueillir l'objet de ma quête. Bof, une bête Honda Accord, avec des sièges en cuir et des ornements de bois, quand même.

Je m'en vais ramasser Jasmine qui m'attend en ville et c'est parti, on rocke la route.



Jour 1: Toronto-Pittsburgh
Le sud de l'Ontario est plate. Heureusement qu'on y a construit quelques gigantesques usines noires pour égayer les berges du lac éponyme. Suivent des étendues mornes où, parait-il, la vigne batifole à moment donné, mais pas aujourd'hui. On ne parle pas trop : l'arrivée imminente de la frontière nous stresse. Je dois prendre la « commercial lane », celle réservée aux camions, et je tends ma liasse de papiers au bonhomme qui crie là-haut dans sa guérite à hauteur de trucker. Il faut aller dans la bâtisse au fond, puis dans l'autre en face.

Dans le premier édifice, après une bonne heure passée sous le regard bienveillant d'un de ces Barack Obama dans son cadre cheap qui décorent les postes-frontière de nos voisins du Sud, on nous appelle pour nous poser les questions de routine sur ce qui nous amène aux États-Unis. Sans emploi ni billet de retour, Jasmine présente le profil-type d'une immigrante qui ne rêve que de voler une job à un bon Américain travaillant. Après une heure de niaisage et une fouille de toutes nos affaires, elle convainc le douanier en lui montrant son relevé bancaire sur le téléphone (une chance qu'il ne jette pas un œil à la carte de crédit gonflée à bloc). Dans le second bâtiment, on perd une autre heure au milieu des camionneurs pour faire immigrer le char. Bravo, il fait nuit et on ne verra rien du paysage.  Juste une grande pancarte au-dessus de la skyline de Buffalo, montrant la fameuse scène avec le singe qui se relève petit à petit pour devenir un homme, barrée d'une grosse croix rouge, avec un numéro de téléphone: 855-FOR-TRUTH. On ne croit pas à l'évolution ici non plus, apparemment.

On arrive à Pittsburgh bien tard, et on trouve difficilement l'hôtel clandestin à contribution volontaire où on a réservé. Pour ne pas se faire pogner (alors que son hôtel apparaît dans les premiers choix de Google quand on tape « cheap hostel Pittsburgh »), Jon fait passer ses clients par sa cour arrière, perdue dans les ruelles de cette ville industrielle étonnamment agréable avec ses vieux quartiers ouvriers aux jolies maisons de brique. L'hôtel de Jon a beau être illégal, il ne ressemble en rien à un squat, mais tout à fait à une auberge de jeunesse à lits superposés. On ne s'éternisera pas, demain on a de la route.

Jour 2: Pittsburgh-Caroline du Sud
Pittsburgh abandonnée à sa grisaille, on fait route plein sud. Au programme de la journée: les Appalaches. J'ai posé une condition non négociable avant le départ, aujourd'hui on lâche l'autoroute et on s'aventure sur les routes qui serpentent la montagne. Objectif: partir à la rencontre des hillbillys de Virginie-Occidentale, expédition qui meuble mon esprit depuis que j'ai lu les si flatteuses descriptions que Tristan Egolf fait des « rats de rivière » dans un de mes livres préférés, Le Seigneur des porcheries.  Et pour le coup, on est servis...

La route s'élève, ça commence: ah tiens, regarde, une maison mobile toute scrap à gauche. Oh, un autre trailer à droite. Ah ben, encore un. Mais dis-moi, là-bas, ce ne serait pas un village de maisons mobiles à moitié démolies?

Il y en a partout, des hillbillys. Devant toutes les stations-service, des vieux pick-ups avec des bonshommes aux immenses barbes cachant les quelques dents qui leur restent, le corps démoli par le travail, dans ces comtés où on vote à plus de 70% pour les Républicains et contre l'assurance-santé. Très courtois, en passant, du genre à vous tenir la porte du dépanneur quand ils voient que vous êtes rendus à moins de 30 mètres. En fait, c'est plaisant la Virginie-Occidentale avec ces gentils hillbillys, ces fermes en bois qui ponctuent les douces collines, et ces rivières qui s'écoulent tranquilles au fond des vallées, entre les trailers abandonnés.

Passé ça, le retour à la plaine et à l'autoroute à travers la Virginie et la Caroline du Nord est tout à fait ordinaire. Il fait nuit quand on arrive à Charlotte, ville dont j'aurais pensé qu'avec un si joli nom, elle serait charmante. Il n'en est rien, quelques gratte-ciel déprimants de normalité percent péniblement la noirceur de leurs lumières que jamais personne ne pense à éteindre. On a faim, on se met en quête d'une épicerie, la seule qu'on nous propose est le Walmart. Ça faisait longtemps. Mais celui-ci n'est pas comme les autres: pour la première fois sur le continent nord-américain, on se sent dans la peau de la minorité visible. Tout le monde est Noir sauf nous. Pourtant, dans ce quartier visiblement pauvre, dans ce temple où les joies de la consommation sont offertes sur un plateau de plastique aux classes laborieuses, les prix – surtout des légumes défraichis – sont passablement élevés. Probablement ce qui arrive quand, une fois la concurrence écrasée, le héraut du libre marché se retrouve en situation de monopole quasi-soviétique.

Charlotte n'est qu'à quelques milles de son amie Caroline du Sud. C'est là-bas qu'on s'arrêtera dormir, au bord de la route et sous des pins rachitiques. Un endroit vraiment pas glamour, mais tant pis: ici, dans ce qui commence à ressembler sérieusement au Sud, il fait assez chaud pour camper en janvier. 

Jour 3: Caroline du Sud-Orlando

Le Sud profond, on le découvre pour de bon à la lueur du jour. Il est fait de tous ces petits éléments rednecks qu'on retrouve un peu partout aux États-Unis (pick-ups, énormes billboards bariolés de messages chrétiens et anti-avortement), sauf qu'ici, ils sont légion. Aussi, beaucoup de publicités pour des magasins d'armes à feu, étonnamment supplantés en nombre par les sex-shops établis directement en sortie d'autoroute. Comme si, dans cet univers puritain, on cherchait à concentrer le vice en quelques endroits bien précis, où l'on peut s'arrêter acheter un dildo aussi rapidement qu'un hamburger-frite.

En Géorgie, il y a une jolie ville qui respire le Sud des romans: Savannah, où on se perd avec plaisir. La chaleur moite enveloppe ses larges rues plantées d'arbres luxuriants donnant sur une multitude de placettes aménagées en jardins. De vieilles maisons cossues abritent des restaurants pour clientèle friquée qui déambule dans une ambiance feutrée, comme si le temps s'était arrêté et que depuis on s'emmerde en attendant désespérément que le party recommence. En périphérie, la carte postale s'inverse pour devenir celle d'un ghetto noir où les maisons placardées disputent l'espace à celles insalubres. Il y a quelque chose de malaisant à franchir si vite la frontière qui sépare la soie du no future, et il est encore plus choquant de constater que dans cette ville nonchalante, on semble être les seuls à s'en émouvoir. Après tout, puisque tout ça a l'air bien normal, autant foutre le camp...

Je ne sais pas si c'est fait exprès, mais dès qu'on franchit la frontière entre la Géorgie et la Floride, l'été commence. Un soleil de plomb et des palmiers de chaque côté de l'autoroute. On est contents comme les snowbirds qu'on est, on se voit déjà patauger sur la plage, faire chauffer le barbecue et jouer au bingo à l'ombre de notre VR. Dire qu'il y en a qui ont la chance de vivre ces émotions tous les ans!

Ici, c'est les avocats qui affichent en gros leurs faces sur les billboards, avec une posture déterminée – bras croisés, torse bombé – qui trahit leur désir que justice soit rendue. C'est pas des blagues, il y en a partout sur la route, on se demande ce qu'ils font là... Quelqu'un nous dira plus tard que c'est parce qu'ici, tout le monde se poursuit pour un oui pour un non. Explication somme toute plausible.


Plus on avance et moins on aime ça, la Floride. Tout y est si artificiel... On a été naïfs de croire que les palmiers poussaient sur le bord de l'autoroute parce que Mère Nature souhaitait nous régaler de leur grâce: on dirait que tous les cols bleus de l'État sont payés à en planter. Pendant ce temps, les gars de la construction assèchent les marais, construisent des condos à la place puis creusent des étangs pour y relâcher l'eau précédemment pompée. Ils connaissent ça eux autres, la création d'emplois.

Même la ville la plus ancienne des États-Unis, Saint Augustine, fondée en 1565, a l'air en carton. C'est un peu Québec-du-Sud: il y a de belles fortifications, une jolie promenade sur le bord de l'eau, et une sorte d'immense château (aujourd'hui reconverti en collège) dont on pourrait croire qu'il correspond à une nécessité historique quelconque mais qui, en réalité, n'a été érigé que pour servir d'hôtel. Les familles sillonnent ce décor dans le coucher de soleil, juste avant que les douchebags ne prennent d'assaut la ville pour la débarrasser au plus vite de cette étrange sensation nommée sobriété.

Il faut une heure pour traverser Orlando, à toute allure sur une autoroute à huit voies pleine de trafic même s'il est dix heures du soir. Les parcs d'attraction défilent sur des kilomètres. Nous, on cherche une rest area pour siroter notre six-pack et dormir. On en trouve une belle, où il fait très chaud malgré l'heure tardive. Impossible d'installer la tente: un agent de sécurité fait sans cesse des rondes dans sa voiture. Encore une job bien créée... Pas grave, on dormira dans l'auto. Cinq minutes plus tard, les sièges en cuir sont déjà trempés de sueur, alors on se résout à coucher sur le ciment à côté d'une table de pique-nique, dans la pénombre où le gardien ne peut nous voir. Une nuit à la belle étoile en plein mois de janvier... On est bien!



Jour 4: Orlando-Sarasota

Je me réveille à six heures pour vomir. J'ai dû manger quelque chose de mauvais. Toute la journée, je vais être KO. Tout à coup, je la trouve moins drôle la chaleur... Dans la lumière du matin, on n'est plus caché des regards des usagers de la halte routière, oups.

On veut de l'Internet alors on s'arrête où on sait qu'il y en a... au McDo. Walmart, McDo... On détruit vite ses habitudes de consommation responsable, aux États-Unis... On prend juste un café et on se fait nos propres toasts, les autres clients nous trouvent bizarres, ou crottés, on s'en fout. Changement de programme: mes snowbirds de Toronto doivent retarder leur départ. Je n'ai donc pas à les attendre à l'aéroport, j'irai plutôt porter l'auto à la big boss de Cars to Florida qui, ô surprise, est elle aussi une snowbird de Sarasota.

Dans le McDo, un couple de snowbirds franco-ontariens jase avec Jasmine. Ils passent deux mois chaque hiver dans un condo à deux pas de là. Ça c'est bizarre, parce qu'on est encore à deux bonnes heures de la mer... En fait, beaucoup de snowbirds ne résident pas dans des campings ou des maisons au bord de l'eau. Ils n'en ont pas les moyens et se retrouvent dans des trailer-parks ou des petites villes comme celle où on est, à l'intérieur des terres. Ils nous racontent que la journée, ils marchent et magasinent pour leurs petits-enfants. L'image romantique du snowbird qui, chaque matin, fait son jogging face aux flots de l'océan en prend un sérieux coup dans mon esprit.

Tampa arrive, ça y est, on est sur le golfe du Mexique. Question artificialité, ça bat tous les records. La route emprunte une digue qui déchire la baie. Au loin, il y a de gigantesques ponts, encadrés d'immenses hôtels : ça n'aide pas mon envie de vomir à passer. Un peu plus loin ça s'arrange, fini les verrues de littoral à quarante étages, mais ça ressemble quand même à une banlieue de plusieurs dizaines de kilomètres de long, avec l'avantage qu'ici, c'est une mer qui est creusée dans la cour arrière.

Sarasota n'est pas différente. En fait, qu'est-ce qui pourrait être différent sur cette côte qui semble avoir été bétonnée d'un seul coup, dans les années 70? On nettoie l'auto comme on peut, on est contents qu'on ne l'ait pas eue super-propre, ça nous laisse du lousse. Et direction son point de chute, snif, on commençait à bien l'aimer.

L'adresse qu'on m'a donnée est un beau trailer-park de snowbirds, avec une excellente localisation, à 200 mètres de l'aéroport. J'imagine que le côté pratique que ça représente quand on a besoin de prendre l'avion oblitère les dizaines de veillées gâchées par la présence d'un couloir aérien. Cette visite me permet de noter les différences culturelles entre trailer-parks. En Floride, la densité de maisons mobiles y est nettement plus importante qu'en Virginie-Occidentale. Cette promiscuité est compensée par la présence de fleurs, qui rendent l'espace plus agréable. Par ailleurs, les trailers sont tous fraichement peinturés d'un blanc éclatant, et les habitants sont propres sur eux, pas de barbe hirsute ici. Ce n'est pas parce qu'on vit depuis vingt ans dans un trailer-park qu'on serait heureux dans tous les trailer-parks. Observation anthropologique intéressante, et non, elle n'était pas évidente a priori.

Mme Cars-to-Florida ne semble pas soulagée outre mesure qu'on se soit rendus à bon port, ce qui me laisse penser qu'elle a une bonne assurance. J'ai mérité le remboursement de mon dépôt et mon indemnité de 500$ pour avoir apporté la voiture. Sachant que ça a coûté seulement 170$ de gaz, on a gagné quelques brosses à la Nouvelle-Orléans, là où le gin-tonic coûte 2 piastres.

Notre mission est terminée, mais le plus dur commence: rejoindre la Louisiane sur le pouce, en traversant le Redneckistan: nord de la Floride, Alabama, Mississippi. Tout cela est une autre histoire. On en a un aperçu en se rendant de Sarasota à Tampa, une heure au nord, seul endroit où j'ai trouvé un hébergement sur Couchsurfing: les automobilistes nous regardent soit avec mépris, soit avec incompréhension. On est tellement des bêtes bizarres qu'une jeune fille s'arrête pour nous prendre en photo. Il nous faut toute la miséricorde d'Edward, chrétien visiblement en recherche de BA, pour sortir de Sarasota. Plus loin, une sorte de mousson nous surprend à la tombée de la nuit et achève de lessiver notre moral. On est finalement pris en charge par une gentille meth-head qui fera 100 km imprévus pour nous mener à Tampa. On emprunte un téléphone pour appeler Alan, notre hôte du soir, qui ne sera pas là avant une heure.

Onze heures du soir, la ville est morte. Je n'ai rien pu avaler de la journée, on est encore trempés et on fait pitié, mais c'est pas grave, parce que les vacances ne font que commencer.


Una poutine por favor

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La classique sauce brune mijote dans les casseroles. Le fromage en grain « squwick squwick » attend patiemment à l’intérieur des sacs de plastique dans le réfrigérateur. Tout le portrait est des plus normaux pour un resto de poutine. Mais le détail qui fait que la Casa Quebecua est ce qu’elle est, c’est qu’elle est bien loin du parc Lafontaine et de La Banquise. Le petit resto mené par un Québécois a cela de très exotique : c’est le premier et le seul resto où on offre de la poutine en Équateur! Et sûrement un des rares en Amérique latine.

Zachary Robichaud est l’heureux propriétaire qui a eu l’idée d’ouvrir ce spot québécois à Quito, il y a de cela quelques années à peine. Amoureux de l’Équateur, il a eu envie de créer son propre paradis, c’est-à-dire un lieu où on se sent un peu au Québec, décorations sur les murs à l’appui, tout en ayant cette atmosphère un peu chaotique mais ô combien chaleureuse de l’Amérique du Sud. On observe ainsi une plaque d’immatriculation québécoise, un portrait de la Chasse galerie, de la ville de Montréal de nuit, des vestiges des Canadiens de Montréal… Et Zachary a voulu donner une ambiance un peu «chalet» avec les murs et le mobilier en bois, question d’amener l’après-ski jusqu’ici. Il manque juste un petit air des Cowboys Fringants en background pour que l’illusion soit complète. Tous les employés sont Équatoriens, et la clientèle principale est constituée d’Équatoriens. «Les Équatoriens adorent la poutine!» s’exclame Zachary, avec un bonheur contagieux. Le nom du resto démontre d’ailleurs cette fusion culturelle : « Quebec » et « Ecua », comme si les deux pays étaient prédisposés à bien s’entendre. 

Ça n’a pas été facile au début, raconte Zachary. Les gens ici ne connaissaient pas la poutine, et en espanol, putine ressemble un peu à putita, (ndlr : prostituée) alors il passait quelques drôles d’idées dans la tête des Équatoriens. Mais le concept a fait son chemin, et les gens d’ici ont adopté notre met bien québécois. On compte maintenant 8 sortes de poutines à la Casa Quebecua, dont l’éternelle classique, mais également celle «de l’ours», où à peu près tous les types de viandes s’ajoutent au trio frites-sauce-fromage habituel.

En plus de la difficulté de faire connaitre le concept, l’intégration à la culture équatorienne n’a pas non plus été facile. Considéré comme un « Gringo »,  Zachary a dû manger ses croûtes et montrer au voisinage que son resto était bien là pour rester. À l’époque, la Plaza Foch où se trouve la Casa Quebecua n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, c’est-à-dire un aimant touristique pour ceux qui veulent venir faire la fête dans la capitale du pays de la moitié du monde. C’était un peu plus trash, ça jouait dur, et ce n’était pas trop sécuritaire de s’y promener. Mais aujourd’hui, le quartier est plus que dynamique, le petit resto y a une très bonne réputation, et beaucoup de Québécois de passage viennent s’y poser, question de se sentir à la maison le temps d’une bonne poutine.

Pour en savoir, découvrez cette capsule vidéo :

Hitsuyo aku : la corruption au Japon

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Ce bruit de fond est devenu si routinier qu'on aurait pu dire que c'était du « white noise ». Le genre de sssshhhhh sans fin d'une vieille télé qui ne pogne pas le signal (HD) devant lequel on s'endort invariablement. Tellement blasant qu'on pourrait penser que c'est normal. Tellement normal que s'en est blasant. Les Japonais ont une expression pour la corruption dans le monde des affaires : hitsuyo aku — un mal nécessaire. La corruption est-elle un mal nécessaire pour faire de la business au Québec?

L’été au Japon, c'est pas juste chaud dans le sens de suer. C'est la saison des matsuri, des feux d'artifice et du ice coffee. Ils ont aussi en bruit de fond des réunions annuelles des actionnaires de grosses compagnies et des sokaiya. Dans le domaine des affaires nipponnes, les sokaiya sont des « consultants professionnels » dont les services sont parfois recherchés, parfois imposés, et récemment, intimement liés aux yakuzas. On peut les voir, et les entendre surtout, durant les conseils d’administration à « persuader » plus ou moins subtilement les actionnaires des stratégies futures à adopter.  Ici, on appelle ça de la corruption, de la collusion, ou un shakedown en bonne et due forme. Au Japon, c’est la façon normale de brasser des affaires.

Je vous donne un exemple typique de la méthode sokaiya. C’était fin 2011. Le Britannique Michael Woodford se fit offrir un poste de direction chez le géant japonais Olympus. Mais l’histoire incroyable de ce gaijin accédant aux plus hauts échelons d’une compagnie japonaise tourna vite au cauchemar. À peine deux semaines après sa nomination, Woodford se fit sacquer de la direction par les actionnaires de la compagnie, sous prétexte qu’il ne cadrait pas avec la philosophie de l’entreprise, et qu’il ne comprenait pas les rouages du milieu des affaires japonais.
En réalité, Woodford s’était fait virer pour avoir levé le voile sur les méthodes frauduleuses que pratiquait Olympus, en particulier lors de l’acquisition de l’entreprise Gyrus, alors que des « frais de consultation » de plusieurs centaines de millions de dollars apparurent inexplicablement dans les livres comptables. Du même coup, il mit en lumière les façons trop souvent douteuses – selon un point de vue extérieur – de faire des affaires au Japon.

Bref, on le vira et en temps normal, ça aurait été la fin de l’histoire. 

Sauf que Woodford décida de sonner l’alarme et de dénoncer tout et tout le monde dans le milieu des affaires et politique du Japon. Du jour au lendemain, il fit le front page des médias et de la blogosphère. On découvrit que la maffia japonaise était mêlée dans l’affaire. Il devint victime d’intimidation, à tel point qu’il craignait pour sa vie.

L’homme d’affaires british goûtait alors à une médecine bien japonaise : la technique d’extorsion et d’intimidation aidée de l'expertise de sokaiya.

Mais il faut comprendre qu’au Japon, l’extorsion et l’intimidation – à défaut de trouver d'autres termes plus fidèles au concept – c’est le modus operandi pour régler les conflits d’intérêts en affaires depuis des décennies. La différence est que pour eux, c’est plutôt vu comme d’une façon normale laver son linge sale à l’interne, hitsuyo aku, afin que la business roule, d'éviter la stagnation. C'est une joute psychologique surtout, la violence physique est rare. C’est la même différence me direz-vous. Pas pour un Japonais. Pas de violence, pas de cadavre, pas de crime.

Donc, les sokaiya sont-ils des extorqueurs professionnels? Ce n’est pas une définition tout à fait fidèle de ce qu’ils sont vraiment. C'est tout aussi ambigu que la définition de geishas. Ce ne sont pas des prostituées, ni des escortes. Alors ils ne sont pas nécessairement des extorqueurs, ou des criminels. Un Japonais vous dirait plutôt qu’ils sont des « consultants en persuasion professionnelle », ou des « médiateurs aux techniques non orthodoxes ». Vous me suivez toujours? Oui? Good. Et aussi étonnant que ça puisse être, ils sont d’un immense secours aux actionnaires de compagnies qui, sans eux, n’auraient pas droit de parole. Parfois, ils servent aussi à établir un consensus où il ne pourrait y en avoir, ou pour convaincre — par tous les moyens — la majorité de respecter un consensus établi. Oui, ça signifie souvent de remettre un p’tit teigneux à sa place.

Il n’y a pas si longtemps, on croyait la pratique oubliée. Quoique la « belle époque » des sokaiya soit depuis longtemps passée, c'est loin d'être le cas. Même que ces spécialistes font un retour en force depuis la dernière décennie. Ne vous méprenez pas, il n’y a pas d’associations professionnelles et vous ne les verrez pas sortir leurs cartes professionnelles au lettrage stylisé du style American Psycho, mais c’est bel et bien une spécialisation. Il y a même des catégories de sokaiya, dont les plus efficaces sont bien sûr les plus prisés par les grandes entreprises.

En matière de légalité, c’est une zone gris très très foncé, mais à l’origine, ils n’étaient pas ou peu reliés au crime organisé. Du moins, jusqu’à ce que les yakuzas aient réalisé tout le potentiel lucratif de la chose.

Le crime organisé au Japon a perdu beaucoup de terrain depuis la crise financière de 1990. Les autorités japonaises estiment que la population yakuza est passée à 40 000, alors qu’ils se dénombraient à 90 000 en 1991, et 180 000 au début des années 60. Ironiquement, il semble qu’ils aient à faire face aux mêmes problèmes que la société en général : population vieillissante, surtaxée, et difficultés de recrutement. Ayant élimé la tolérance des citoyens et des politiciens, ces derniers sont obligés de revoir leurs méthodes.

Fini l’époque vieille école des rackets de drogue, de prostitution et de gambling. Les yakuzas doivent donc s’adapter aux nouvelles réalités économiques et de se synchroniser à l’heure de la globalisation. Ils sont maintenant actifs à la bourse et dans les conseils d’administration des compagnies majeures du keiretsu (conglomérat de mega-compagnies). Donc, être un consultant sokaiya devient soudainement très intéressant, et grand nombre d’entre eux s’y sont spécialisé, ce qui explique ce retour, et pourquoi c’est devenu synonyme de mafia. Chose encore plus surprenante, le gouvernement japonais semble tolérer cette pratique, officieusement du moins. 

Pour revenir à l'histoire de Woodford et Olympus, c’est la pointe de l’iceberg, le cas parmi tant d’autres. C’est juste que la compagnie est si énorme que ça ne pouvait faire autrement qu’exploser au grand jour. Cependant, je dirais que c’est surtout un signe du retour à cette tendance dans le monde des affaires japonaises qui a contribué à l’ascension vertigineuse du Japon d’après-guerre, raison probable de la tolérance des autorités japonaises.

Ce n’est pas seulement au Japon qu'on peut voir cette corruption « légale ». C’est comme ça dans plusieurs pays d'Asie. En Corée du Sud, c’est la clique des chaebols (équivalent sud-coréen des keiretsu). En Chine, ce sont les triades et le red tape bureaucratique aberrant. Les trois superpuissances d’Asie ne sont pas devenues puissances en misant sur l’honnêteté et l’altruisme : elles ont su transformer la corruption en solution d'affaires. À les voir aller, ça me semble plutôt profitable (à condition qu'il n'y ait pas trop de Michael Wooford dans les parages).

Il semble que les Japonais aient trouvé le terrain d'entente idéale entre affaires et corruption. Soit par paresse, lâcheté, ou tout simplement parce que c'est un trait culturel. Ou peut-être qu'inconsciemment, ils savent qu'il est vain de faire la guerre contre la corruption, que c'est là, en bruit de fond. Un mal nécessaire. Hitsuyo aku.

Crédit photo: Guwashi999

Mon bébé est laid

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Parmi tous les tabous qui résistent à l'usure du 21e siècle, la laideur d'un bébé est l'un des plus férocement ancrés dans notre monde. Un internaute américain qui a essayé de répertorier les nourrissons les plus moches - une sorte d'UglyPeople pour la prématernelle - l'a appris à ses dépens après avoir été inondé de commentaires haineux. « S.V.P., arrêtez de vous plaindre, supplie-t-il. Je comprends, tous les enfants sont mignons. Je comprends. Arrêtez. » Et malheur à celle qui avoue sur un forum de mamans que son bébé ressemble à un bâtard né d'une nuit de brosse entre Gollum et la blonde de Napoléon Dynamite. « Mon coeur se sert tellement quand j'entends dire qu'un bébé est moche que j'en ai la larme à l'oeil, répliquera une lectrice courroucée. Un bébé, c'est si pur, si innocent... »

Si la beauté était une guerre, les bébés en seraient la trêve.

Jonathan le sait très bien. En sortant du ventre de sa mère il y a un peu plus de vingt ans, ce jeune homme avait un double menton, des bourrelets sur chaque articulation et deux yeux maladroits plantés au milieu d'une grosse face dodue. « J'étais tellement gras qu'on me donnait une bouteille d'eau avant chaque boire pour me faire maigrir », dit-il. Or, même s'il était au régime avant sa première percée de dents, Jonathan jure que sa famille n'a jamais voulu admettre qu'il avait le charisme d'un amas de poutres effondrées parmi les crevasses d'une grande artère de Montréal. « Personne n'aurait osé faire de jokes sur mon apparence, dit-il. Surtout pas devant ma mère. » 

Aux yeux de maman, l'affreux brouillon qu'était bébé Jonathan devenait un chef-d'oeuvre d'une beauté aveuglante.

Le plus laid, le plus rejet
Le préjugé favorable des parents envers leur rejeton a été maintes fois étudié par les chercheurs. L'anthropologue américaine Sarah Blaffer Hrdy a démontré que, contrairement à nos cousins les gorilles, nous avons une tendance naturelle à protéger et à chouchouter les nouveaux-nés de notre race. Les adultes seraient génétiquement et socialement programmés à considérer tous les bébés comme jolis, comme ils sont entraînés à saliver quand ils sentent l'odeur du steak sur le barbecue. Simple question de survie.

Mais d'autres études, plus controversées, ont de quoi faire rougir de honte la plus subjective des mères. Si le côté gauche de notre cerveau est en effet bâti pour faire fondre notre coeur à la vue d'un minihumain, la rationalité du côté droit prend parfois le dessus à la vue d'un bébé laid.

Une équipe de chercheurs israéliens a notamment découvert que 70 % des bébés victimes de violence corporelle ou abandonnés ont au moins une malformation physique sans impact sur leur santé autre qu'esthétique. Les parents, ont-ils conclu, sont plus prompts à donner leur rejeton à la crèche s'il a une face à fesser d'dans.

L'idée de l'amour inconditionnel d'une mère pour son poupon a aussi été mise à mal lors d'une autre étude menée il y a deux ans par le docteur Igor Elman, de l'hôpital McLean, aux États-Unis. Le chercheur a demandé à 27 sujets (13 hommes, 14 femmes) d'évaluer la beauté de 80 bébés, dont 30 avaient une malformation au visage. L'analyse de leurs réponses a démontré que les femmes étaient plus disposées que les hommes à rejeter un bébé laid. « Les mères sont plus intéressées à élever un enfant beau et en santé », résume-t-il dans la présentation de son étude.

L'amour maternel ne serait pas la seule carence du réservoir émotif des bébés oubliées par la déesse Vénus. « Quand on est laid, tout est plus difficile, nous a écrit Caroline Demers, jadis elle-même une petite poupoune au look atypique. On doit travailler plus fort pour prouver qu'on est aussi bon que les autres. Le comportement des autres est plus cruel à notre égard, le contact avec de nouvelles personnes est plus ardu. » 

Une recherche menée en 2005 confirme ces observations. Le docteur Andrew Harrell, affilié à l'Université de l'Alberta, a fait sauter un pétard médiatique en observant 400 enfants et leurs parents dans un supermarché. Il a évalué avec son équipe l'apparence physique des gamins selon une échelle de 1 à 10 et a ensuite noté le comportement des adultes envers eux selon une série de critères. Conclusion : les bébés jugés « laids » reçoivent en moyenne beaucoup moins d'attention des adultes que ceux classés comme « beaux ». Les laiderons, en somme, sont plus susceptibles d'être rejetés que les beautés. « La plupart des gens sont choqués quand on leur dit que l'apparence est un facteur dans l'amour des parents, a expliqué le professeur au journal de son université. Ils ne pensent pas que c'est vrai. Si vous leur donnez un questionnaire, ils vont répondre ''Non, j'aime tous mes enfants et je n'en discrimine aucun sur la base de son apparence ''. Mais ma recherche a montré qu'en vérité, cette discrimination existe bel et bien. »

Quand on parle de bébés, la dichotomie entre les yeux du coeur et ceux de la raison semble aussi large que les poussettes de chez Rose ou Bleu. Nous les aimons d'instinct et notre savoir-vivre nous empêche de juger à voix haute leur apparence physique. Mais enfoui au fond de notre inconscience se cache une petite voix plus raisonnable qui, elle, voit les choses comme elles sont : certains bébés sont si laids qu'ils pourraient donner des cauchemars à Freddy Krueger.

«Ton bébé a l'air d'un gremlin»
Si les nouveaux parents sont incapables d'admettre que leur petit amas d'os a l'air d'un Gremlin qu'on a douché et nourri après minuit, les professionnelles de la santé - genre infirmières et éducatrices - ont un regard plus objectif. « Quand on dit au papa et à la maman qu'ils ont le plus beau bébé de l'hôpital, on ne le pense pas nécessairement », m'a raconté une amie infirmière.

Dans leurs cours, les éducatrices spécialisées apprennent même à ne pas avoir de biais favorable envers le plus joli spécimen de leur horde. « S'enticher du plus beau du groupe est une faute classique du métier, m'a expliqué une ancienne éducatrice. Mais il faut toujours se rappeler de répartir notre attention équitablement sur tous les bébés sous notre responsabilité. »

De toute façon, les poupons dont le visage est digne d'orner la pochette d'un album black métal ne sont pas nécessairement condamnés à perpétuité. « L'évolution de leur apparence est totalement imprévisible, dit Denis Blanchette, propriétaire de l'agence de casting Girafe, dont le porte-folio répertorie une centaine de poupons. Avant deux ans, les bébés sont comme à l'adolescence. Leurs traits vont énormément changer avec la croissance et le résultat final est aléatoire. Le bébé à la tête bien ronde et aux belles joues roses peut devenir un enfant très laid, et l'inverse est aussi possible.»

Contrairement à ce qu'on peut en penser, donc, plusieurs deviennent de jolis adultes aux dents bien droites. 

C'est le cas de l'acteur Guillaume Lemay-Thivierge. Celui qui affichait un torse découpé au couteau sur les posters de Nitro était, selon l'aveu même de son père, un garçonnet '' pas beau tout de suite ''. « Il n'était pas avantagé par la nature, se souvient François Thivierge dans un éclat de rire. Très maigre, osseux, le nez saillant. On l'appelait le Petit monstre. » Il a fallu que les médecins règlent un problème de santé quelques mois après sa venue au monde pour que Guillaume reprenne un poids et des formes normales. Aujourd'hui, les lectrices d’Écho Vedettes le placent parmi les trois gars les plus cutes de la province, aux côtés de Stéphane Rousseau et de Roy Dupuis. « Ça montre qu'il y a de l'espoir », rigole François Thivierge.

Son fils partage cette opinion. « La tendre enfance est une étape qui n'a pas nécessairement d'incidence sur le futur, dit-il. Les humains se transforment d'une année à l'autre; il ne faut pas accorder trop d'importance aux choses qu'on ne peut pas contrôler, comme son apparence physique. »

Même chose pour Jonathan, lui aussi devenu un jeune homme à la silhouette tout ce qu'il y a de plus normale. « J'ai montré ma photo de bébé à mes collègues au party de Noël et ils étaient crampés, dit-il. Ils n'en revenaient pas que ce soit moi! Je ne me ressemble pas. »

A-t-on pour autant le droit de dire à de nouveaux parents que leur fillette a le nez croche d'une sorcière ou les bras d'une pieuvre monstrueuse? Ça dépend du contexte, croit François Thivierge, qui a fait face à ce genre de commentaires avec Guillaume. « C'est dur, avouer à un ami que son bébé n'est pas beau. Le ton utilisé est très important. Si c'est affectueux et sans méchanceté... Je crois que c'est quelque chose qu'on peut avouer. En faisant attention au choix des mots, bien sûr. »

Le Centre d'achats du mois: La Place Désormeaux

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Premier coup d’œil général : l’euphorie.


Pour maximiser leur ÉNORME clientèle potentielle, les magasins de la Place mettent le paquet en misant sur un éclairage à néons sensationnel, digne de Vegas.




Chez Paris-Carisme, salon de coiffure futuriste au nom intrigant, ce sont les tubes ondulés qui ont la cote.


Évidemment, ce n’est pas tous les commerces qui peuvent se payer une devanture aussi fluorescente. Pour palier cette lacune, d’autres misent sur une brigade imposante d’affiches en carton. C’est le cas de l’élégant Toujours les chaussures meilleurs prix.


Seule déception : un manque de rigueur à l’intérieur du magasin. Faut croire que l’art du « mordre / mordu » se perd de plus en plus.


Autre stratégie tape-à-l’œil classique : les étoiles et les signes de piasse.


Et que dire d’une technique tendance en cette ère post-actuelle dominée par l’effervescence des textos : l’abréviation.


Alors que beaucoup se demandent encore s’il existe un paradis pour chiens, force est de constater que les accessoires, eux, ont déjà pris de l’avance.


Après autant de stimulation clinquante, un moment détente s’impose. Tout porte à croire que cette série de bancs douillets serait la parfaite occasion pour enfin se reposer, mais les habitués savent qu’il ne faut JAMAIS rien prendre pour acquis à la Place Désormeaux...


À peine assis depuis quelques secondes, un honnête homme se fait aborder par un agent de sécurité. « Mon ami, tu ne peux pas t’asseoir ici plus de 10 minutes à cause de la bijouterie… Les commerçants n’aiment pas ça », lui dit-il, presqu’en chuchotant. « Ça ne fait même pas une minute que je suis assis », répond l’homme vertueux, qui voulait seulement se détendre devant une bijouterie. « Tu peux aller te reposer un peu plus loin. Je te dis ça comme ça, comme si j’étais ton bon ami, ton partenaire », conclut l’agent de sécurité, alors que notre gaillard fatigué repart à l’aventure.

Deux options s’offrent alors à lui : le coin floral, pour se ressourcer.


Et le coin manèges, question de s’asseoir sur des bancs aux formes plus audacieuses.


Si vous êtes venus à la Place Désormeaux « juste pour voir le monde », vous devez absolument vous rabattre sur les commerces à grande surface de type modico-abordable. Premier arrêt : le Super C et son slogan publicitaire longuement cogité.


Pour un parent, aller faire une commande à l’épicerie, c’est par-dessous tout l’occasion de renouer/socialiser avec sa progéniture. « Laquelle on prend? », demande poliment une bambine à sa mère. « D’la farine tout-usage, ça fait la job! On va arrêter l’esti de niaisage s’a farine », répond-elle. 

Un peu plus loin, un adulescent à la tuque-casquette et à la chemise dragon-serpent discute longuement avec son père des valeurs nutritives que contiennent les sortes de céréales en spécial. « Mini Wheats, t’as du sucre brun, c’est pas bon, ça augmente le cholestérol, comme les All Bran », fait-il remarquer à son paternel, qui se contente d’écouter. « Les Frosted Flakes, y’a de la vitamine D, ça c’est bon… Ah pis ça fait longtemps que j’ai mangé des Froot Loops, on va en prendre aussi. »


Deuxième destination : le Wal-Mart et ses incroyables chutes de prix de 1,06$. 


Pour ceux qui se sont toujours demandé comment Wal-Mart faisait, jour après jour, pour offrir à ses clients les plus bas prix : non, ce n’est pas en exploitant ses employés, mais bien en poursuivant les voleurs à l’étalage en justice. 


En choisissant de faire leurs graffitis sur du papier de toilette plutôt que sur les murs des toilettes du Wal-Mart, les jeunes Longueuillois montrent l’exemple. 


Dernier arrêt : le toujours pertinent Dollarama, qui brille de mille feux à travers l’ensemble des commerces fermés.



Comme d’habitude, les fastueux étalages du magasin rendent le choix pénible, particulièrement au niveau des friandises. « Chu stationné icitte depuis un boutte pis chu vraiment mélangé. Y’en ont tellement de couleurs ! » indique avec excitation cette madame aux sandales.


Choix pénible également du côté multimédia. Pour un maigre 3$, que choisiriez-vous ? Un mystérieux DVD sur Luciano Bute ou l’intégrale de la saison 1 de Belle Baie ?


Prononcez-vous.


Pour voir plus de réconfortantes images de la Place Désormeaux, c'est par ici

Mon frère est enceinte

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Mon frère a eu un bébé. C’est-à-dire qu’il l’a porté. 

Vous voyez, mon frère, avant, c’était ma soeur. Mais il y a une quinzaine d’années, il s’est fait enlever les seins et a commencé des traitements hormonaux. Il n’a pas subi l’opération complète, ce que les médecins appellent la « génitoplastie masculinisante », et ce, que mon frère appelle « la chirurgie de fond » : parce qu’elle coûte cher, parce qu’elle est dangereuse et parce qu’elle n’a pas connu beaucoup de succès à ce jour. 

Semble-t-il que c’est plus facile de se faire enlever quelque chose que de se le faire poser. Et comme mon frère m’a expliqué, c’est plus une question de genre que de sexe.

Quand ma soeur était petite, elle a demandé à notre mère quelle était la différence entre un homme et une femme, et maman lui a répondu : « A woman is a man with a womb. » 

Et apparemment, un homme avec un utérus, ça avait du sens pour mon frère. 

Pas pour ma mère, en tout cas.

***


Je me souviens de ce Noël, 1997. Ma soeur avait 20 ans, j’habitais coin Clark et Saint-Viateur. Comme d’habitude, j’avais acheté des billets d’avion pour que ma soeur et ma mère viennent me voir de Colombie-Britannique pour Noël. C’était mon effort annuel pour rassembler toute ma petite famille.

J’ai décoré mon sapin, j’ai fait ma tourtière et j’ai pilé mes patates douces. 

Elles ont pris un taxi de l’aéroport. Je les ai accueillies à la porte et elles n’avaient vraiment pas l’air de feeler. 

« Qu'est-ce qui s’est passé? » ai-je demandé. 

Ma soeur a haussé ses épaules en disant : « J’ai annoncé à maman que je me suis fait enlever mes seins, pis elle a piqué une crise. » 

Ma mère a alors fait ce qu’elle fait de mieux quand elle est vraiment bouleversée : elle s’est refermée sur elle-même, comme une tortue.

- Well, à quoi tu t'attendais?! Quand tu m’as annoncé que tu étais lesbienne, c'était correct, je comprenais. Tu es jeune, tu expérimentes… Tout le monde expérimente quand il est jeune. Mais ça… cette mutilation… Vraiment, Johanna, parle à ta soeur, peut-être que, toi, tu vas pouvoir la convaincre qu’elle…
- Je ne suis pas ELLE, maman. Je suis LUI. Je suis un homme, lui a répondu mon frère. 

Ma mère a sorti sa tête entière de son col et a fixé mon frère intensément : « Ah. Simple comme ça. Laisse-moi te dire que c’est pas si simple que ça. Je le sais pourquoi tu fais ça, je le sais! C’est parce que tu es fâchée contre moi, parce que je ne t’ai pas donné de bons modèles masculins dans ta vie. Je sais que c’est vrai et je suis désolée, vraiment désolée, mais là, tu es allée vraiment trop loin. »

***
Moi, je n’avais pas de problème avec ça. 

Ce n’était pas mon corps. J’étais juste curieuse. Je les aimais, mes seins. Je n’avais jamais imaginé le monde sans eux. J’ai demandé à mon frère s’il était plus heureux en tant qu’homme et il m’a répondu que oui, il était plus heureux en homme.

Alors, j’ai fait le switch dans ma tête. Ce n’était pas plus compliqué que ça, vraiment.

Oui, il y a quand même eu une période de transition, où je ne savais pas vraiment comment l’appeler. Mon frère m’a suggéré un mot que je haïssais : sibling, qui signifie « enfant du même parent ». Pour éviter le piège des pronoms personnels, je répétais souvent ce mot : « This is my sibling. My sibling is visiting from Vancouver. My sibling is an artist. My sibling… » 

C’était un peu comme quand j’ai commencé à apprendre le français et que je ne savais pas toujours si un mot était masculin ou féminin. J’avais trouvé un truc. Je mettais « un genre de… » ou « une espèce de… » devant le nom, et je m’en sortais comme ça.

Finalement, il est tout simplement devenu « mon frère ». Et ça m’a rendu la vie pas mal plus facile. 

***
Ma soeur avait été une jolie petite fille, douce et timide, avec de longs cheveux blonds comme le foin et un petit sourire en coin. Parfois, je regardais de vieilles photos d’elle et c’était étrange, parce qu’elle n’était plus là. Pas morte; juste partie. 

Mais mon frère était un beau gars, quand même.

Il ressemblait un peu à Leonardo Dicaprio. Il avait l’air… bien dans sa peau.

S’il était heureux, j’étais heureuse aussi. 

Ça m’a pris du temps pour m’ajuster aux nouveaux pronoms. Au cours des premières années, j’avais toujours peur de me tromper. Surtout devant ses nouveaux chums de gars, une gang de rappers homophobes qui lui auraient sûrement cassé la gueule s’ils savaient que mon frère n’avait pas de… couilles. 

Avec le temps, je me suis habituée à la nouvelle terminologie.

Pas ma mère. 

Elle insistait sur les anciens pronoms. Et ils ne se parlaient plus beaucoup. Du tout, en fait. Je pense qu’elle avait surtout peur qu’il ne trouve pas l’amour. Mais il l’a trouvé. Une petite gitane, une poupée en porcelaine qui est restée avec lui pendant des années. 

Un jour, ça s’est terminé. Les choses finissent par casser, même quand on a encore tous les morceaux que le Bon Dieu nous a donnés.

Puis, en 2005, mon frère est parti en tournée aux États-Unis. Il était à Portland, en Oregon, et il a rencontré un homme. Il est tombé amoureux, ce qui l’a précipité dans une espèce de crise, de remise en question. Il pensait avoir fait une erreur. 

Il a arrêté de prendre ses hormones et a commencé à redevenir une femme. Sa voix a monté d’une coche, sa calvitie a diminué et des boucles d’oreilles en perle ont poussé comme par magie sur ses lobes. 

Un jour, c’était fini. Il est revenu à Montréal, le coeur fendu et le corps confus.

***

Moi, à cette époque, je vivais dans un petit cottage tout près du carré Saint-Louis. Je venais de me faire la promesse solennelle que je n’allais plus être le pilier de la famille. J’avais commencé à travailler à l’âge de 12 ans : à 15 ans, j’étais rendue serveuse à temps plein, et je pouvais toujours dépanner ma famille quand elle avait besoin d’un billet d’avion, d’argent pour le loyer ou d’un abri tout court.

J’avais 35 ans et je réalisais que ça allait bientôt faire 20 ans que j’étais serveuse. J’ai décidé que c’était le temps de sortir de ma carapace. 

Quand les gens me demandaient ce que je faisais dans la vie, je leur disais que je travaillais dans un bar pour payer ma « dépendance théâtrale ». Or, cette réponse n’était plus drôle. J’ai donc donné ma démission. Plus de billets d’avion, plus de fille responsable qui arrange tout, plus de martyre. Juste moi. Comédienne. Cassée, peut-être, mais courageuse.

***

Mon frère a donc rebondi chez moi, confus.

Je lui ai fait une place pour une couple de semaines, puis je lui ai réclamé mon deux et demi. Il n’est pas parti loin. Juste au coin de l’avenue des Pins et de Saint-Laurent. Il quêtait : « Du change pour un changement de sexe? »

Un jour, il est venu me saluer. Il était avec un gars, un jeune squeegee qui avait des yeux bleus, bleus, bleus comme l’océan. Je leur ai donné une grosse bouteille de bière. mais tsé, vraiment grosse : c’était encore plus gros qu’un magnum (je pense que ça s’appelle un balthazar – ça fait deux bons prénoms pour des p’tits gars, ça, Magnum et Balthazar!). C’était un cadeau de départ de la part du staff du pub La Fin du Monde.

***
Je n’ai pas revu mon frère pendant à peu près un mois, jusqu’au jour où il m’a appelée en panique. Il était sur le point de se pitcher par la fenêtre. Il se trouvait au quatrième étage d’un petit immeuble sur l’avenue des Pins. Je lui ai dit : « Reste là, bouge pas, j’arrive. » 

Je suis arrivée devant l’édifice, un bloc devant lequel je suis passée des milliers de fois sans jamais avoir de bonnes raisons d’y entrer.

C’était déprimant. L’entrée sentait le vieux pot et j’entendais des gens se disputer en montant l’escalier. 

Quand je suis arrivée à son étage, sa porte était ouverte. Je suis entrée, il capotait : « Faut que je sorte d’ici! Le proprio a changé la crisse de serrure. Je peux même plus barrer la porte. Il dit que je lui dois de l’argent, mais c’est pas vrai… Tabarnac! Je l’ai payé, son crisse de loyer!… »

Et il est parti comme une flèche, a descendu les marches deux par deux et il est sorti du bloc. Je l’ai rattrapé au coin de Saint-Laurent et des Pins.

En attendant que la lumière devienne verte, il m’a dit : « Si j’avais un peu d’argent, je pourrais… j’sais pas… acheter du jus… peut-être une guitare… » 

C’est là que j’ai fait la chose la plus courageuse de ma vie. Ça a peut-être l’air de rien pour vous, mais pour moi, ça l’est. Je lui ai dit : « Je vais te nourrir, et je vais t’écouter, mais je ne te donnerai plus d’argent. »

« Whatever », qu’il m’a dit. 

Et il est parti. Il a traversé la rue et il est disparu dans la foule.

Tout à coup, j’ai eu un flash. Moi, à trois ans, debout au même coin de rue, toute la journée, avec ma mère, qui ne savait pas si elle devrait aller chez Levine’s ou à la Boulangerie Saint-Laurent pour son pain.

Je regardais les gens qui circulaient autour et j’avais envie de leur crier : « Heille, vous avez pas senti le tremblement de terre?! Vous voyez pas la grosse craque qui vient de s’ouvrir en plein milieu de la rue?! » 

Mais je l’ai pas fait. J’ai juste mis un pied devant l’autre, en direction de mon appart.

Mon cellulaire a sonné.

C’était mon frère.
- Allô.
- Ouin. Je ne veux pas que tu penses que je t’appelle juste parce que j’ai besoin d’argent, parce que c’est pas vrai. T’es ma soeur, et je t’aime… c’est juste que j’ai ben de la misère en ce moment et je sais pas comment te parler… Je ne sais pas par où commencer… 
- Bon ben, viens donc me rejoindre dans le petit parc en face de chez moi. Je vais apporter des biscuits d’avoine et on va commencer.

Alors, on s’est rejoints dans le parc. Et il a mangé les biscuits. Et j’ai fait mon possible pour lui expliquer ma nouvelle vie. Et il m’a écoutée. Vraiment écoutée. Et puis là, il m’a annoncé qu’il était enceinte. Le squeegee aux yeux bleus.

La Fin du Monde.

Lorsque mon frère m’a dit qu’il était enceinte, c’est comme si un fantôme était sorti de moi et qu’il s’était mis à voler devant nous. C’était le fantôme de la Johanna du passé qui disait : « Oh! Quelle magnifique nouvelle! Je vais nous trouver un plus grand appart et on commencera à préparer la chambre du bébé. On va peindre des nuages au plafond et je retournerai travailler au pub, parce qu’on va avoir besoin de plus d’argent. »

Mais je ne l’ai pas laissé parler. J’ai tout simplement demandé à mon frère :
- Pis? Qu’est-ce que tu vas faire? 
- Je veux pas me faire avorter… Et je ne peux pas être une femme… Alors, ça a d'l’air que je vais être un homme enceinte. Dans huit mois, si tout va bien… je vais être papa.

Les huit mois qui ont suivi ont été très étranges.

Mon frère se promenait entre des Pins et Saint-Laurent à Montréal et Hastings and Main, à Vancouver. Toujours à la recherche de quelqu’un pour prendre soin de lui, quelqu’un qui ne serait pas moi. 

Il m’appelait de temps en temps. 
Je disais « Allô! » 
Et il me disait « Ouin ».
Je lui demandais : « Pis, qu'est-ce qui se passe de bon avec toi? »
Et il me répondait : « Chu enceinte. »
Et là, il y avait un vide…

Parfois, il me raccrochait le téléphone au nez. Ça ne me dérangeait pas. Nos conversations se terminaient souvent de cette façon.

Il y a eu deux mois vraiment épeurants, où il a complètement disparu de la planète, avalé par les rues d’enfer de Vancouver. Lorsqu’il est remonté à la surface, j’ai pris un vol pour l'Ouest. On était censés se rencontrer dans un café du centre-ville, mais quand je suis arrivée, il n’y avait personne.

Je me suis approchée du comptoir et j’ai demandé à la fille : « Excusez-moi. Y avait-il un… une personne enceinte ici? »

Elle m’a répondu que non, qu’il n’y avait pas eu de personne enceinte.
Lorsque mon frère est arrivé, il n’était clairement pas un homme enceinte, parce que ça n’existe pas, un homme enceinte. C’était juste un gars avec une bedaine de bière…

Nous sommes allés au musée, et pendant que mon frère regardait les toiles, moi, je regardais mon frère.
Casquette.
Barbe.
Manteau de cuir.
Jeans.
Bottes.
Bedaine.
Pas une bedaine de bière.
Il y a un bébé là-dedans.

Et puis, le jour est arrivé.

***

À six heures du matin, le 11 avril 2006, mon frère et moi avons marché les quelques coins de rue entre l’appart de son ami situé au centre-ville de Vancouver et l’hôpital, et on s’est installés dans sa chambre privée (la confusion des genres a parfois ses avantages). 

Mon frère avait planifié une césarienne. Il ne voulait pas accoucher par le… vagin.

C’est bizarre, chaque fois que je parle du sexe de mon frère, c’est un peu vague : comme si ses parties génitales faisaient partie d’un programme de protection de témoins. 

En tout cas. 

Mon frère m’a demandé d’assister à l’accouchement. Il m’a dit : « T’es capable de garder ton sang-froid, toi? » Et je lui ai répondu : « Oui. Assez froid. » 

L’infirmière est arrivée pour installer l’intraveineuse et elle nous a demandé si ce serait une fille ou un garçon. Mon frère m’a glissé un de ses sourires en coin. On en avait parlé et il m’avait dit qu’il espérait que le bébé puisse faire son propre choix, être un gars ou une fille, sans avoir une étiquette collée dans le front lorsqu’il ferait son entrée dans le monde.

Alors, il a dit à l’infirmière : « Ouin, ça va être une surprise. »

Elle m’a laissée écouter le coeur du bébé une dernière fois, à travers le ventre, pendant qu’elle traçait le petit « x » où ils feraient l’incision.

C’était incroyable. Les battements étaient tellement forts et clairs.
Ça sonnait comme un char qui traverse un pont : ba-boum, ba-boum, ba-boum…

Là, les choses ont commencé à se passer très vite. On m’a donné un sarrau, je l’ai enfilé, j’ai lavé mes mains et ils m’ont emmenée dans la salle d’accouchement. Mon frère était déjà installé sur la table d’opération. 

Il y avait un tissu vert entre lui et l’incision. Autour de lui, des médecins et des infirmières s'activaient, des machines faisaient des bip bip et des flash, des bip bip et des flash. J’ai mis ma main sur son front et j’ai regardé l’incision.

Wow. 

J’avais déjà vu des opérations à la télé et ça m’avait toujours dégoûtée, mais ça, c’était de toute beauté : rouge vif, avec de petites ficelles blanches… À un moment donné, on aurait dit que le docteur essayait de faire la chandelle sur la bedaine de mon frère et il y a eu une éclaboussure de sang. Mon frère s’est excusé et j’ai dit : « Ah non, t’inquiète pas. T’as des beaux organes. » Et il m’a dit : « C’est ça qui compte, hein? Être beau en dedans. »  Puis là, oh!, il y avait plein de cheveux foncés, et des épaules, des bras, des jambes. On s’est tous regardé et ensemble on a crié : « C’est une fille! »

Le docteur l’a amené à une petite table et il l’a nettoyée et elle a pleuré, Dieu merci. Il m’a donné une paire de ciseaux et il m’a dit : « Pis, matante, veux-tu couper le cordon? » J’ai répondu : « Euh… d’accord… » 

Alors, j’ai coupé le cordon, elle a cessé de pleurer et elle m’a regardée avec des yeux sages et profonds. Ensuite, le docteur l’a emmaillotée et il a dit : « Bon, allons voir… » Je voyais qu’il cherchait : « Maman… papa… »

Ils ont mis une chaise à côté de mon frère et ils ont placé le bébé dans mes bras. J’avais un immense sourire étampé dans le visage, mais mon frère ne le voyait pas, parce que je portais encore mon masque. Il m’a regardée anxieusement : 
- J’ai fait un bébé.
- Oui. C’est vrai. Tu as fait tout un bébé. 

Ensuite, ils m’ont demandé de sortir pour qu’ils puissent recoudre l’incision. Ils m’ont emmenée à la pouponnière et m’ont laissée là, avec elle.


Et c’est là que je suis tombée amoureuse. La voix à la radio chantait doucement : « If you leave me now, you take away the biggest part of me, ooooh, baby, please don’t go… »

J’étais complètement absorbée par elle. Pendant des jours, je n’ai pas eu besoin de manger, de dormir ou même de parler. Les gens venaient nous rendre visite, ils me parlaient, mais je ne leur faisais qu’un bref
sourire et je retournais vers elle. « Allô, chérie… Tu sais, la journée après ta naissance, j’ai pris un autobus pour me rendre à un autre hôpital, où je t’ai acheté du lait maternel, parce que, des fois, les mamans ont des surplus, comme les vaches, alors elles l’embouteillent et le vendent. Et moi, je suis allée t’en chercher. J’étais assise dans l’autobus en revenant, avec un gros sac de papier plein de lait maternel congelé, et j’ai eu un de ces moments : Johanna Nutter, voici ta vie. »

Les médecins et les infirmières étaient vraiment sympathiques. Je m’amusais à observer leurs visages pendant qu’ils expliquaient ce dont il aurait besoin durant les prochains jours. Tous les efforts qu’ils faisaient pour rendre ce pronom naturel. 

Des fois surgissait quelqu’un d’un autre département qui n’était pas au courant de la situation, comme le gars qui est venu pour une prise de sang. Il s’est approché de moi avec son aiguille. Je lui ai dit : « Non, c’est pas moi la maman. Tu vois le gars endormi dans le lit? C’est lui, la maman. »

Et je revenais à ma nièce. « Il est parti, maintenant, le monsieur avec la grosse aiguille… Hein, ma puce? Je me demande il me reste combien d’argent sur ma carte de crédit… Assez pour nous rendre jusqu’au Mexique? On pourrait quitter l’hôpital et monter à bord d’un autobus. Juste nous deux. On pourrait ne jamais revenir. Mais ça ne sera pas trop grave. On sera heureuses ensemble, n’est-ce pas? On trouvera une maison au bord de la mer, et je t’apprendrai à jouer dans les vagues, et on pourra ramasser des coquillages, faire des dessins, lire des histoires, manger de la soupe. Un bébé a besoin d’une maman. Pas d’un… point d’interrogation. »

Le pommier en face est en fleurs. Un jour, je vais te faire connaître Nikos Kazantzakis, le créateur de mon grand héros, Zorba le Grec. Il a écrit : « J’ai demandé à l’amandier: parle-moi d’amour, et l’amandier s’est mis à fleurir. »

Mon frère s’est réveilé. Je me suis approchée de lui et je lui ai donné le bébé.

« Salut… ça va? Veux-tu la prendre? Ça me rappelle quand t’étais de la même taille… et du même genre…»

Ce texte est un extrait de la pièce Mon frère est enceinte qui était présentée du 7 au 25 novembre 2011, à La Petite Licorne.
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