« Il va y avoir du sport, de la bière, mais aussi de la politique. » C’est sur ces termes que j’ai invité Gerry Sklavounos, le député de la circonscription Laurier-Dorion depuis 2007, à écouter un match de soccer autour d’une bière. Aussitôt l’invitation lancée qu’un rendez-vous était prévu pour le lendemain dans le quartier de son local électoral.
Je prends donc la route pour Parc-Extension, « Parc-Ex » pour les intimes, un quartier tout juste à l’ouest de Villeray habité essentiellement par des familles immigrantes. Une réalité qu’on découvre assez rapidement lorsqu’on se rend sur les lieux. Exit les arômes américains à la Hamburger Helper, ici les rues sont parfumées en permanence aux épices indiennes, asiatiques et latino-américaines. Et c’est dans une allée particulièrement gourmande et exotique de Jean-Talon Ouest que se trouve mon lieu de rendez-vous ; le Café Cozmos. Tout petit, ce bar grec de type café aux couleurs pastel meublé de quelques tables et téléviseurs passe inaperçu dans le décor ambiant de la ville.
Dès mon entrée, un homme debout au bar me voit et me crie une phrase en grec. Je lui acquiesce un salut de la tête sans trop savoir s’il m’accueillait ou s’il m’insultait. Son accent n’est pas le seul de la place. La vingtaine de clients assise au Cozmos discute en grec en attendant la tenue du match de soccer à la télévision opposant justement un club grec, l’Olympiakos, à une légendaire équipe anglaise, le Manchester United. Inutile de préciser que les clients du Cozmos ont un parti pris pour l’équipe hellénique: à peine les joueurs montés sur le terrain qu’un homme se dirige vers un des écrans de télévision pour bénir d’un signe de croix les différents sportifs apparaissant à l’écran. Un tel geste aurait pu être qualifié d'ostentatoire par certains politiciens, diraient les mauvaises langues.
Parlant de politiciens, Gerry Sklavounos entre quelques minutes après le commencement de la partie. Son arrivée ne passe pas inaperçue. Même si la plupart des yeux sont rivés vers les téléviseurs, une bonne majorité des clients prennent le temps de le saluer et même de lui dire quelques mots en grec, que je ne saurais comprendre.
Le candidat libéral, un Montréalais d’origine grecque, est bien connu du quartier. S’il a vécu son enfance sur le Plateau Mont-Royal, c’est dans Parc-Ex qu’il a passé la majeure partie de sa vie.
- C’est beau comme quartier. C’est même dépaysant. Il n’y a rien comme ça à Montréal, non?
D’ailleurs, la fierté semble être une caractéristique qui définit bien Gerry. Grand et loquace, ce dernier a un tic lorsqu’il vante ce qu’il a fait pour son quartier. Il prend à deux mains les rebords intérieurs de son veston pour le replacer d’un trait. Geste qu'il répétera sans cesse au courant de notre entretien.
Aussitôt à table, le même client qui m’avait accueilli à mon arrivée au bar vient voir Gerry Sklavounos pour lui parler quelques minutes en grec. Je tente sans grand succès de traduire leurs échanges qui semblent très sérieux.
- Il me racontait que son frère a eu un malaise avec son cœur. Fort heureusement, on a pu le soigner juste à temps dans un établissement du quartier.
Un établissement qui dessert depuis peu, selon Gerry, des patients qui seraient habituellement envoyés dans des hôpitaux plus éloignés sur l’Île de Montréal.
Malgré le sérieux du sujet, je profite de l’occasion pour lui demander de trinquer puisque nos deux premières pintes arrivaient à table. C’est sur un « yamas » (désolé, je ne suis même pas trop sûr de l'orthographe correcte), un genre de « cheers » en grec, que nous trinquons à l’occasion. Gerry Sklavounos ne cache pas son appréciation pour ce genre d’activité.
-Pendant la campagne, j’aime bien venir ici lors de grands rendez-vous sportifs pour rencontrer mes électeurs.
Pourtant, il ne s’agit pas d’un simple rendez-vous sportif. Gerry m’avoue qu’il a une affection particulière pour l’Olympiakos. Une équipe qui, tout comme lui dans sa campagne dans Laurier-Dorion, débute avec quelques points d’avance sur ses adversaires.
Après avoir remporté les élections de 2007 et 2008, Gerry Sklavounos a mené une campagne plus serrée en 2012 contre le Parti Québécois et Québec Solidaire, ses deux plus proches poursuivants. Pour 2014, le député sortant ne se compte pas gagnant d’avance. Il veut conserver son bassin d’électeurs dans Parc-Ex, mais veut aussi gagner du terrain dans Villeray, un quartier surtout habité par des francophones et des étudiants.
- D’ailleurs, ça peut paraître surprenant, mais d’après notre travail sur le terrain, bien des jeunes optent en ce moment pour les Libéraux, dans Villeray.
Surprenant, indeed. Deux hivers se sont écoulés depuis le printemps érable, mais des carrés rouges flottent encore et toujours sur les balcons de Villeray. Alors pourquoi un changement du rouge écarlate pour le rouge libéral ?
- Le Parti Québécois a peut-être annulé la hausse des frais de scolarité, mais il a baissé le crédit d’impôt aux études. Au bout du compte, les étudiants vont maintenant payer le même prix que si la hausse avait passé. Je le sais, je l’ai moi-même calculé.
Fâché, le candidat affirme que son parti a changé de position quant aux coûts pour des études supérieures. Les libéraux appuieraient une indexation des frais de scolarité et seraient contre une baisse du crédit d’impôt. Il qualifie d’ailleurs cette baisse de hausse déguisée.
Déguisé ou non, un joueur de Manchester trébuche dans la zone du gardien de l’Olympiakos et un tir de pénalité est donné. La clientèle du Cozmos se met du même coup à railler. L’équipe grecque souffre son premier but de la partie.
Gerry prend une gorgée de bière et enchaîne sur ses priorités pour la circonscription. Avec un taux de chômage plus élevé que la moyenne montréalaise, il n’est pas surprenant que l’emploi soit une question primordiale dans Parc-Ex.
- L’histoire de l’immigrant diplômé chauffeur de taxi, ce n’est pas de la fiction, commence-t-il à raconter. Quand on parle d’immigrants ici, on devrait parler de réfugiés économiques. Les immigrants qui viennent s’établir au Québec viennent essentiellement trouver un emploi qu’ils n’arrivent pas à obtenir chez eux.
Pourtant, dans plusieurs de ces cas, la langue française agit comme barrière dans l’atteinte de succès de certains de ces immigrants. Une difficulté que Gerry Sklavounos comprend bien. Même si son français sonne sans faute, il cache un petit accent. Un peu comme si Sugar Sammy avait travaillé son français pour parler plus québécois. Le candidat libéral l’avoue, il a fait toute son éducation en anglais. Et assez curieusement, c’est à coup de burgers qu’il a appris le français.
- J’ai appris le français en travaillant au McDonalds au coin de Jean-Talon. C’est par le travail qu’on peut enseigner le français aux immigrants, et non le contraire.
Pour prouver son point, le député a l’intention d’aider les différentes communautés culturelles de Parc-Ex dans la création de pôles industriels dans le quartier, notamment, un pôle où des immigrants sud-asiatiques pourront développer leurs expertises en télécommunications. Un plan qui ne se réalisera jamais selon lui sous la menace d’un référendum ou d’une charte du gouvernement péquiste.
- Les gens de Laurier-Dorion ne veulent rien savoir d’un référendum. Ils en ont peur. Et je suis le seul candidat avec des chances de gagner qui est contre la tenue d’un référendum.
Pourtant, la partie n’est pas jouée. Si Parc-Ex semble acquis pour le candidat libéral, les électeurs de Villeray peuvent changer la donne. Gerry Sklavounos devra faire attention de ne pas crier victoire trop rapidement. Surtout qu’au coup de sifflet final de la partie, son Olympiakos, lui, a vu s'échapper une victoire presque certaine.
Le prochain candidat à la bière électorale est Andrés Fontecilla, candidat de Québec Solidaire, lui aussi dans Laurier-Dorion.